Dans la nuit du 25 au 26 janvier 2018, des informations sont arrivées du Nanga Parbat (8.126 mètres au-dessus du niveau de la mer) sur les problèmes d’un couple d’himalayiste polono-français. C’est alors qu’aux yeux du monde, une opération de sauvetage extraordinaire a commencé – un combat héroïque pour deux vies humaines.
L'expédition conjointe du Polonais Tomasz Mackiewicz et de la Française Elisabeth Revol avait débuté fin décembre 2017. L’aventure avait quelque chose d’exceptionnel, puisqu’Elisabeth Revol était la première femme à entreprendre cette ascension en hiver sans sherpa ni oxygène.
Le 25 janvier 2018, l'équipe était sur le point de mener l’assaut du sommet. Ils étaient déjà à une altitude de 8.000 mètres lorsqu’en quelques instants ils disparurent dans les nuages qui couvraient le dôme. Les nouvelles suivantes reçues d’eux étaient un appel au secours. Selon Elisabeth Revol, ils avaient réussi à atteindre le sommet, mais c'est là qu'elle remarqua que quelque chose n’allait pas. Tomasz avait des symptômes du mal de l'altitude et de nombreuses gelures. Pendant la descente, l'état du Polonais ne cessa de se détériorer. De l'altitude de 7.400 à 7.200 mètres, Revol dû pratiquement porter Mackiewicz. À la fin, quand il ne pouvait plus continuer sa marche, elle l'a laissé dans un creux protégé du vent, couvert d'un sac de couchage, essayant pour sa part de continuer à descendre malgré son état.
À la rescousse
Face aux informations alarmantes venant du Nanga Parbat, l'organisation de l'opération de sauvetage commença. Des grimpeurs polonais stationnés au camp de base du K2 (environ à 200 km du Nanga à vol d’oiseau) se portèrent volontaire pour leur venir en aide. Le samedi 27 janvier autour de 18 heures, quatre alpinistes polonais Adam Bielecki, Denis Urubko, Piotr Tomala et Jarosław Bator atteignirent en hélicoptère le pied de Nangi, à une altitude de 4.800 mètres. Malgré l’arrivée de l’obscurité, Bielecki et Urubko commencèrent l’ascension. Sans câble de sécurité, en pleine nuit et à une température exceptionnelle de -60 degrés, l'équipe gravit 1.200 mètres d'une route très difficile. A deux heures du matin, ils avaient atteint 5.970m. C’est là qu’ils trouvèrent Elisabeth Revol exsangue et presque gelée. Malheureusement, face aux terribles conditions météorologiques et la hauteur à laquelle Mackiewicz était situé, il fut décidé que l'opération de sauvetage devait être interrompue.
Urubko et Bielecki avaient accompli quelque chose de pratiquement impossible. Alors qu’une version optimiste évalue le temps d’ascension à 16 heures, ils l’accomplirent en 8 heures et dans l’obscurité la plus totale.
La montagne de la mort
Le Nanga Parbat (8.126 m) compte parmi les pics les plus difficiles d'accès et les plus dangereux. Dans la communauté des alpinistes, il est surnommé la « montagne de la mort », de par son altitude relative la plus élevée du monde – environ 7.000 mètres de haut avec un des camps de base les plus bas, situé à environ 3.600 mètres. Une personne sur six ayant tenté l’ascension a trouvé la mort et seulement 300 personnes y sont parvenues. En hiver, le Nanga Parbat n’a été conquis qu’en février 2016 par une équipe internationale composée d'Alex Txikon, Ali Sadpara et de Simone Moro. C'était pour Tomasz Mackiewicz la septième tentative d’ascension en hiver. Depuis 2011, il y retournait presque chaque année. En 2016, il avait dû abandonner juste en dessous du sommet en raison du changement de temps. Cette année là, il avait justement grimpé avec Simone Moro, qui l’avait averti des conditions difficiles. Celui-ci se décida tout de même à entreprendre sa dernière ascension. Et bien qu'en 2016, Mackiewicz avait dit au revoir au Nanga, il ne tint pas sa promesse. Juste avant l'expédition de cette année, il écrivait : « Cette montagne ne me laisse pas en paix, c'est pourquoi je dois y retourner ».
Interrogé sur l'origine de sa relation particulière avec la montagne, il avait répondu dans la revue « Przegląd Sportowy »: « J'ai commencé à me demander pourquoi on pouvait marcher sur la lune sans pouvoir gravir le Nanga ou le K2 en hiver ». Nanga est devenu une nouvelle addiction pour lui. Quelques années plus tôt, c’était l'héroïne. C’est peu après son départ du village natal pour Częstochowa qu’il est tombé dedans. Complètement dévasté après 15 ans de dépendance, il fut interné dans un centre, soigné et remis sur pied. On dit que celui qui rebondit après avoir touché le fond veut atteindre les sommets. Ce fut le cas de Mackiewicz, désireux de se vaincre lui-même, de se dépasser pour retrouver sa vie en plénitude.
Il n'avait pourtant pas grand chose d’un grimpeur classique. A son actif, aucun cours d'alpinisme professionnel, ni équipement professionnel ; juste des fonds récoltés auprès de ses nombreux fans qui le soutenaient fidèlement dans son rêve et s'identifiaient à son approche de la montagne et de l'escalade.
Une série de questions
Des milliers de personnes en Pologne ont suivi cette entreprise de sauvetage. Sa progression a été commentée et discuté à la télévision, à la radio et sur Internet. Presque tout le monde a parlé de cette opération sans précédent dans l'Himalaya. Beaucoup se sont révoltés devant l'incapacité à poursuivre l'opération, livrant Maczkiewicz à une mort certaine, quelque part sous le sommet de la « montagne dénudée ». D'autres se sont interrogés sur le sens d’une si grande prise de risque. Tomasz Mackiewicz est parti de Pologne laissant une femme et trois jeunes enfants. Cependant, il n'était pas le premier à donner sa vie aux montagnes.
Oui, une montagne nue, inébranlable et inaccessible ce week-end a soulevé de nombreuses interrogations touchant les questions essentielles de notre humanité.
Dans son livre autobiographique « From Under Frozen Eyelids », l'un des sauveteurs, Adam Bielecki, écrit : « Les gens disent que nous, les alpinistes, ne respectons pas la vie et la risquons sans considération. Je pense que c’est le contraire (…). Si vous êtes assoiffé depuis douze heures, quelle valeur à soudain la moindre gorgée d'eau froide ! Ou de bière ! Après une journée entière d'escalade, le moindre liquide a le goût d’un élixir de jouvence (…). Si vous ne comprenez pas à quel point la vie est fragile, si vous ne rencontrez pas de situation limite, vous ne l'apprécierez pas. Rencontrer la mort vous fait aimer encore plus la vie ».
Denis Urubko, disait, lui, dans une interview : « Pourquoi les gens font-ils cela? J'ai quant à moi traversé trois étapes. Au départ, l'escalade était une aventure et une découverte du monde. Puis, la dimension sportive a pris le dessus. Tu veux être plus performant que les autres, explorer tes limites. Tu fais des pas dans l'inconnu. Peux-tu conserver ton humanité dans des conditions extrêmes, à haute altitude, à la limite de tes forces physiques et mentales ? Mais j'ai peu à peu compris que tout cela ne me suffisait pas, qu’il s’agissait d’ambitions trop mondaines, qu’il faut trouver un sens. Je l'ai trouvé dans l'art. Je vois aujourd'hui l'escalade comme un art. Chaque nouvelle route d’escalade est pour moi comme l’œuvre d’un peintre ou d’un sculpteur, une œuvre qui répond à une nécessité intérieure, incompréhensible pour les autres et non commerciale » [1]http://www.rp.pl/Spoleczenstwo/180129291-Denis-Urubko-mowi-o-zyciu-na-krawedzi.html.
Combattre pour deux vies humaines
Tomasz Mackiewicz a vaincu sa montagne bien-aimée. Il est resté dessus pour toujours. Il a réussi à réaliser son rêve. Nous a-t-il rapproché des réponses à ces questions les plus fondamentales ?
Certes, il est devenu une source d'inspiration pour beaucoup. Cependant, ce que Revol et Mackiewicz, ainsi que l’équipe héroïque de sauveteurs nous ont montré de plus important, n’est-ce pas surtout l’impossibilité d’être indifférent à son prochain, l’importance que revêt la vie d’un homme ?
References
"Si vous ne comprenez pas à quel point la vie est fragile, si vous ne rencontrez pas de situation limite, vous ne l'apprécierez pas. Rencontrer la mort vous fait aimer encore plus la vie". Combien c'est vrai… la vie et tous ses moindres détails est pure gratuité. Une expérience extrême est un réveil pour ne pas tomber dans la banalité d'une réalité qui est là et pourrait ne plus être ou n'avoir jamais été.
Pour abonder dans le sens de l’article en voici un autre (lien ci-dessous) qui rend témoignage au vrai « esprit montagnard »… la vie avant tout, la vie et encore la vie!
https://alpinemag.fr/la-liste-de-denis-urubko/
Quelle magnifique aventure. Et même si la mort y est passée, quelle mort !
Merci pour ce regard sur cet évènement tragique…magnifique regard de Denis Urubko !
Un edito de Laurent Joffrin, le prix du rêve, qui va dans ce sens là…
La terrifiante aventure d’Elisabeth Revol restera dans l’histoire de l’alpinisme. A cause de l’indifférente cruauté des hauteurs himalayennes. A cause du choix impitoyable qu’elle a dû faire et que chacun comprend, dans sa simplicité inhumaine. Ou trop humaine. A cause de l’intense mouvement de solidarité qui a réuni la communauté montagnarde pour sauver cette alpiniste intrépide et respectée. Il se trouvera bien sûr des esprits chagrins pour déplorer les risques insensés que prennent ces grimpeurs de l’impossible, de plus en plus audacieux, ou de plus en plus présomptueux. A quoi sert l’alpinisme ? A rien. Alors pourquoi déployer ces moyens de secours dispendieux pour arracher à la montagne des aventuriers parfaitement conscients des dangers qu’ils courent ? Pourquoi risquer la vie des sauveteurs ou des pilotes d’hélicoptères pour la vaine gloriole de ces têtes brûlées qui entraînent les autres dans leur folle équipée ?
Les Sancho Pança des vallées ne manqueront pas de mots pour fustiger les Don Quichotte des altitudes qui chargent des moulins vertigineux pour satisfaire, dit-on, leur fantasme d’héroïsme et de gloire. Mais justement. Qu’est-ce que la vie, telle que la conçoit Sancho ? Sinon la résignation, le bon sens à front bas, la modération avaricieuse de ceux qui n’aiment pas l’impossible. D’ailleurs, à la fin du roman de Cervantès, le terre à terre Pança finit par être gagné par le romantisme inconséquent du «chevalier à la triste figure». Les secours coûtent cher ? Les hélicoptères brûlent du carburant ? Les deniers publics ou les primes d’assurance sont trop mis à contribution ? Certes. Mais pour tous ceux qui contemplent avec envie ou fascination la saga des sommets inutiles, c’est le prix du rêve. Le rêve, cet aliment de base de la pauvre humanité. Le rêve qui, en fait, n’a pas de prix
Le sort de Revol et Mackiewicz laisse notre cœur tiraillé: larmes de bonheur mélangées au désespoir, admiration pour le sauvetage spectaculaire et frustration.
Oui beaucoup de questions: qui sont les personnes qui entreprennent de tels défis? Quelles sont leurs motivations? Comment leurs proches le supportent-ils, particulier les conjoints? Si l'escalade est un sport, le sport peut-il être confronter à des choix aussi dramatiques, à un prix aussi élevé?
Et pour aller plus loin: qu'a ressenti Revol en décidant de laisser son partenaire seul à la hauteur de plusieurs milliers de mètres? Quels sentiments habitaient le cœur de la femme de Mackiewicz quand elle appris qu’il était condamné et a remercié toutes les personnes impliquées dans le sauvetage de son mari? Qu'a vécu le père du grimpeur quand – malgré des arguments rationnels – il a soutenu que l'opération de sauvetage de son fils devrait être reprise, parce que ce dernier est toujours en vie …
Paradoxalement – malgré tout le drame qui a eu lieu sur le Nanga Parbat, je crois que si nous pouvons éviter de produire juste des évaluations et des opinions, les réponses à ces questions peuvent nous remettre devant ce qu’il a de plus beau dans la nature humaine.
Ce qui m'a quant à moi le plus ému de ces événements fut la pensée de la mort Mackiewicz, quelque part, loin de tout homme – dans la solitude totale. Quelle épouvante ! Y a-t-il quelqu'un au monde qui puisse consentir à mourir dans un dépouillement et un isolement aussi extrêmes?
Mais immédiatement – une réflexion est venue. Il n'était pas seul. Là, Dieu était avec lui au sommet de Naga Góra. Et peut-être qu’en dépit des apparences la mort du Polonais était, en un sens très belle. Sans rien qui pourrait le distraire, sans rien à quoi se raccrocher, sinon la seule PRÉSENCE de Dieu qui l’attend. Seul à seul.
Dans l'une des courtes vidéos circulant sur Internet sur Internet, Makiewicz dit:
[L'homme] fonde souvent sa valeur sur la matière, qui, après tout, comme vous le savez – et à plus forte raison dans les montagnes – ne fait que passer, tout comme l'homme d’ailleurs.
Je le recommande à la prière de tous ceux qui comme moi ont été touchés par son histoire.
Merci Sofia de nous offrir ces vies à travers ce magnifique article (et les commentaires qui suivent !) Chacune de ces personnes a fait de sa vie en chef d’œuvre… « Tous ne sont pas appelés à être artistes au sens spécifique du terme. Toutefois, selon l'expression de la Genèse, la tâche d'être artisan de sa propre vie est confiée à tout homme : en un certain sens, il doit en faire une œuvre d'art, un chef-d'œuvre. » (JP II)