Le 1er octobre 1968, Romano Guardini retournait vers le Père, au terme d’une vie passée à contempler le Mystère de Dieu et à le transmettre inlassablement. À juste titre, il est considéré par certains commentateurs comme un Père de l’Église du XXe siècle.
Romano Guardini
Né en Italie en 1885, il suit sa famille qui s’installe en Allemagne presque aussitôt. Il ne quitte plus jamais sa patrie d’adoption. Alors qu’il commence ses études en 1903, Romano Guardini ne comprend pas encore ce que le Seigneur attend de lui. Un événement va considérablement l’aider en ce sens et va être finalement à l’origine de son exceptionnelle vocation. Comme il le raconte lui-même dans son journal, ces années d’université pleines de confusion et d’indétermination sont aussi des années où sa vie spirituelle semble lui échapper. Il va vivre ainsi ce qu’il appelle « la crise décisive de sa vie religieuse » [1]Romano GUARDINI, Berichte über mein Leben, Autobiographische Auzeichnungen, Patmos Verlag, Düsseldorf, 1984, p. 67 .
« Mes convictions religieuses commençaient à vaciller. Je ne peux pas citer de raison particulière à cela. […] En fait, l’expression selon laquelle mes convictions religieuses étaient devenues vacillantes n’est pas correcte, mais elles le devenaient toujours plus. Quand je voulais dire ma prière du soir, je ne savais pas où la diriger et parfois – chose grotesque – je me récapitulais une preuve de Dieu pour savoir qu’il y avait un Dieu que je pouvais prier. Un soir, j’ai eu un débat sur des questions religieuses avec un étudiant en histoire de l’art qui se disait kantien. Je lui ai présenté les arguments habituels en faveur de l’existence de Dieu et il a répondu en suivant le processus de pensée de la critique kantienne. À ce moment-là, toute ma foi s’est évaporée. Plus précisément : je me suis rendu compte que je n’avais plus la foi. C’était pendant l’été 1905 » [2]Berichte, p. 68-69 .
Cette crise religieuse ne dure que quelques semaines. Et c’est en compagnie de son ami de toujours, Karl Neundörfer, que Guardini la surmonte finalement.
« Et puis, il y a eu un revirement. Ce qui m’avait détourné de la foi, ce n’était pas de véritables objections contre elle, mais le fait que les raisons en sa faveur ne me disaient plus rien. La foi en tant qu’acte conscient était devenue toujours plus faible et avait fini par mourir. Cependant, je pense que les liens inconscients avec la réalité chrétienne n’ont jamais été totalement rompus. […]
Je ne peux plus dire quelles réflexions en particulier ont contribué à ce changement, mais j’ai alors reconnu une chose qui a justifié et façonné tout cet événement intérieur, et qui est depuis lors resté pour moi comme la véritable clé d’accès à la foi. Je me souviens, comme si c’était hier, du moment où cette reconnaissance est devenue décisive. C’était dans ma chambre, dans le petit grenier de la maison de mes parents, rue Gonsenheimer. Karl Neundörfer et moi-même avions discuté d’un sujet qui nous préoccupait tous les deux, et mes derniers mots ont été : « on en arrivera bien à la phrase : “Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera” ». L’interprétation de ce verset de Mt 10,39 révèle ce qui a alors été important pour moi. Il m’est apparu clairement qu’il existe une loi selon laquelle lorsque l’homme « préserve son âme », c’est-à-dire qu’il reste en lui-même et n’accepte comme valable que ce qui lui est immédiatement évident, perd la réalité essentielle. Si, au contraire, il veut atteindre la vérité et la vérité de son véritable moi, alors il doit se donner. […] Je me suis assis devant ma petite table, et mes pensées se sont poursuivies : « Donner mon âme – mais à qui ? Qui peut me demander cela ? Et me le demander de telle manière que ce ne soit pas encore moi qui prenne les choses en main ? Pas simplement Dieu, car lorsque l’homme ne veut avoir à faire qu’à Dieu seul, dans la parole “Dieu”, il ne comprend en fait que lui-même. Il doit donc y avoir une instance objective pour libérer la réponse de l’homme de toutes les possibilités d’affirmation de soi-même. Une telle instance ne peut qu’être unique : l’Église catholique dans son autorité et sa réalité concrète. La question de préserver ou de donner son âme est finalement tranchée non pas devant Dieu, mais devant l’Église » [3]Berichte, p. 69-72 .
Deux années plus tard, alors qu’ils ont commencé des études de théologie, les deux amis mettent sur pied le projet ambitieux de présenter le mystère de l’Église d’une façon profondément renouvelée. Neundörfer choisit de s’occuper de toutes les questions qui touchent à la structure sociologico-canonique de l’Église ; Guardini quant à lui s’oriente vers la dimension contemplative et liturgique de la vie de l’Église [4]Berichte, p. 88 . Cela se traduira par de multiples publications de livres et d’articles (plus de 1500 !) dont L’esprit de la liturgie (1918), Le Dieu vivant (1930), ou Le Seigneur (1937). À ce moment de sa vie, la trajectoire est donc nettement amorcée, et elle est désormais inséparable de l’Église dans son existence historique concrète : « Comment donc, quelqu’un qui veut avoir à faire à la vérité peut-il vouloir se lancer dans une aventure privée ? Cela ne sera-t-il pas ridicule ? Il accueillera plutôt l’Église en lui aussi profondément que possible » [5]Berichte, p. 117 affirme-t-il encore.
Pour nourrir notre méditation, en novembre 2020, sera publié l’ouvrage fondamental que Romano Guardini a écrit sur l’Église en 1922 : Le sens de l’Église.
Le livre paru la semaine dernière : https://fr.edizionechora.com/product-page/le-sens-de-l-eglise
Le livre est disponible à la vente :
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