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Le film franco-polonais d’Anne Fontaine, déjà vu par 500 000 personnes, sort ces jours-ci en Pologne où il soulève quelques controverses.

Le film est inspiré d’un épisode réel de la vie de Madeleine Pauliac, médecin engagé dans la résistance française puis envoyée en Pologne de 1945. Son témoignage était consigné dans son journal, conservé jusqu’en 2015 par son neveu[1].

Madeleine est représentée dans le film par Mathilde Beaulieu, jeune médecin de la Croix Rouge française en mission en Pologne à l’automne 1945. Elle est appelée au secours par une jeune religieuse dans un couvent de bénédictines : l'une d’entre elles va accoucher. Neuf mois avant, des soldats soviétiques ont envahi le couvent et violé les religieuses. Sept sont enceintes et sur le point d'accoucher. La jeune interne doit pratiquer une césarienne en urgence. La supérieure se charge de confier l'enfant à une famille du village : nul ne doit savoir ce qui se passe. Mathilde va devoir revenir plusieurs fois pour aider ces jeunes femmes. Incroyante, elle apprend à les connaître et à les aimer, elles pour qui la foi est une lutte[2].

Le fait dont s’inspire le scénario est loin d’être un cas isolé : envahie par les Allemands et les Soviétiques en 1939, intégralement par les Allemands en 1941 et à nouveau par les soviétiques en 1945, la Pologne fut le théâtre de multiples horreurs pendant la seconde guerre mondiale. Les plus dramatiques furent le massacre des Juifs et l’écrasement de Varsovie par les nazis en 1944. La présence dans le film d’un médecin juif rescapé de l’holocauste qui vient assister Mathilde est là pour le rappeler. Les nombreux viols et massacres commis par les deux armées furent occultés par le pouvoir communiste après la guerre parce qu’ils mettaient en cause le « grand frère » soviétique[3]. Il convient de replacer l’évènement dans ce contexte  pour ne pas faire d’anachronisme dans sa compréhension.

Dans l’histoire réelle, Madeleine Pauliac était chrétienne. Anne Fontaine choisit de faire de son héroïne Mathilde une fille d’ouvriers communistes. Ceci, explique-t-elle, pour que sa découverte de la compassion envers des religieuses, dont le mode de vie et les croyances lui sont étrangers, soit entièrement spontanée[4].


Lou de Laage , bouleversante Mathilde

Comme le lui écrira la maîtresse des novices Sœur Maria après son retour  en France, Mathilde fut l’ange de la miséricorde envoyé par Dieu pour secourir les religieuses dans leur détresse. L’actrice Lou de Laage donne au personnage de Mathilde une grande densité. Les violences dont elle est elle-même l’objet de la part de soldats russes l’associent au calvaire vécu par les religieuses.

Non préparées à l’évènement et traumatisées, les religieuses sont écartelées entre la fidélité à leur vocation et l’irruption de ces bébés dans leur vie :  certaines sont dans le déni, d'autres découvrent la maternité. La mère supérieure ( Agata Kulesza ) elle-même dévastée intérieurement et physiquement, pense à la règle et à la réputation du couvent. La jeune  sœur Maria (Agata Buzek)  pense à la souffrance de ses novices et à la protection des enfants à naître. Le conflit entre le devoir et la miséricorde est aggravé par l’absence d’un prêtre pour éclairer les consciences. Mais les sœurs âgées se laissent émouvoir par la détresse de leurs cadettes, et l’amitié qui nait entre  Mathilde et Maria ouvrira un chemin qui permettra de concilier vocation et maternité.

Le film arrive en Pologne au moment où le gouvernement souhaite rouvrir le dossier de certains évènements concernant la période communiste. Dans un tel contexte, il peut contribuer à rouvrir les plaies du passé[5]. Cela ne doit pourtant pas occulter l'essentiel : Les Innocentes demeure un témoignage impressionnant sur le drame de ces femmes et une réflexion sur les voies imprévues par lesquelles la miséricorde divine se manifeste.

 


[1] Le scénario est tiré du récit authentique de Madeleine Pauliac, médecin à l'Hôpital français de Varsovie : « La jeune médecin française de la Croix-Rouge qui a découvert l’état de ce couvent a laissé un journal intime, et c’est par son neveu, qui habite la France, Philippe Maynial, que l’on a eu connaissance de ces faits », a révélé Anne Fontaine.

[2] D’après Télérama du 10 février 2016.

[3] Sur ce sujet, on pourra consulter le livre d’Anne Applebaum : Rideau de fer 1945-1956, Grasset 2015.

[4] Pour préparer le film, la réalisatrice, croyante mais non pratiquante, dont certaines tantes sont entrées dans les ordres, a effectué deux retraites dans des couvents de bénédictines. Elle s’est fait assister par le Père Jean-Pierre Longeat, abbé de Ligugé, pour la partie liturgique et musicale.

[5] Les bénédictines polonaises ont fait savoir que les faits relatés dans le film n’avaient pas concerné leur ordre, mais d’autres religieuses.

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4 Commentaires

  1. MCD

    Dans la mesure,où les Religieuses Polonaises -Bénédictines-contestent les événements de ce magnifique  film, qui m'a profondément touchée et qui réveille effectivement des plaies passées sous silence, j'ai craint un instant qu'il ne passe à "la trappe".Il n'y a rien à ajouter à la présentation complète et objective du film, faite par M Anel ..Einwandfrei! sinon  de recommander d'aller voir "les Innocentes"  MCD

     

    1. Denis Cardinaux

      Merci Béatrice pour ce lien vers cette interview magnifique de Sabrina B. Karine et Alice Vial, les scénaristes, dont voici quelques extraits : 

      "Je suis pour ma part assez contente de ne pas être passée par une école (…). Avec une certaine insouciance que je n’ai plus, j'allais frapper aux portes de scénaristes plus aguerris qui me faisaient des retours. Et puis les bourses d'écriture, les concours… J'ai cherché à avoir un maximum de conseils de professionnels sur mon travail. Tout cela m'a donné une base, comme une petite école."

      "Ce n'est pas une histoire vraie, c'est une histoire inspirée de faits réels, nuance ! (…) Philippe nous a dit qu'elle aurait effectivement croisé des nonnes enceintes, mais on n'a aucune preuve de ça. Donc on a inventé le reste…"

      "Oui, nous avons été faire une retraite dans une abbaye. Ce séjour nous a transformées, à plusieurs niveaux. En tant qu'êtres humains : on a été bouleversées par leur mode de vie fait de silence et de peu de mots parfaitement choisis, ainsi que par leur lucidité, leur humilité, leur doute permanent, leur ouverture d'esprit… Et en tant que scénaristes aussi. Nous qui mettions la fiction au-dessus de tout, on a réalisé à quel point la réalité, l'immersion pouvaient nourrir les histoires. Plus jamais nous n’écrirons sans enquêter."

      "Et puis ce paradoxe très fort : ce qui est arrivé à ces nonnes les fait douter de leur foi, forcément, mais c'est aussi en s'appuyant sur elle qu'elles traversent cette épreuve. Et aussi grâce à la croyance de Mathilde en la médecine. On avait la matière pour une histoire qui traite de la foi sans faire du prosélytisme pour la religion ou la science, et naviguer dans ces thématiques compliquées sans basculer dans le cynisme ambiant ou l'angélisme mièvre. Écrire un scénario plein de compassion, mais âpre. En résumé, on voulait faire un film bienveillant dans le bon sens du terme, c'est ce dont on a besoin aujourd'hui."

      http://www.guildedesscenaristes.org/itw/prof-scenar_01/

  2. Bruno ANEL

    Merci à Béatrice pour ce lien interessant . On ne sait pas exactement ce que contenait le journal de Madeleine puisqu'il n'a pas été édité. Mais les faits sont vraisemblables: si on se réfère au livre d'Anne Applebaum cité plus haut, il y a eu des milliers de naissances dues à des viols en Pologne et en Allemagne en 1945. J'ajoute une précision. Anne Fontaine fait dire à Maria une phrase qui est de Georges Bernanos: "La foi, c'est vingt quatre heures de doute pour une minute d'espérance".

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