Suite à la publication de l'article sur l'histoire des mouvements, voici un approfondissement de l'intervention du Cardinal Ratzinger lors de la première rencontre des mouvements et communautés nouvelles en 1998. Invité par le Pape Jean Paul II à Rome en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il donna une conférence très remarquée : « les mouvements ecclésiaux et leur lieu théologique ». Cette conférence chercha a définir « le lieu théologique »[1] des mouvements « dans la continuité des lois de l’Eglise ».
Un certain regard
Avant d’entrer dans le corps de sa conférence, il est bon de souligner trois points qui l’introduisent :
1. Tout d’abord la manière dont le cardinal Ratzinger parle de son expérience des mouvements ressemble à l’expérience de ceux qui en font partie : « Ce fut pour moi un événement merveilleux, raconte le cardinal[2], lorsque, au début des années soixante-dix, j'entrai plus étroitement en contact pour la première fois avec des mouvements comme le Néo-catéchuménat, Communion et Libération, les Focolarini, et que je découvris l'élan et l'enthousiasme avec lesquels ils vivaient leur foi et se sentaient poussés à communiquer aussi aux autres cette joie rayonnante de la foi, qui leur avait été donnée comme un don gratuit. (Lire la citation complète ici) »
2. Ensuite, le futur Pape va fonder tout son raisonnement sur cette observation : ce que nous appelons « les mouvements ecclésiaux » et qui sous bien des aspects semblent des nouveautés absolues, sont en réalité « un phénomène revenant périodiquement ». Les mouvements ne sont pas une nouveauté mais une constante de la vie de l’Eglise depuis la Pentecôtes[3].
3. L’histoire des mouvements c’est aussi l’histoire de tensions avec l’Eglise institutionnelle. Ratzinger illustre son propos avec les controverses des frères prêcheurs et notamment de saint Thomas d’Aquin avec l’Université de Paris[4]. Car, « l'Esprit Saint, là où il fait irruption, perturbe toujours les projets personnels des hommes »[5].
Les mouvements, signe de l’universalité apostolique
Il est donc légitime d’essayer de comprendre le « lieu théologique » de ces mouvements. De s’interroger sur leur place dans l’Eglise. Ont-ils le droit d’exister ? Si oui, sur quels fondements? C’est-à-dire, en vertu de quelles dispositions du Seigneur qui a fondé l’Eglise ?
La réponse du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi à cette question difficile est en réalité fort simple !
La conclusion du cardinal est claire : « Je voudrais le dire avec la plus grande vigueur: le concept de la succession apostolique ne s'épuise pas dans le service purement local des Eglises, un élément le transcende. La dimension universelle, dépassant le service des Églises locales, reste une obligation imprescriptible. » (Voir article : Une histoire des Mouvements)
Charismatique et apostolique
On peut donc qualifier avec le cardinal préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi les mouvements à la fois de charismatique (« Voilà que l'Esprit Saint [par ces mouvements surgis après le Concile Vatican II] avait, pour ainsi dire, demandé à nouveau la parole ») et d’apostolique car les communautés qui naissent de l’impulsion déterminante d’hommes comme saint Antoine, saint Benoit ou saint François n’ont d’autre but que de vivre l’Evangile dans toute sa beauté, de vivre selon les Apôtres à la suite du Christ, de vivre « le caractère universel » de la mission confiée par le Christ aux Apôtres (Mt 28, 16-20).
« Si, nous considérons l'histoire de l'Église dans son ensemble, nous voyons clairement apparaître, d'un coté, un modèle ecclésial local, nécessairement marqué par le ministère épiscopal, et qui perdure à travers les siècles comme une structure de base. Mais il y a également, d'un autre côté, à travers l'histoire, des voies toujours nouvelles, des mouvements qui remettent continuellement en valeur le caractère universel de la mission apostolique et la radicalité de l'Évangile, et assurent aux Églises locales vitalité et vérité spirituelle. »
Saint Thomas d’Aquin ajoutera à Ac 4, 32[6], texte de base fondant les différentes de vie monastiques du 1° millénaire, le discours apostolique de Jésus que l’on trouve en Mathieu 10 : « La vie apostolique consiste en cela: après avoir abandonné toute chose, les apôtres parcoururent le monde en annonçant l'Évangile et en prêchant, comme cela résulte de Mt 10, qui s'impose à eux comme une règle »[7] ; et Ratzinger continuait : « La polémique parisienne entre le clergé séculier et les représentants des nouveaux mouvements se réclamant de ces textes reste d’une grande importance. Une idée étroite et appauvrie de l'Église, fondant de manière absolue la structure de l'Église locale, ne pouvait tolérer la nouvelle classe des prédicateurs qui, de leur côté, trouvèrent nécessairement leur soutien auprès de celui qui porte la charge d'un ministère ecclésial universel, auprès du Pape, garant de l’envoi missionnaire et de l'organisation de l'Église. »
Ici le futur Pape introduit un nouvel élément important : le garant de la dimension toujours universelle de l’Eglise, celui qui permet aux églises locales de ne pas se refermer sur elles-mêmes, sur leur petites habitudes et leurs étroits horizons culturels est le Pape. Toutefois, il est évident que le Pape ne peut ni n’a à lui seul la possibilité d’être et de vivre cette dimension universelle de l’épiscopat. Tous les évêques partagent avec lui ce souci du salut du monde. Mais, « dans l'Église doivent toujours être présents également des services et des missions qui ne soient pas de nature seulement locale, mais qui soient au service de l'ensemble de l'Église et de la propagation de l'Évangile. »
Le lieu théologique des mouvements
Les mouvements ont donc leur « lieu théologique » dans la succession apostolique avec un lien spécial avec le Pape[8], successeur de Pierre à qui a été confié toute l’Eglise et sa mission universelle. « Si la place des mouvements dans l'Église est "l’Apostolicité", alors pour eux, à toutes les époques, la volonté de vivre la vie apostolique est fondamentale. Le renoncement à la propriété, à une descendance, à imposer sa propre idée de l'Église, c'est-à-dire l'obéissance à la suite du Christ, ont toujours été considérés, à toutes les époques, comme les éléments essentiels de la vie apostolique, qui naturellement ne peuvent être valables de façon identique pour tous ceux qui participent à un mouvement, mais qui sont pour tous, à travers diverses modalités, les critères d'orientation de la vie personnelle. La vie apostolique, en outre, n'est pas un but en soi, mais elle donne la liberté de servir. »
Dossier Charisme :
Article 1 : Qu'est-ce qu'un charisme ?
Article 2 : Le charisme est-il une nouveauté ?
Article 3 : Pentecôte 2006
Article 4 : Une histoire des Mouvements
Article 5 : La maturité ecclésiale des Mouvements
Article 6 : La Congrégation pour la Doctrine de la Foi se prononce sur les Mouvements
Article 7 : Le lieu théologique des Mouvements
Article 8 : L'appel pressant du pape Benoît XVI aux évêques
[1] Toute les citations de cet article sont tirées de la conférence du cardinal Ratzinger : https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/messages/pont-messages/2006/documents/hf_ben-xvi_mes_20060522_ecclesial-movements.html
[2] Le cardinal Ratzinger écrivait la même chose 20 ans auparavant dans son livre « entretien sur la foi » (Paris, Fayard, 1985, p. 47-48).
[3] Cf. Dossier « charisme » (4) : Une histoire des Mouvements ; où le blog Terre de Compassion a publié de larges extraits de la dimension historique des mouvements charismatiques de cette même conférence.
[4] Cf. note 15 : « Cf. J-P. Torrell, Initiation à saint Thomas d'Aquin. La personne et son œuvre. On y trouve une présentation très claire et stimulante de la position de saint Thomas dans la polémique sur les ordres mendiants, particulièrement pp. 102-114. »
[5]Le cardinal ne nie pas non plus dans les mouvements les « tendances à l’exclusivisme » c’est-à-dire à considérer que leur manière d’être chrétien est la seule valable
[6] « La multitude des croyants n’avait qu’un seul cœur et qu’une seule âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était en commun »
[7] Contra impugnantes Dei cultum et religionem 4, selon J-P. Torell, op. cit. p. 109 (note 18 du texte de Ratzinger)
[8] On pourra noter la grande amitié entre Jean Paul II, Pape de la mission universelle par excellence, et les mouvements, spécialement avec leurs fondateurs comme Don Giussani, Chiara Lubich, Kiko Arguelo…