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Dieu, l’art et le brin d’herbe

Pourquoi est-ce que l’on peint? Pourquoi, depuis les grottes de Lascaux jusqu’à nos jours, en passant par Giotto, Chardin, Corot, Monet, Rotko, l’homme n’a cessé d’avoir ce désir de représenter le réel. Pourquoi les musées, pourquoi l’art? Avant de vous faire part de mon expérience d’artiste et de son rapport à ma foi catholique, interrogeons-nous : « Qu’est-ce que l’art ? »

 


Frédéric Eymeri,Tempête, huile sur toile (lin), 50x50cm

 

L’artisanat, les beaux-arts et l’art sacré participent du même radical « art ». En philosophie traditionnelle, cela désigne la transformation introduite dans la matière. Ce qui a une visée utilitaire est communément appelé « artisanat », les beaux-arts cherchant davantage la beauté pour elle-même, sans la lier à une quelconque utilisation (pas même la décoration). L’art sacré est le plus souvent compris comme un art représentant, par exemple, des sujets aidant au culte, à la catéchèse, à l’embellissement des églises. À mon sens, l’art n’est pas « sacré » parce qu’il représente un personnage ou une scène biblique, ni même parce qu’il est destiné au mur d’une église. Cela ne suffit pas. Combien, par exemple, de vaines représentations du Christ à Gethsémani nous laissent perplexes, lors même qu’un tableau de Van Gogh nous introduit immédiatement dans ce mystère d’abandon, d’obéissance et de supplication. Le peintre hollandais semble vouloir nous placer à l’intérieur même de la vision d’angoisse. Il est, sous les espèces du profane, des œuvres profondément religieuses et il est bon d’y faire attention. Des études montrent que plus les églises se vident, plus les musées se remplissent. Les gens pressentent dans l’art quelque chose de sacré. L’art n’est pas une technique qui véhicule un concept. C’est, par l’artiste, l’enfouissement d’une expérience dans la matière. Expérience que face à l’œuvre, chacun pourra revivre à la mesure de son attention, de sa sensibilité, et parfois de sa foi. Il est à chacun de juger de la nature de cette expérience. Je crois que la distinction entre « les beaux-arts » et « l’art sacré » se doit d’être définie en fonction de la nature de cette expérience. Nourrit-elle ma foi, mon espérance, ma charité ?

L’expérience que l’artiste propose à travers son travail est dépendante de la source à laquelle ce dernier puise son inspiration. Pour ma part, le point de départ a toujours été l’étonnement face à un objet présent. Saint Thomas d’Aquin nous dit que Dieu a écrit deux livres, le premier est la création, le second, son fils. Chercher à dire véritablement quelque chose du mystère de la création, c’est déjà, d’une certaine manière, de l’art sacré. Quelques pommes, quelques citrons, quelques oranges, n’est-ce pas déjà des paroles prononcées par Dieu, maintenues à chaque instant par Lui dans l’existence ? Ce grand livre qu’est la création se lit toujours au présent. Il est une dimension trinitaire même dans un seul brin d’herbe.

 

Frédéric Eymeri, Follow The White Rabbit, huile sur toile (lin), 73 x 60 cm

 

Le monde n’est pas vide; enfant, cela nous étonnait. Adulte, cela nous semble banal, puéril, insignifiant. Cependant, l’insistance demeure, le monde n’est pas vide; il y a là, devant moi, ce brin d’herbe dont je ne suis pas l’origine. Il pourrait ne pas être là, mais il y est! Cette présence « brute », perçue avant toute analyse, nous révèle quelque chose du Père. Elle est ! C’est une présence qui s’affirme comme fondement incontournable. Mais ce n’est pas tout, je peux percevoir qu’elle est « ainsi »… Elle est verte, avec telle forme souple, légèrement rugueuse… Une face absorbe la lumière, une autre la rejette… Ce n’est plus seulement une présence, c’est aussi une parole qui révèle un sens, une possible intelligibilité écrite dans la chair. Ce logos au coeur de la matière révèle, me semble t-il, quelque chose du visage du Fils. Puis vient l’évidence de l’unité indéchiffrable entre « l’être perçu » dans le « ceci concret ». L’insondable profondeur qu’ouvre le vivant constat : « ceci est » est l’expérience d’un gouffre. J’ose penser qu’elle est celle de l’Esprit Saint. De cela, un brin d’herbe observé, naît un étonnement et une curiosité qui conduisent à entrer en relation avec le monde perçu comme présence intelligible du mystère. Dieu seul crée « ex nihilo », l’artiste ne fait que s’affronter à cette réalité et essaye de ramener tant bien que mal quelques oeuvres de ce combat. C’est pour cela que contrairement aux idées reçues, les artistes sont peut-être les hommes les plus sérieux au monde. À l’heure où une guerre sans merci se déclare de plus en plus ouvertement contre le réel, ils demeurent là, dans le creuset de cette relation. Ils regardent le monde dans sa finalité et tâchent d’y ordonner l’activité humaine.

Dire cela, c’est dire que l’art puise dans le donné objectif, (dans ce donné que je ne choisis pas, créé par un autre que moi), une substance empreinte de sens et de bonté. Cette substance, déroutante et jamais totalement atteinte, j’aime l’appeler LA BEAUTÉ.

 

Frédéric Eymeri, La Bonne heure, huile sur toile (lin), 37×25 cm

 

Voilà presque 10 ans que je passe mes journées entouré de quelques légumes, de quelques fruits, parfois de fleurs. Ils sont comme une ancre à ce monde mouvant, une porte vers le visage qui les prononce. Voilà presque 10 ans que j’essaye, par tous les subterfuges dont un artiste est capable, de répéter ce qu’ils me disent, par toute la force de ma foi, d’ouvrir cette porte au plus grand nombre. J’ai conscience de tout juste balbutier, d’à peine entrer dans cette grammaire étonnante qu’est le réel. Cependant, tenir chaque jour devant l’objet dans cette conscience-là et essayer de le nommer est une des expériences les plus fécondes de ma vie. J’ai passé des années à étudier la philosophie, des années à apprendre la peinture, et tout cela me semble seulement s’ordonner à saisir quelque chose du miracle de la simple présence de l’objet -un citron, quelques navets- dans le monde. Cependant, cela ne m’apparaît pas être du temps perdu ou mal employé. Le temps, je ne le vois pas passer. J’entre dans mon atelier comme j’entre dans une chapelle, un lieu mis à part entre le monde et Dieu, un lieu pour l’écouter, parfois l’entendre, et peut-être, en dire quelque chose. De cela je vous laisse juge…

 

Galerie de Frédéric Eymeri

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