En ce dernier jour de l’année 2019, Terre de Compassion vous propose cette homélie de Saint Jean-Paul II du 31 décembre 1980, à l’occasion de la messe du Te Deum à la Chiesa del Gesú. Bonne Année 2020!
Photo : Sabina Kuk
« Mes enfants, c’est la dernière heure » (1 Jean 2,18).
Écoutons ces paroles au début de la première lecture, tirées de la lettre de saint Jean, et pensons : comme elles sont actuelles ! Comme elles coïncident avec ce que nous vivons tous aujourd’hui, le 31 décembre ! Le dernier jour de l’année, la dernière heure – et si cette heure où nous nous rencontrons, selon la tradition romaine, dans la Chiesa del Gesú n’est pas encore littéralement la dernière, elle est en tout cas très proche de l’heure qui, en tant que vraiment « dernière », clôturera l’année 1980.
Et bien qu’il ne s’agisse que d’un changement de date dans le calendrier – après minuit l’année 1980 cède la place à l’année 1981 – nous ne pouvons cependant pas abstraire cet événement de tout ce qui est en nous et autour de nous. Le dernier jour de l’année, qui est sur le point de se terminer, nous place d’une manière particulière devant l’évidence du « passage » : « Car il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 31) et l’homme passe en ce monde. (…)
Dans la liturgie eucharistique, nous pouvons exprimer à Dieu de la manière la plus complète notre action de grâce et demander pardon. En fait, nous avons certainement quelque chose pour lequel nous rendons grâce, mais nous avons aussi l’occasion de demander pardon.
Par conséquent, que le contenu particulièrement vivant de notre participation à la Sainte Messe aujourd’hui devienne les mots de la préface : « C’est vraiment une chose juste et bonne, notre devoir… de vous rendre grâce… » ! A vous. Précisément à vous, Père, Fils et Saint-Esprit. Merci pour toute l’abondance du mystère de la naissance de Dieu, à la lumière duquel s’écoule la vieille année et naît la nouvelle. Comme il est significatif que le jour qui humainement parle surtout du « passage », avec le contenu précis de la liturgie de l’Église, témoigne de la naissance : de la naissance de Dieu dans un corps humain, et en même temps de la naissance de l’homme à partir de Dieu : « A ceux qui l’ont accueilli, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).
Et avec cette action de grâce, que toutes les paroles de propitiation deviennent un contenu spécial de notre participation à la Sainte Messe aujourd’hui, à partir du « confiteor » initial, en passant par le « Kyrie eleison », jusqu’à l’« Agneau de Dieu », qui enlève les péchés du monde » et à notre « Seigneur, je ne suis pas digne… ». Mettons dans ces mots tout ce que nos consciences vivent, ce qui pèse sur elles, ce que seul Dieu lui-même peut juger et pardonner. Et n’ayons pas peur d’être ici aujourd’hui devant Dieu avec la conscience du péché, dans l’attitude du publicain de l’Evangile. Assumons une telle attitude. Elle correspond précisément à la vérité intérieure de l’homme. Elle apporte la libération. Elle est, précisément, liée à l’espérance.
Oui. L’espérance de l’homme et l’espérance du monde contemporain, la perspective d’un avenir vraiment « meilleur », plus humain, dépendent du « confiteor » et du « Kyrie eleison ». Elles dépendent de la conversion : de nombreuses, nombreuses conversions humaines, qui sont capables de transformer non seulement la vie personnelle de l’homme, mais la vie des milieux et de la société dans son ensemble : des plus petits aux milieux toujours plus grands, pour inclure toute la famille humaine.
Une chose essentielle : le jour où nous pensons, tout d’abord, au but, à la fin – (…) – la liturgie tend la main aux paroles qui parlent du commencement : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. » (Jn 1,1-2)
Le terme nous ordonne de revenir en pensée au « commencement ». La fin de l’année à son début. La fin de la vie à son début. Cependant, le prologue de l’Évangile de Saint Jean nous ordonne de revenir à ce « commencement », qui est avant le temps, avant le monde, avant que tout ce qui vit et meurt en ce monde, ait un début et une fin… Il nous ordonne de revenir au « commencement » de toutes choses, qui est en Dieu. Et en Dieu lui-même.
Justement, le Verbe. « Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait, de tout ce qui existe, en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1, 3-4). Et voici que ce « principe » absolu et inconditionnel (non relatif et temporel) de tout – l’évangéliste le proclame plus tard – est devenu lié au temps de l’homme. Au passage. Avec sa vie et avec sa mort. « Et le Verbe s’est fait chair, et est venu habiter parmi nous » (Jn 1,14). A partir de ce moment, nous devons compter notre temps d’une autre manière. D’une autre manière, nous devons comprendre et valoriser notre vie. D’une autre manière vivre notre passage : la naissance et la mort de l’homme et de tout ce qui est humain.
Notre existence est enracinée non seulement dans le monde, qui passe, mais aussi dans la Parole, qui ne passe pas. Et donc, à la fin de cette année, quand nous entendrons les mots : « Il était dans le monde, et pourtant le monde ne l’a pas reconnu » (Jn 1,10), nous devons nous demander : « Qu’avons-nous fait pour mieux connaître, dans l’année qui passe, ce Verbe qui s’est fait chair ? Qu’avons-nous fait pour que, à travers nous, les autres le connaissent mieux ? Qu’avons-nous fait pour que la vie humaine trouve sa forme pleine et mûre, celle qui lui donne la Parole ? » Écoutons aussi : « Il est venu au milieu de son peuple, mais son peuple ne l’a pas reçu » (Jn 1,11).
Et nous devons nous demander à nouveau : « l’avons-nous accueilli ou plutôt l’avons-nous éloigné et rejeté ? Avons-nous introduit dans la vie cette Parole qui s’est faite chair pour nous et pour le salut de tous les peuples ? Qu’avons-nous fait pour que les autres l’accueillent ? »
Finissons-en ici. Oui. Finissons par une telle question. Avec ces quelques questions, que chacun de nous peut multiplier dans son cœur et sa conscience. Finissons l’année 1980, qui passe. Parce que de cette façon nous l’ouvrirons mieux vers l’avenir : vers l’avenir immédiat, qui commencera dans quelques heures et vers l’avenir définitif qui est en Dieu, en Dieu lui-même.
La Parole est l’avenir définitif de l’homme et du monde.
C’est cette Parole qui, dans la nuit de Bethléem, s’est faite chair.
Un grand merci pour la mémoire de cette belle homélie, sur la question de la nostalgie, du temps, de la finitude et de l’éternité. La pianiste Anne Queffélec a donné une belle interview sur la façon dont la musique nous fait vivre le temps (plus précisément à la min 12;20). à l’occasion de la sortie de son nouvel album consacré aux sonates pour piano de Mozart, K. 333, 332 et 331.. Belle année à tous !
https://www.rtbf.be/musiq3/emissions/detail_demandez-le-programme/accueil/article_anne-queffelec-et-son-amour-pour-la-musique-de-mozart?id=10381027&programId=8775&fbclid=IwAR0C_6LWvwDBrLS1aL-DqJNfKBaL0CKV2Y2vHmC44HSmABgufUtRJPRwRy8