Tout récemment encore, le député de la Somme de la France insoumise, François Ruffin, se fendait d’une sortie qui a fait le tour des réseaux sociaux sous le nom presque comique de « plaidoyer pour les poules, les vaches, les cochons », tenue à l’Assemblée nationale dans le cadre du débat sur la « loi alimentation ».
Dans ce discours, François Ruffin s’élève contre l’élevage intensif et va même jusqu’à proposer la fin du système des « poules pondeuses élevées en cage », premier pas pour mettre fin au système de l’élevage intensif en France. Noble combat peut être, jusque-là rien d’exceptionnel, mais la fin du discours est étonnante ; alors qu’il répond à la possible accusation qu’on lui fera de préférer les animaux aux humains, il se défend : « Comme si, soudainement, pour les animaux, je changeais de camp. Comme si, pour des poules, j’abandonnais l’humanisme, comme si je trahissais les travailleurs. Mais au contraire. Au contraire. C’est un continuum ». Il y a donc pour lui un continuum entre conditions animale et conditions de travail qui rappelle le « tout est lié » du Pape François dans Laudato si ; il poursuite imperturbable : « La Nature. Les animaux. Les hommes. C’est un continuum. C’est une même bataille contre un même Léviathan », le Léviathan du « tout économie », du profit sans considérer l’homme. Il va même jusqu’à terminer son discours en citant l’évangile, étonnant pour un agnostique pratiquant : « Un mec a dit, il y a environ deux mille ans, ce que vous faites aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites » et enchaine sur une interprétation personnelle de la phrase du Christ : « Je dirais : ce que nous faisons aux plus petits d’entre les nôtres, c’est à nous que nous le faisons. C’est notre âme qui se tarit, qui s’assèche, qui se racornit. C’est notre tolérance à l’injustice, voire à l’horreur, qui s’accroît ». François Ruffin ne dénonce pas des failles dans le système, des dysfonctionnements, mais réclame la réformation de l’industrie. Combat de David contre Goliath sûrement mais qui à au moins le mérite de faire entendre dans les débats parlementaires que bien souvent les lois sont des cache-misères à des dysfonctionnements beaucoup plus profonds. [1]https://www.youtube.com/watch?v=0YeVosH1UuA
Interrogé il y a quelques jours sur ses ambitions présidentielles, il a botté en touche, mais son style, ses combats, nous réveillent. François Ruffin se définit lui-même comme d’abord un journaliste. Il a fondé et conduit la revue Fakir, sans pub, ni gros financeurs et qui connait un franc succès. Il a produit sur ses fonds propres et réalisé le film documentaire « Merci patron », succès inattendue (450 000 entrées). Aujourd’hui, il est député de la France insoumise, encore un succès inattendu, il a mené une campagne de pauvre, allant de maison en maison, s’intéressant vraiment aux petites gens et apprenant à les aimer. A chaque discours, il évoque un exemple de ces vies qu’il connait bien. Sa cible préférée est le gros patron du CAC40, les Bernard Arnault, Vincent Bolloré…, ils les traquent avec un plaisir évident pour essayer de les confronter à leurs abus. Il est leur mauvaise conscience et essaie d’ouvrir les nôtres à ces injustices silencieuses et acceptées sous anesthésie. Il s’attaque à la mondialisation heureuse, la financiarisation de l’industrie, aux délocalisations boursières. Il n’oublie pas toutes ces vies cassées, ces oubliés de la mondialisation heureuse. Il a trouvé à l’assemblée une nouvelle tribune pour dénoncer encore et encore. Il n’est pas un grand tribun, il bafouille parfois, lis ces notes, mais ce travailleur acharné parle avec son cœur et il fait mouche. On peut parfois y retrouver des accents de l’abbé Pierre.
Parmi ses nombreux discours deux autres ont eu récemment un grand succès sur les réseaux sociaux. Le premier, sa rencontre avec les femmes de ménage de l’Assemblée. Il a pris du temps avec elle, a découvert leur condition de travail depuis que le service a été externalisé. Quand il les défend, il connait bien leur nom, la beauté de leur travail, leur galère, leur invisibilité … et leur salaire (600 € à Paris). Le discours tombe dans une certaine facilité de la dénonciation peut-être, proposes des solutions à l’emporte-pièce, mais il a au moins le mérite de pointer du doigt une souffrance de personnes réelles, rencontrées « ici, sous notre nez, à l’Assemblée ». On peut imaginer que quelque chose aura changé dans les relations avec ces femmes de ménage par le simple fait qu’on ait parlé d’elle dans l’hémicycle ? Simplement que d’autres se soient mis à les regarder [2]https://www.youtube.com/watch?time_continue=12&v=sVBNxwkQ8os ?
A l’image des veilleurs, François Ruffin cherchait un réveil des consciences de ses compatriotes face au « TINA » (There Is No Alternative) cher aux Thatcher/Macron. François Ruffin est un obstiné qui utilise tous les moyens à sa disposition. Il dénonce, raconte, provoque, met en scène parfois ! Comme il l’a fait il y a quelques mois pour défendre la cause du sport amateur, oubliée selon lui à côté énormes budgets du sport professionnel. Alors que la ministre des sports avait parlé du sport en termes financiers (« vous êtes la ministre des sports mais vous ne nous en avez parlé qu’en termes de compétitivité, de part de marché avec des raisonnements de trader »), lui décide « de faire entrer dans l'hémicycle le visage de tous les gens des petits clubs ». Enlevant son pull et arborant fièrement le maillot de son club amateur il se lance dans le récit du « miracle des maillots pliés », parle, d’Annie, de Franck, le président qui fait tout « pour les gamins ; lui veut que les gamins soient heureux ». Il raconte qu’il a interrogé Franck : « C’est quoi la motivation profonde pour laver les maillots », ainsi, toutes les semaines ? Et répond, La gratuité, le don de soi, le bonheur des gamins, l’histoire d’un miracle… Il suffit « que nos enfants nourrissent une passion et on les sauvera et qu’ils se sentent bon à quelque chose… voilà après quelques médailles d’or après lesquelles nous devons courir » [3]https://www.youtube.com/watch?v=qaBrXzrNWPU.
Qu’on soit d’accord ou non avec ses idées, qu’on adhère ou non à ses discours enflammés, François Ruffin a le mérite de faire rentrer de temps à autre à l’Assemblée Nationale, non les conclusions d’une énième commission européenne sur le sport, non la voix d’un nouveau lobby de l’élevage intensif, mais des visages concrets, issus de rencontres. C’est la méthode de quelqu’un qui regarde et écoute sûrement : « J’ai la même difficulté à définir la spiritualité que je l’aurais avec la liberté ou l’égalité. Je suis incapable de partir d’abstractions. C’est un mode de réflexion qui n’est pas le mien. (…) Je pars toujours de la situation de quelqu’un, et de là, je m’élève à des généralités. Pour en arriver même parfois à ce que l’on pourrait considérer comme de la spiritualité, de l’espérance. J’ai besoin de partir du sol ».
Entre l’intuition du « tout est lié » pour la loi alimentation, celle de la dignité des personnes dans le travail, le sens de la gratuité et du don de soi dans le monde associatif, François Ruffin porte et fait entendre de vraies et belles intuitions.
Jacques Deschamps
Comme vous le dites, même si l'on n'est pas d'accord avec toutes ses prises de position, cet homme politique a le mérite de partir de la réalité, de visages concrets et non pas de "grandes idées" qu'il essaie de plaquer à tout prix sur cette réalité, en particulier pour défendre ses propres intérêts et ceux de ses amis ! Un grand merci pour cet article plein d'espérance !