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Wadih el Safi : « mon pays est à la fois mon père et mon fils »

En ce mois d’Octobre, le Liban fait mémoire d’une des figures qui a le plus marquée la culture musicale libanaise, notamment le Tarab. Chanteur, oudiste et compositeur Wadih el Safi (01/11/1921 – 11/102013) était passionné par son pays et par la musique, par ses montagnes libanaises natales desquelles il a « tout reçu ». Il disait souvent : « Pour moi, mon pays c’est à la fois mon père et mon fils ».

Une voix forte et pure, un cœur contemplatif et généreux

Ses montagnes de Niha ont forgé en lui une force et à la fois une pureté, puisque « el Safi » en arabe veut dire « le pur », titre qu’il a reçu au début de sa vie artistique dans les années 30 et qui  l’a accompagné tout le long de ses soixante ans de carrière. Sa Voix exceptionnelle, mélangée de vigueur et de pureté, a conquis tous les libanais et le monde arabe et lui a permis de recevoir le titre de « La Voix du Liban ».

La passion de Wadih el Safi pour le Liban a été si contagieuse que toutes ces chansons ont introduit les libanais dans cette passion pour leur pays, dans cette mission de veiller précieusement sur ce trésor qui leur est confié. Il suffit de le voir chanter pour percevoir sa simplicité et sa spontanéité qui appartiennent uniquement à ceux qui ont un cœur d’enfant. Même très âgé, il chantait toujours avec cette même force qui l’habitait, avec un cœur si généreux, conscient que ce qu’il a à donner maintenant c’est sa paternité et son expérience aux nouveaux chanteurs.

Les libanais ont reconnu en lui une voix qui les représentait, qui a su préserver la splendeur de la tradition musicale de leur pays, puisqu’il a mis en musique la poésie dialectale libanaise par les fameux Zajal sur des thèmes patriotique, religieux, et les valeurs dans l’éducation. Ces chansons sont des poèmes qui révèlent vraiment son cœur contemplatif. Il chante son émerveillement devant la beauté de la création, l’amour du créateur, et la mission de l’homme de contempler cette beauté et de s’émerveiller. Il révèle à ceux qui l’écoutent le secret de sa propre joie.

Voici le paroles d'un Mawwal (improvisation vocale non métrique sur un texte poétique, ndr) dans lequel il chante tout son amour pour le Liban : 

« Oh Liban, un bout du ciel sur terre, et il n’y en a point un autre.
Tes paysages sont de magnifiques tableaux que Dieu a peints, plus beaux que la Beauté même.
Beautés que Dieu a caché aux avides et offert aux humbles.
Oh Liban, un bout du ciel, ton nom sur mes lèvres est une prière.
Oh Liban, Que Dieu rende toujours joyeuses tes belles journées, toi qui est le matin du monde.
Les sommets de tes montagnes ont été couronnés de lumière.
Les ailes d’un de tes beaux Rossignol s’est dressé dignement après toute sa lutte contre la folie des tempêtes ;
et montrant fièrement ses plumes mouillées par le parfum de la rosée, gazouille en chantant :
" Oh Liban, un bout de ciel sur terre, ton nom sur mes lèvres est une prière… "
 
Et voici le chant : 

Une passion qui engendre

Wadih el Safi depuis l’âge de 17ans jusqu’à sa mort, a chanté toujours ce qui l’habitait profondément, sa passion pour la musique, son identité libanaise, qui n’a pas été uniquement une identité qui définissait sa nationalité, mais son être même. Sa passion était si grande et si belle, qu’elle a introduit par sa vérité,  et d’une façon si naturelle, d’autres chanteurs. Ainsi Wadih el Safi n’a pas été uniquement père de 6 enfants dans sa propre famille, mais père aussi de beaucoup de chanteurs qui ont été engendré par lui, pour donner à leur tour le meilleur d’eux-mêmes. En 2010, au festival de Byblos, il a chanté avec les deux jeunes chanteurs libanais Najwa Karam et Wael Kfoury. Sur le visage de Wadih se lit toute l’affection paternelle sur les visages de Wael et Najea se lit toute la reconnaissance devant un père, un maitre qui les éduque à donner le meilleur d’eux-mêmes en se mettant au service de leur personne.  

Son duo avec la grande chanteuse libanaise Najwa Karam en est la preuve. Ensemble ils ont chanté le thème de la Paternité dans une magnifique chanson qui s’appelle « Et on a grandi, père… ». Un dialogue entre un père et sa fille qui font mémoire de tout le chemin parcouru dans l’éducation, de toute la tendresse d’un père pour sa fille. Tout en la voyant grandir, il la regarde toujours comme son « petit enfant ». Un extrait de la chanson dit : « …Ma fille, quand tu étais petite, je te protégeais sous mon aile, afin que tu te reposes, et maintenant que tu as grandi c’est toi qui est devenue mon aile qui m’aide à avancer… »

Ô mon fils ! 

Le thème de la filiation a été particulièrement chanté par lui. Ainsi sa chanson « Mon fils » (vidéo suivante) est comme un testament pour tout le peuple libanais, de la part de leur père dans la musique pour qu’ils demeurent fidèles à ce qu'ils ont reçu. Ainsi, le jour de son décès, le ministre de la Culture du gouvernement libanais commentais : « Le nom de Wadih El Safi résume à lui seul tout le Liban ».

Voici les paroles de cette chanson :

« Oh mon fils, pour ton pays c’est ton cœur qu’il faut donner, et rien ne peut l’enrichir, sinon ta pensée. Si toi tu ne le défendras pas des malheurs, personne d’autre ne le fera. Ton père te confie avant sa mort : "ton pays est une prière, et c’est à l’Amour qu’il faut le prier". Et si jamais les malheurs ont pesé sur lui, ou des yeux fourbes posent le regard sur lui, demeure fort comme un lion qui défend sa foret face au danger, et que ton rugissement atteigne le monde entier pour le sauver.

Oh mon fils, ton pays, le jour même où la lumière a été créée, ses étoiles se sont illuminées ; et sur ses rivages, le premier bateau qui a fait le tour du monde, c’est depuis sa mer qu’il a déployé ses voiles. Nos cèdres ont vécu des siècles, et nous, aujourd’hui, notre fierté vient du long passé de ces cèdres, toujours verts, debout sur les épaules de nos montagnes pour veiller sur nous, et toute la folie des tempêtes n’a pas réussie à les faire fléchir.

Oh mon fils, ton pays est un paradis pour l’Homme, et avec ta voix de rossignol, ne t’arrête jamais de le chanter, de t’émerveiller passant des roses au basilic, et ses histoires, raconte-les toujours. Sur ton pays, veilles toujours mon fils, et les yeux qui s’alourdissent autour de toi, réveille-les. Le Liban, ta terre, c’est uniquement à ton fils que tu les donneras en héritage.

Oh mon fils, que le Ciel te sourie et te protège, et que tu reste toujours sur ce chemin de dignité et de gloire. Laisse tes rêves t’emporter jusqu’au soleil, et tu construiras l’escalier pour y monter, un pas après l’autre, et à ton retour, ton pays t’accueillera les bras ouvert, et  racontera de toi toutes les gloires. »

La foi de Wadhi le pure

A l'exemple de sa voix, la foi de Wadih el Safi a été aussi forte et pure, contemplative et incarnée. Tout le long de son pèlerinage sur cette terre, il a témoignée de cette foi en Dieu qui unifiait tous les aspects de sa vie, le rendant UN devant son Createur, le secret de cette paix qui emane de son visage, à travers son sourire. Il a ainsi interprété les beaux chants liturgiques, tout particulièrement du rite maronite. Voici une illustration avec le chant du sanctus :

 
Saint, saint, saint, O Toi Seigneur Dieu, fort, Sabaot,
le ciel et la terre sont remplis de Ta gloire.
Hosanna au plus haut des cieux.
Beni soit celui qui vient au nom du seigneur.
Hosanna au plus haut des cieux.
Kyriel Eleison.

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2 Commentaires

  1. The Voice

    Je viens d'écouter la vidéo "Mon fils", ainsi que cette prière. Je reste sans voix ! La fluidité d'une voix sans comparaison qui se maintient avec une telle clarté et une telle profondeur malgré l'âge, sa capacité de représenter la réalité, les choses, les émotions très subtiles par des effets de voix et d'acteurs si variés et complexes, comme par exemple l'autorité du père qui enseigne une chose importante à son fils dans ce concert magistral que vous partagez ici, la manière de goûter chaque émotion poétique, de la porter avec une élégance et une justesse viriles, tout en faisant vibrer le publique qui sait apprécier ce qu'est un chanteur… Je dirais presque qu'à côté, la culture occidentale avec ses canons, son esthétisme emprunté, son chant lyrique, pour splendide qu'elle soit, fait figure de grosse Berta. Quel domage de ne pas comprendre ces textes spontanément. Merci pour cet article et pour les traductions !!!!!!

  2. Jean-Marie

    Quelle extraordinaire pureté de la relation entre le chanteur et son élève… la vidéo de "W Kberna Ya Baye" est magnifique, merci ! Une telle pureté, une telle chasteté et admiration dans la relation ne peut être que le fruit de la grande Présence qui se cache dans leur art. J'ai trouvé une traduction en anglais du texte :

    Wadeh – I cant rest neither can my heart rest. I feel lost and have lost the key. My thoughts worry me and my eyes are awake. My daughter I feel you hurt and sad. I see dark clouds in your eyes that are raining out pain. Maybe am wrong or maybe you're wrong.   Najwa- Your feeling is in its place Dad your feeling is right and if you excuse me I'd to tell you that your daughter is grown up now. Every time a dark clouds passes me what comes to my mind? comes to my mind your words comes to my mind your looks and I go back in time back to the first chapter of my life a young one when you looked after me.   Wadeh – Yes daughter when you were young I hid you under my wing I hid you so you may rest and now you're all grown up you've become my wing. I swear to your eyes that time as much as I was worried about you I use to draw pictures and write you stories so my heart can surround you all over and you'd be the smell of lilies that fills that house and grows in everyones eyes. But stay young in my eyes.   Najwa- We grew up dad and the days grew in us and responsibility grew with us and the dreams grew. For my sake dad share the responsibilities with me. Yes dad.   Wadeh – Dont worry my daughter the flower of my eyes Alone I wont leave you. I know you're all grown up and I most understand you.   Najwa – I will try not to hide anything from you and not complain to anyone but you. I look into your eyes I feel you understand me before I even talk. It’s hard for me to go on alone when they took from me the happiness of love they took the heart of my heart and stole my smile.   Wadeh – I cant believe what am hearing I feel my heart is starting to tear.   Najwa – They took my voice to whom shall I sing? They stole the colors of my tears they wouldn’t let my eyes cry. Help me dad don’t leave me give my heart its smile back.   Wadeh – You will get your smile back and the happy days and I will not leave you alone not even a minute. And I won’t let you wait too long and the night will meet tomorrow to your heart I will give its smile I will give it. Najwa – I had no doubt Dad that if we spoke we'd take the problems down and we'd understand each other. Yes Dad. Wadeh – Yes Daughter Najwa – Yes Dad

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