de Philippe Conte 3 janvier 2012
Dans ce livre l’auteur interroge les conditions de ce conflit qui reste lointain et incompréhensible pour beaucoup de nos concitoyens. Pourtant, au fil des pages, il apparaît que cette guerre, au-delà de ces aspects géostratégiques, met au contraire au premier plan les propres paradoxes de l’Occident.
Il paraît en effet totalement contradictoire de déployer des efforts énormes pour construire un Etat afghan, pour consolider une nation afghane alors que, dans le même temps, dans nos propres contrées, toute l’action politique tend au « dépassement » des nations. Comment peut-on penser que les forces qui sont en première ligne pour promouvoir la mondialisation sous tous ses aspects et la déstructuration qui lui est concomitante, pourraient œuvrer de façon efficace à la reconstruction d’une structure nationale ?
Peut-on également démilitariser nos sociétés, réduire de façon constante les budgets et les moyens de nos armées, les cantonner (au moins au niveau du discours) dans des opérations de « maintien de la paix » et dans le même mouvement aider à reconstruire une armée nationale afghane prête au plus difficile des combats : la lutte anti-insurrectionnelle ?
De la même façon les valeurs dont nos sociétés post-modernes assurent la promotion : non-discrimination, tolérance pour les errements individualistes les plus extrêmes, dévirilisation, refus de la difficulté, de l’échec, de la mort même ; tout cela converge avec l’addiction à la technologie pour produire un « modern war fare » qui porte en lui-même les constantes « bavures » dont les troupes de l’OTAN se rendent régulièrement coupables. Il ne s’agit alors pas d’accidents mais des fruits inévitables d’une tactique et d’une stratégie qui visent au « body count », à l’écrasement total de l’adversaire tout en minimisant les pertes alliées. Dans cette perspective, l’adversaire est construit comme un mal absolu ce qui rend toute négociation de sortie bien laborieuse.
Ainsi, dans la guerre comme dans bien d’autres domaines, les valeurs soi-disant humanistes, mais qui ont totalement oublié la référence transcendante, produisent une déshumanisation concrète. Le recours aux drones[i] et aux robots d’abord dans des rôles d’observateurs et très vite dans des missions d’assassinats ciblés doit être mis en parallèle avec la robotisation de la production matérielle et intellectuelle. Ainsi dans toutes leurs activités les sociétés post-modernes substituent du mort (la machine), au vivant.
La guerre comme phénomène paroxystique met particulièrement en évidence les impasses dans lesquels l’Occident laïc s’est ainsi engagé. Ayant refusé Dieu, il en vient à refuser l’homme. Mais le conflit afghan montre que ces conceptions post-modernes sont, in fine, inefficaces, malgré la disproportion des moyens. Les enjeux très limités du conflit n’autorisant pas la montée aux extrêmes, dont l’arme nucléaire représente le sommet, les pertes minimes et surtout le coût mirifique d’une logistique somptuaire conduisent à des retraits peu glorieux : Iraq aujourd’hui, Afghanistan en 2014. L’ancienne doctrine de la guerre juste dont saint Augustin avait montré toute la validité est en définitive plus opératoire qu’un certain pragmatisme anglo-saxon !
Ainsi, cette guerre est certainement une guerre civile afghane, mais elle est d’abord pour nous une guerre contre nos propres limites, nos propres impasses, nos propres peurs, conflit lointain mais en réalité si proche.
[i] Aéronefs sans pilote humain à bord.
eccelente annalyse.
Ah! que çà fait du bien de lire un commentaire si tonique qui va à l'encontre du prêt à penser habituel.
Car la critique qui est faite ici rejoint des données analytiques déjà connues depuis qques années mais contre lesquelles une vision "romantique" de la guerre se heurtait parfois violemment en raison même de leur pertinence.
Dans le journal "Famille Chrétienne", un courrier de lecteur manifestement engagé ds l'action en Afghanistan prétendait administrer une volée de bois vert à ceux qui ne se sentaient pas prêts à soutenir non pas les militaires engagés mais le bien fondé de leur engagement.
Vision "romantique", car des jeunes qui s'engagent dans la voie militaire aujourd'hui doivent impérativement comprendre la problématique fort bien décrite dans l'article ci-dessus et ne pas s'imaginer qu'ils partent en opex pour "sauver la Nation" ……
S'ils ne le comprennent pas, je les plains, car çà ne semble pas être à St Cyr qu'on les forme au réalisme pourtant indispensable dans ces combats liés à des enjeux politiques plus que nauséabonds (la Lybie en est le dernier avatar, en attendant la Syrie et après avoir détruit totalement l'Irak …..)