Le petit homme au teint doré est allongé sur un lit disposé sur une estrade. Il a l’air d’un vieillard inoffensif et pourtant en ce 7 avril 2011, le gouvernement indien commence à trembler alors que cet homme est rallié par des foules entières à travers toute l’Inde. Anna Hazare s’est lancé dans un jeûne indéfini pour obtenir une vraie loi combattant la corruption au niveau gouvernemental et parlementaire. Et le peuple est derrière lui. Le 9 avril, le gouvernement indien accède à toutes ses demandes et il met alors fin à son jeûne.
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Sur l’estrade, derrière lui on a dressé une grande affiche, avec une image de l’Inde, et deux visages qui éclairent les racines de son combat : Vivekananda (sage hindou qui a combattu les Anglais d’abord par la force puis par la prière et la non-violence) et surtout Gandhi dont il s’inspire dans son combat non-violent.
Cet événement se situe aussi dans un contexte où l’Inde prend peu à peu conscience de la gravité de la situation de corruption qui paralyse le pays et ralentit son développement. Des scandales récents impliquant des ministres du gouvernement et des personnes de haut rang de l’administration ont certainement contribué à cette prise de conscience. Un véritable mouvement anti-corruption semble naître et apporter un certain espoir alors que le pays ne cesse de s’enfoncer dans la corruption puisqu’en 2011, l’Inde à perdu deux points pour passer au 95e rang mondial au niveau de la corruption [1]. Pourtant, sous l’influence d’Anna Hazare, les choses commencent à changer. Des ministres, des hauts fonctionnaires, des personnes puissantes bénéficiant jusque là d’une totale impunité sont emprisonnées. Surtout, les actes de désobéissance civile, les jeûnes publics, les manifestations se multiplient et font plier les gouvernements locaux et le gouvernement fédéral, laissant espérer un véritable changement à plus long terme.
La réponse populaire à la protestation contre le gouvernement lancée par Anna Hazare a visiblement touché quelque chose de l’âme indienne telle que Gandhi a contribué à la former. Désir de justice, non-violence, force spirituelle, sacrifice de soi… Dans tout le pays des gens de tous âges, de tous milieux et de toutes castes ont rejoint le combat de Anna Hazare.
A l’origine de son combat un événement dramatique qui l’a transformé intérieurement : c’était en 1965 à la frontière chinoise. Hazare, enrôlé dans l’armée à l’occasion du conflit entre l’Inde et la Chine conduisait un camion qui fut touché par une bombe ennemie. Il fut le seul survivant de l’attaque. Lui qui avait pensé plusieurs fois au suicide dans le passé dit de cet événement : « Cela m’a donné à penser. J’ai senti que Dieu voulait que je reste en vie pour une raison particulière. Je suis re-né sur le champ de bataille de Khem Karan. J’ai décidé de consacrer ma nouvelle vie à servir les autres ». Et c’est alors qu’il se mit à lire assidûment les œuvres de Gandhi et Vivekananda.
Après douze années de service dans l’armée, il se retira dans la vie civile et s’installa dans un village très pauvre du Maharashtra, Ralegan Siddhi, qu’il s’efforcera de transformer peu à peu, tant au plan moral qu’au plan économique et social, en en faisant un village modèle. Avec l’aide d’un groupe de jeunes, il réussit à éradiquer la production et surtout la consommation d’alcool qui touchait de nombreux villageois et était à l’origine de fréquents conflits familiaux et de violences. Il s’attacha aussi à venir en aide aux fermiers locaux trop tributaires des saisons et très souvent endettés à des taux usuriers en développant une banque rurale et en lançant des programmes d’irrigation. Il réussit aussi à réduire la barrière existant entre les castes, les intouchables prenant peu à peu part à la vie sociale du village.
Dès 1991, il commence un véritable combat contre la corruption en lançant un mouvement appelé « Mouvement du Peuple contre la Corruption ». Il multiplie les jeûnes et les protestations contre les élus qui rechignent à rendre justice ou qui sont corrompus remportant de francs succès tant ses actions non-violentes mais pleines de force morale trouvent un écho dans la population.
Lors de son jeûne d’avril 2011, ou plus tard en août lors d’un autre mouvement, beaucoup se sont interrogés sur le fait de savoir si Hazare était un nouveau Gandhi pour l’Inde d’aujourd’hui. Quelques-uns se sont, bien sûr, employés à le critiquer et à montrer les ambiguïtés de certaines de ses positions sociales. Pourtant son combat et surtout le mouvement qu’il a contribué à faire naître dans le pays ne sont pas sans rappeler le combat du Père fondateur de l’Inde indépendante, la force de ce petit homme qui traversait le pays à moitié nu, pauvre et chétif, mais animé d’une détermination et d’une bonté qui ont donné une nouvelle espérance au pays. C’est cette espérance que l’on sent renaître pour l’Inde d’aujourd’hui.