Home > Economie > Le pétrole au Brésil fête ses 70 ans

Le pétrole au Brésil fête ses 70 ans

L'histoire commence en 1938 lorsqu'un jeune ingénieur, Manuel Inacio Bastos, tombe sur un article de journal de la ville de Salvador da Bahia (Brésil) qui se demande d'où peut bien venir cette matière combustible que des femmes pauvres du quartier « Lobato » utilisent pour s'éclairer. Des vieilles lampes à huile fonctionnent avec une sorte de mélasse extraite sur le sable et qui  sert de combustible. L' ingénieur en prélève un échantillon et le fait analyser par l'école polytechnique de Salvador qui conclue à l'impossibilité de dire si c'est du pétrole en raison de la présence trop importante de sable. Mais pour Manuel Inacio il n'y a pas de doute c'est bien du pétrole. Et c'est la première fois que le Brésil recense une possible découverte du précieux combustible.


Manuel Inacio Bastos en 1930

Le président Gétulio Vargas est informé et envoie une sonde afin de forer un premier puits. La sonde casse.  Puis en envoie une autre la même année qui creuse à 60 mètres de profondeur et découvre du pétrole en infime quantité. D'autres puits sont immédiatement mis en route dans la région (São Sebastião do passé, île d'Itapparica…) et un premier puits exploitable est découvert par Pedro de Moura le 2 avril 1941 près de la ville de Candeias. C'est cette date qui marque le début de l'exploitation pétrolière brésilienne. La production est de 10 barils par jour et au mois de novembre 1941 elle atteint 189 barils. Entre temps à Rio de Janeiro le président Vargas a crée le C.N.P. (« Conselho Nacional do Petroleo »).    

Dans les années 40 d'autres puits seront creusés chaque fois un peu plus profond : 300 mètres pour le puits de São João, jusqu'à 2000 mètres pour le puits d'Agua Grande. Le tout dans une région de 11000 kms carrée connue comme « Bacia do Reconcâvo ».

En 1943 le général Horta, appelé par le président pour aider les entreprises à effectuer des forages au Brésil, démissionne. Motif : divergence de vue avec le président. De fait deux visions s'affrontent : celle de président Getulio Vargas qui veut confier l'exploration pétrolière aux compagnies étrangères. De l'autre celle des militaires et notamment du général Horta qui estime que le pétrole doit être exploité au plus vite par des Brésiliens et pour les Brésiliens. Les compagnies étrangères ne sont donc qu'un pas en vue d'obtenir de la technologie et préparer l'indépendance énergétique du Brésil. Il lance alors une grande campagne dans tout le Brésil « o pétroleo é nosso! » (« le pétrole est à nous! ») et recevra de nombreux soutiens notamment des militaires. Il réagit contre les campagnes des grandes compagnies (essentiellement nord américaines) qui veulent recevoir des concessions*

Entre temps Pedro de Moura a été promu à la tête du C.N.P. Qui devient la PETROBRAS le 3 octobre 1953, aujourd'hui quatrième compagnie pétrolière mondiale. Il reçoit l'aide de la DRILESCO (« Drilar & Exploration Company » des USA). Rapidement il penche vers la thèse du général Horta et de nombreuses divergences ne tarderont pas à apparaitre entre la DRILESCO et l'équipe brésilienne de Pedro de Moura.

L'année 1954 marque le début des forages à 2000 mètres de profondeur avec des équipes uniquement constituées de Brésiliens. Pour remédier au manque de formation scolaire et universitaire des équipes des anciens généraux à la retraite sont mobilisés pour donner des cours. Ainsi que des géologues et des topographes. Beaucoup passent ainsi de l'industrie minière à l'industrie pétrolière.

De 1955 à 1960 l'exploration s'élargit et sort de l'état de la Bahia. C'est le début de la production dans l'état de Sergipe et d'Alagoinhas (au nord de Bahia). Les quantités trouvées restent peu importantes mais atteignent néanmoins 40 000 barils/jour. Le premier gisement, celui de Candeias plafonne à 2500 barils/jour.  En 1982 la production terrestre plafonne à 171 000 barils jour en Bahia.   


1968 Plateforme P1

1968 marque un tournant :  les premiers gisements offshore sont exploités dans l'état de Sergipe. Des compagnies françaises et américaines fournissent la technologie. On commence toujours petit : le premier forage est à 100 mètres de profondeur. Deux ans plus tard, les Brésiliens choisissent de ne plus renouveler les contrats des compagnies étrangères et d'assumer eux mêmes l'exploitation offshore. De nouveau ils renoncent à la solution de facilité. Mais il y a urgence : les 30 puits qui produisent sur terre sont en déclin, il n'y a pas le choix il faut aller en mer. C'est  le début de la construction des 3 premières plateformes pétrolières P1, P2 et P3.

Puis les découvertes se multiplient surtout dans la zone de la « Bacia dos Santos », proche de Rio de Janeiro. Tout s'accélère. En 1997 le pays rentre dans le cercle des 16 pays produisant plus d'un million de barrils jour.  En 2000 la Petrobras établit le record mondial du puits en mer le plus profond avec 1877 mètres  (zone du Roncador). En 2006 le Brésil arrive à l'autosuffisance avec une production de 2 millions de barils jour. En 2007 c'est la découverte d'un gigantesque gisement, le fameux « pré-sal », au large de la baie de Rio de Janeiro. C'est en même temps un défi technologique sans précédent : forer et exploiter du pétrole de 4000 à 6000 mètres de profondeur. Les réserves semblent colossales (100 milliards de barils, troisième réserve mondiale évaluée) et propulse virtuellement le Brésil dans le club des plus grands producteurs pétroliers.   

L'histoire du pétrole au Brésil c'est donc deux choses:

1. Une histoire de persévérance. Pour arriver à la grandeur il a fallu passer par la petitesse. Pour arriver aujourd'hui au 2,6 millions de barils jour, il fallait ne pas avoir peur de débuter par les 10 barils jour du puits de Candeias. Les Brésiliens n'ont pas baissé les bras devant les faibles quantités découvertes au début. Au contraire, cela les a stimulé pour aller de l'avant.

2. Le choix de la « porte étroite ». La volonté fut aussi celle de ne pas choisir la voie de la facilité (celle de royalties reçues en échange de concessions aux compagnies étrangères), mais la voie plus difficile de l'apprentissage d'un savoir faire. Cette épopée est marquée par une détermination qui fut très forte dès le début : ce pétrole appartient aux Brésiliens et doit être exploité par eux. En 30 ans, le Brésil a appris et s'est hissé aux premiers rangs mondiaux. Son centre de recherche pétrolière est aujourd'hui le premier au monde. Pour résumer on pourrait dire que plutôt que de recevoir des poissons le Brésil a préféré apprendre à pêcher.     


Navire Plateforme P50:

Une question demeure : pourquoi un tel pays a-t-il autant investi dans la production de bio-carburant (le fameux « étanol » à base de canne à sucre) s'il a du pétrole ? Une des principales causes tient à la nature du pétrole brésilien : un pétrole dit « lourd », qui convient peu pour fabriquer du carburant mais qui au contraire est très utile et recherché par l'industrie pétrochimique. Le pétrole du golfe persique quant à lui est un pétrole dit « léger » et qui donc fait un bon carburant (essence et diesel). Développer les bio-carburants relève là aussi d'un choix stratégique confirmé par l'ex-président Lula il y a peu. Cela permet au Brésil de réduire sa dépendance des monarchies pétrolières et des conséquences directes que cette région souvent en crise provoque dans le monde. Un choix que l'actualité internationale ne cesse de confirmer comme judicieux.   

Enfin, le Brésil saura t-il bien gérer les ressources concédées par son généreux sous sol sous marin? Saura t-il investir cet argent dans les projets urgents de développement durable du pays (infrastructures, santé, éducation…) ou alors le gardera t-il pour gonfler le budget de l'Etat avec le risque de sombrer dans le gaspillage, les dépenses somptuaires et le clientélisme? Le Brésil a montré qu'il était un bon chasseur de trésor, saura t-il aussi être un bon gestionnaire de son bien?

*En 1952 Getulio Vargas avait proposé que l'exploitation du pétrole soit confié à une société dont la majorité du capital serait détenu par des compagnies étrangères.

Photos Site du gouvernement brésilien : http://blog.planalto.gov.br/o-petroleo-no-brasil/

Vous aimerez aussi
São João brésilien : un tourbillon de joie!
Iran ou l’impossible indépendance
Guido Schäffer, un saint surfeur
Processions brésiliennes : « Nous marchons parce que nous avons de l’Espérance ».

Répondre