Quel est le rapport entre la mode et la finitude, la mort, le caractère éphémère de la vie ? C’est la question que pose l’exposition Love & Loss au musée d’art Lentos de Linz, en Autriche. Elle présente simultanément des designers de mode et des artistes en formation, rassemblant haute couture, Street fashion, photographie, vidéo, sculptures et installations.
Photo : détail de la robe bustier Viktor & Rolf coupée à la tronçonneuse – 2009 (capture écran de la vidéo de l'exposition).
L'apparition de l'imperfection
Les années 80 avaient vu apparaître une révolution dans la mode et la photographie de mode, avec l’émergence d’un nouveau réalisme, d’une recherche de l’être plutôt que de la beauté apparente, d’un désir d’authenticité. Le concept de beauté dans la mode allait alors être remis en question pour laisser émerger la déformation et de l’usure. Dans ce courant, deux artistes sont apparus sur le devant de la scène : Rei Kawakubo et Martin Margiela. Les jeans troués et déchirés que l’on trouve désormais partout sont nés dans les maisons de couture de Martin Margiela et chez Comme des garçons.
La montée des designers japonais, notamment de Rei Kawakubo avec son label Comme des garçons, a eu une influence remarquable sur la conception de l’idéal esthétique occidental qui se faisait un devoir de toujours présenter une apparence parfaite. Dans la conception japonaise de l’esthétique, les traces du temps et de l’usure non seulement ne sont plus ignorées mais sont même valorisées. On y parle aussi d’esthétique de l’imperfection.
Pourquoi rejeter la perfection au profit de l’imperfection ? Parce que ce qui est trop précis, parfait ne laisse aucune place à la liberté. Cela ne peut pas changer et demeure réglé, froid, dur. Avec notre propre imperfection humaine, nous nous sentons vite dépassés, tout est déjà là, tout est à voir, et rien ne nous renvoie à l’infini.
La beauté a besoin d’espace, elle doit être liée à la liberté. On dirait même : la beauté est liberté. L’amour pour ce qui est irrégulier, imparfait est donc le signe d’un besoin de liberté – une conception qui a influencé toute une génération de designers depuis la fin des années 80, comme Martin Margiela.
Martin Margiela et l'extrême du déclin
Il coud ensemble des vêtements usés, qu’il date et marque du lieu dans lequel ils ont été trouvés. Dans cette exposition on peut, par exemple, admirer trois robes de mariée de seconde main transformées en robes de soirée dans la série Artisanal 0, ou encore un sweat endommagé. Martin Margiela ne présente pas ses collections dans la cour intérieure du Louvre ou dans les lieux habituels de défilés, mais dans les gares désaffectées ou dans les bouches de métro des quartiers pauvres de Paris. Il libère également de leur côté artificiel les mannequins, habituellement soumis aux dimensions rigoureuses d’une poupée de tailleur. Dans sa collection Stockman des femmes ordinaires enfilent les vêtements des mannequins pour les présenter.
Ses Bacteria Dress de 1997 sont devenues légendaires – des vêtements dans lesquels on a injecté des cultures de bactéries. Au contact de l’oxygène, celles-ci se sont approprié le tissu, et les colonies ont lentement détruit les vêtements qu’on ne peut plus admirer aujourd’hui que dans les photos de Bob Goewaagen. Avec ce projet, il a également thématisé le rythme de changement de la mode et la dictature du monde de la haute couture qui impose à tous les designers au moins deux collections par an.
Finitude, mort, éphémère. Le fait que la mode commence à s'approprier ces expériences, révèle l'évolution profonde de notre société et permet une réflexion sur l’éternelle « nouveauté » de la mode, devant le déclin de laquelle, l’homme contemple sa propre finitude.
Galerie photo de l'exposition.
Vidéo en allemand :