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François Gabart autour du monde : La Terre n’est pas si grande que cela !

42 jours 16 heures 40 minutes et 35 secondes suffisent désormais pour faire le tour de la planète à la voile en solitaire. Ce record a été établi dimanche dernier par François Gabart à bord du trimaran Macif. Le marin basé à la Port-la-Forêt en Bretagne explose le précédent record de plus de six jours. Breathtaking, comme disent nos amis Anglais. 

 Le trimaran Macif presque volant (source : Jean-Marie Liot / DPPI / Macif)

Le niveau atteint par François Gabart en solitaire marque une évolution extraordinaire de la navigation à voile. En avril 1993, Bruno Peyron et son équipage devenaient les marins les plus rapides bouclant leur tour du monde en 79 jours, 6 heures et 15 minutes. Un quart de siècle plus tard, il semble que la voile soit entrée dans une autre dimension : les équipages ne mettent plus qu’une quarantaine de jours à parcourir la même distance et les solitaires à peine deux jours de plus. Et les prochaines tentatives promettent d’être encore plus rapides sur des bateaux volants… L’évolution tient en peu de mots : beaucoup plus d’informations, beaucoup plus de maîtrise technique et des marins aux compétences prodigieuses.

Naviguer à l’heure des Big Data

Si l’on tient compte des données encore inconnues dans les années 1970/ 80, les défis maritimes d’alors étaient sans doute plus proches des traversées de Christophe Colomb ou de Vasco de Gama que de ce qui se fait aujourd’hui. En 1976, le grand précurseur de la voile professionnelle qu’était Eric Tabarly terminait en vainqueur sa Transat anglaise, sans comité d’accueil… Il était arrivé trop rapidement, et n’ayant plus de radio depuis plusieurs jours, personne ne pouvait imaginer ou il se trouvait !

Quelques décennies plus tard la situation a totalement changée. Désormais, sur internet, vous pouvez suivre en temps réel, non seulement la position des coureurs en mer, mais encore le moindre cargo en navigation, et même le moindre iceberg à la dérive (enfin presque…). Vous pouvez aussi savoir exactement combien d’heures les marins passent dans leur bannette, ou combien de tours de manivelle de winch ils ont effectué dans la journée. Et si la météo vous chante vous pouvez aussi analyser la stratégie des navigateurs… Le monde est devenu beaucoup plus lisible et la mer un peu moins mystérieuse.

Ainsi lorsque François Gabart embarque pour un tour du monde, il est connecté en permanence, et peut solliciter des centaines de données en temps réel qui lui permettent d’adapter son parcours, et d’entreprendre par exemple des détours de plusieurs centaines de miles en deux ou trois fois moins de temps que s’il allait tout droit. Le solitaire a aussi toute une équipe à terre qui analyse toutes les données qu’il leur envoie. Il dispose encore d’une équipe technique, prête à le conseiller en cas de pépin et qui connaît jusqu’au niveau de consommation des stocks de stratifié, de colle, de vis, etc.

Ces données et ces échanges ne diminuent pas la solitude du marin, ni n’entament le caractère d’aventure de navigations en la seule compagnie des albatros. Elles augmentent assurément sa sécurité, mais elles lui permettent surtout d’aller beaucoup, beaucoup plus vite.

Des bateaux de plus en plus volants

À peine amarré au quai Malbert à Brest, bombardé de questions par la presse, François Gabart n’a pas caché son optimisme pour l’avenir. Il ne fait aucun doute pour lui que les prochains bateaux iront encore plus rapidement autour du monde et que son record à peine établi sera largement battu dans un futur proche. Son trimaran Macif conçu il y a cinq ans est bien né, et la tentative de record à son bord s’est visiblement faite au bon moment, dans une bonne fenêtre météo. S’il avait trop attendu, François Gabart aurait probablement vu un concurrent sur un bateau plus récent lui brûler la politesse.

Comme on l’a vu en effet pour les dernières éditions de la Coupe de l’America, la recherche de vitesse en voile s’accompagne aujourd’hui de la nécessité de sortir les bateaux de l’eau, en les appuyant sur les fameux foils. Ces sortes d’ailerons aux formes étranges ont de plus en plus la capacité de soulever intégralement et de maintenir en l’air l’ensemble de la coque. La résistance de l’eau, premier frein à la vitesse, en est d’autant diminuée. Mais, et c’est là une énorme avancée, la vitesse du bateau étant beaucoup plus élevée, une sorte de vent supplémentaire se crée, et l’embarcation peut alors aller beaucoup plus vite que le vent réel ! Ainsi, les bateaux n’ont plus nécessairement besoin de vents très forts pour aller plus vite, c’est même parfois le contraire.

Le trimaran Macif est une sorte d’hybride entre ce qui s’appelle désormais la navigation archimédienne (la coque dans l’eau) et la navigation sur foils. Cela permet déjà d’aller très vite et d’affoler les compteurs, mais ce n’est sans doute qu’un début.

Le solitaire en course : activer le mode surhomme

Humble, le nouveau détenteur du record a tenu à remercier son prédécesseur, Thomas Coville, qui avait bouclé le tour en solitaire en 49 jours et quelques. Il a aussi remercié Francis Joyon et son équipage, détenteur du record en équipage, en 40 jours. Cet hommage a révélé combien le facteur humain était tout aussi décisif pour atteindre de tels sommets.

François Gabart, dimanche 17 décembre à son arrivée à Brest. Source : Alexis Courcoux / Macif)

Malgré toutes les évolutions techniques possibles, malgré les immenses possibilités d’accéder à tant d’informations, il y a toujours un bateau à faire avancer, des voiles à régler, des dangers à éviter, des réparations à faire, des sommeils réparateurs à rattraper dans une boîte flottante qui file à travers un champ de mine et des creux de 7 à 10 mètres… Une navigation solitaire est déjà une épreuve qui nécessite pas mal d’audace, une course contre la montre sur un monstre de vitesse c’est encore autre chose. Et si la technique ou l’informatique permettent d’atteindre des moyennes impensables il y a encore quelques années, il faut avouer que toute cela ne favorise pas le confort du marin.

Pour François Gabart, ces 42 jours « à fond la caisse » ont été une véritable épreuve physique et morale. Ce fut un vrai défi d’aller dormir ses trois ou quatre heures par jour en faisant confiance à son pilote automatique et à ses alarmes. C’en fut un autre de se calquer sur les routages optimaux calculés justement grâce à l’énorme flux d’informations météo. Dans ses interviews, il a donné l’impression d’avoir souvent cherché à se surpasser pour correspondre à ce que la technique lui permettait théoriquement d’accomplir. Analyste, barreur, régleur, réparateur, stratifieur, électricien, plombier, marathonien, haltérophile… Dans tous les domaines, il lui a fallu donner le meilleur de lui-même, dans une extrême rapidité, sans souvent avoir le droit à l’erreur, pour qu’à la fin son bateau revienne en un seul morceau et dans les temps. Et sur ce point, les témoignages sont unanimes. Ses amis et concurrents se disent tous pleins d’admiration pour ce qu’il vient d’accomplir dès sa première tentative. Intelligent, certes, excellent marin, certes, mais aussi, et peut-être même surtout, capable d’aller chercher très profondément en lui-même cette énergie spéciale qui lui a permis d’appuyer constamment sur le champignon sans pourtant prendre des risques inconsidérés.

À son arrivée, si François Gabart ne cherche pas à diminuer sa performance exceptionnelle, il ne peut pourtant pas s’empêcher d’affirmer aussi que « la Terre n’est pas si grande que cela ! » Il est un bel exemple de cette nouvelle génération de ces marins qui n’ont de cesse que de repousser toujours plus loin les limites que l’homme s’était fixé, et de faire cela en toute simplicité. Difficile de ne pas applaudir. Chapeau !

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