Des 4 coins de notre planète affluent les messages de soutien pour l’Ukraine; les gouvernements livrent des armes, les associations humanitaires se mobilisent pour apporter le soutien nécessaire aux réfugiés, l’Église s’active et prie, entre dans la grande intercession où qu’elle soit. Tel ne fut pas mon étonnement de sentir à Cuba une telle proximité avec le peuple ukrainien : une terre pourtant bien éloignée géographiquement, prise dans une terrible crise économique et sociale, historiquement alliée de l’Union Soviétique… l’intercession du peuple cubain pour les ukrainiens fut immédiate, intense, sincère.
Oeuvre en argile humide – Nohad Halabi
Le drapeau ukrainien déposé sous les pieds de la grande statue du Christ sauveur, les messes pour la paix, les préoccupations bien concrètes du peuple cubain pour nos amis et connaissances en Ukraine, pour leurs familles qui vivent séparations et départs précipités : les cubains vivent comme s’ils allaient accueillir eux-mêmes les réfugiés, comme si la réalité des réfugiés leur était familière. Et de fait, en lisant le texte d’un journaliste (traduit ci-dessous), j’ai compris que cet élan sincère de compassion provenait d’un cœur blessé par des années de départs, de séparations, de fuite. L’exode s’est accéléré depuis quelques mois. Ce sont près de 10 000 cubains qui fuient leur pays chaque mois, souvent avec le minimum, une valise, profitant d’une occasion pour aller trouver une terre où ils ne vivront pas l’oppression, où il est possible de construire quelque chose dans le temps pour leur vie, où on est à l’abri du bombardement de l’injustice ou des assauts de la crise sociale et politique.
La fuite ou le bannissement, dans les temps anciens, « était l’une des pires punitions après la peine de mort ». À Cuba, l’État veut remplacer la patrie et la nation. Aucun homme ne devrait devoir fuir de la terre de ses pères. La fuite ajoute à la guerre la dimension du déchirement, déchirement des familles, déchirement d’un pays, déchirement du cœur qui laisse une vie derrière lui, des amis. Aux morts et aux destructions des bombardements s’ajoutent les déchirements de chacun de ces millions de réfugiés. Peut-être que nos amis cubains participent d’une certaine manière à cette croix du déchirement depuis tant d’années. Alors, il se sont immédiatement sentis proches du peuple ukrainien et sont entrés si intensément dans la « grande intercession ».
Voici l’article [1]La Patria y el desarraigo – Dagoberto Valdes Hernandez, publié le 21 février 2022 :
Un nouvel exode massif pour fuir Cuba alors que la situation intérieure de notre pays devient invivable, et l’interdiction faite aux Cubains nés sur l’île d’entrer dans leur propre pays, m’amènent à réfléchir à deux réalités essentielles pour la vie d’un citoyen et pour la stabilité et la coexistence saine d’une nation : l’appartenance à une patrie et le désastre du déracinement.
Commençons par distinguer pour mieux comprendre, en reprenant les définitions du livre sur l’éthique et le civisme publié par Convivencia :
Patria
La patrie signifie « Terre de nos pères ». La patrie est constituée d’éléments objectifs : le sol où le territoire, avec sa géographie caractéristique, ses héros fondateurs ou patriotes, son économie, sa structure politique, les personnes qui la composent. Des éléments subjectifs tels que la culture, l’histoire du passé, la religion, des éléments de nationalité, des projets communs pour l’avenir, l’affection pour « ce qui nous appartient », l’effort commun du présent, etc. La patrie peut être de naissance, par descendance des parents, par choix, en raison de l’adhésion volontaire de la personne qui y adhère librement. La patrie ne doit pas être confondue ou identifiée avec : l’État, le gouvernement, l’idéologie officielle, un parti, une personne, un mouvement historique, une révolution ou une religion.
La Nation est composée de personnes qui vivent ensemble en tant que communauté sociale unie, pas nécessairement par le fait de vivre dans le même lieu, mais surtout par ce sentiment d’appartenance nourri par les liens culturels, linguistiques et historiques qui l’identifient, même si ses membres vivent en diaspora pour des raisons différentes. La nation ne peut pas non plus être confondue avec l’État, qui est l’ensemble des structures d’administration, de législation et de justice qu’une nation se donne librement.
Déracinement
Dans un État moderne et démocratique, tous les citoyens ont le droit de vivre dans leur patrie, de la quitter et d’y entrer librement et d’être reconnus comme une partie inséparable de la nation à laquelle ils appartiennent. Aucune raison d’État, aucun motif politique ou religieux, aucune idéologie ou décision d’autrui ne peut ou ne doit priver un citoyen de sa patrie ou de son appartenance à la nation où il a ses racines.
C’est pourquoi, dans les temps anciens, le bannissement était l’une des pires punitions après la peine de mort. Aujourd’hui, il existe encore des vestiges de ce passé qu’il faut effacer et surmonter. En ce sens, le droit à la libre mobilité pour quitter le territoire de la patrie sans perdre notre sens d’appartenance à la nation dans laquelle nous avons nos racines, doit être reconnu. Le droit de tous ceux qui composent la communauté nationale de retourner, de vivre et de quitter la terre de leurs pères et leur histoire personnelle ne doit pas non plus être violé pour quelque raison que ce soit, à moins qu’ils ne soient en dette envers une instance judiciaire légitime.
Les droits des migrants et des nationaux sont reconnus par toutes les déclarations, pactes et conventions internationales et défendus par la conscience universelle moderne. Mais au-delà de ces droits légaux, il y a la dimension humaine, interne, spirituelle qui doit être prise en charge et préservée par tous et par toutes les institutions et lois nationales et internationales. Le soin des liens affectifs, volontaires et raisonnés des citoyens par rapport à leur patrie et à leur appartenance à la nation est non seulement un droit de tous les hommes mais aussi un devoir des autres compatriotes et des États.
Les dommages que le déracinement volontaire ou obligatoire cause aux déracinés ont engendré, dans l’histoire de Cuba, une longue chaîne de souffrances, de division des familles, de nostalgie de la terre, de changements forcés de culture, et toutes les conséquences négatives et extrêmement douloureuses que le déracinement et la séparation provoquent.
References
↑1 | La Patria y el desarraigo – Dagoberto Valdes Hernandez, publié le 21 février 2022 |
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