Julian Assange, fondateur du site Wikileaks, était l’invité ce 1 octobre 2024 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il a pu se livrer à un « échange de vue » au sujet de ses conditions de détention et a ensuite répondu aux questions des parlementaires. Visiblement fatigué par 14 années de détention, s’exprimant avec lenteur et souvent cherchant ses mots, il a néanmoins pu livrer de précieux éléments au sujet de son combat pour la liberté d’expression.
Une expérience décapante « qui ne laisse que l’essence brute de l’existence »
Le fondateur de Wikileaks a voulu dans un premier temps revenir sur ses difficiles conditions de détention en Grande Bretagne :
« L’expérience de l’isolement pendant des années dans une petite cellule est difficile à exprimer. Elle dépouille l’individu de son identité, et ne laisse que l’essence brute de l’existence, a-t-il souligné. Je ne suis pas encore prêt à parler de ce que j’ai subi, la lutte incessante pour rester en vie, à la fois physiquement et mentalement, et les morts par pendaison, meurtre ou négligences médicales de mes compagnons de cellule. »
Julian Assange n’oublie pas tous ceux qui se sont battus pour sa libération lors de ces années :
« Je remercie tous ceux qui se sont battus pour ma libération et qui se sont rendus compte que ma libération c’était aussi leur libération. Je remercie tous ceux qui ont compris que les libertés fondamentales sur lesquelles nous nous appuyons tous doivent être défendues. Et que si l’un d’entre nous est pris dans les filets il ne faut pas oublier que toute le monde risque de finir par être entrainé dans ce filet ».
« J’ai choisi la liberté »
L’autre expérience difficile sur lequel revient le journaliste australien c’est bien évidement de devoir sa liberté non à la justice mais au fait d’avoir du plaider coupable pour être libéré [1]Cf. article TDC https://terredecompassion.com/2024/06/30/julian-assange-free-at-last
c’est à dire d’avoir été forcé de nier ce qui avait justifié tous ses efforts et sacrifices. Et ce, au nom d’un légitime désir de retrouver ce qui fait l’essence de l’humanité : la liberté.
« Je ne suis pas libre aujourd’hui parce que le système a fonctionné. Je suis libre aujourd’hui après des années d’incarcération parce que j’ai plaidé coupable de journalisme. J’ai plaidé coupable d’avoir informé le public, d’avoir publié ces informations. Il n’y a pas d’autres chefs d’accusation. J’ai fini par choisir la liberté plutôt qu’une justice inatteignable après avoir été en détention pendant des années et risqué une peine de 175 ans sans réel recours ».
« Le journalisme n’est pas un crime »
Les 175 années de détention que risquait Julian Assange aux Etats-Unis s’il y avait été extradé reste pour lui le signe de trois profondes injustices commises par ce gouvernement, la première étant celle de la criminalisation du journalisme.
« Aujourd’hui je vois encore plus de tentatives de museler ceux qui disent la vérité. Encore plus d’autocensure. Le gouvernement US pénalise au niveau international l’activité des journalistes. J’ai obtenu des vérités que j’ai publiées sur des programmes d’assassinats, sur les horreurs de la guerre ».
« J’ai vécu le harcèlement des gouvernements US. Alors qu’aucun crime n’avait été commis : cela, même le gouvernement l’a admis. Ce n’est pas un crime de publier des informations sur les actions du gouvernement. Des plans ont été formés pour me kidnapper et m’assassiner. Il y a eu énormément de tentatives de répressions et déstabilisations ».
Seconde injustice : la différence de statut entre les citoyens américains et ceux du reste du monde. En effet pour la première fois un journaliste européen, CAD non soumis aux lois américaines, a failli être extradé pour avoir enfreint les lois d’un pays qui n’est pas le sien.
« Pour le gouvernement américain seuls les citoyens américains ont la liberté d’expression : les autres citoyens du monde n’ont pas ce droit. Les américains considèrent que les législations américaines sur l’espionnage s’appliquent aussi aux autres, aux européens. Les européens sont donc censés obéir aux législations américaines sur le secret et la confidentialité sans pouvoir se défendre. Les citoyens européens n’ont donc pas la liberté d’expression. Les droits des journalistes en Europe sont ainsi gravement menacés. C’est une répression transnationale qui ne doit pas devenir la norme ».
« Jamais avant il n’y avait eu de précédent où un citoyen en Europe peut être extradé parce qu’il n’a pas respecté une loi américaine ».
« Les lois ne sont plus qu’un papier »
Et enfin, last but not least, Julian Assange pointe du doigt une troisième injustice : celle de l’interprétation de la Constitution américaine et de son premier amendement fondant la liberté d’expression.
« Je pensais être protégé par la Constitution même des Etats-Unis qui sauvegarde la liberté d’expression. Je pensais que j’allais devoir mener une bataille juridique, seulement juridique et que j’allais la remporter puisque je n’ai rien fait contre la loi. Cela en théorie. Mais lorsque quand on en arrive à la vraie vie, les lois ne sont plus qu’un papier qui ne valent rien et qui peuvent être interprétés autrement qu’à la lettre. Les lois sont un ensemble de règles écrites par des dirigeants. S’ils ne rendent compte que ces lois ne correspondent plus à leurs objectifs alors ils récrivent un texte qui leur convient ».
Autrement dit, une chose est le premier amendement de la Constitution américaine, une autre est sa règle d’interprétation par le gouvernement américain. Ce dernier peut donc la faire aller dans le sens contraire où elle a été écrite. C’est essentiellement ce danger que pointe le fondateur de Wikileaks : les lois censées protéger les citoyens ne sont plus aussi fortes que par le passé. Si la fin est présentée comme bonne (la « sécurité nationale ») alors qu’importe les moyens (tordre le droit en le réinterprétant).
« Le premier amendement a priori est très clair, le Congrès n’adopte aucune loi qui limite la liberté de parole et la liberté de presse. Et pourtant cette constitution peut être réinterprétée et on efface tous les précédents. Je ne suis pas arrivé à faire changer cela. Donc c’est une leçon importante. Quand une grande puissance veut réinterpréter de la loi, sus pression des services secrets, alors elle est réécrite. Este ce légal ? Pourra-t-on sortir de cette injustice ? Sans doute il faudra du temps mais entre-temps l’action dissuade. L’effet dissuasif possède une efficacité ».
C’est ce remplacement d’une loi de protection par son interprétation « large » qui constitue une menace non seulement pour les non américains mais à terme pour les citoyens américains eux-mêmes (cas d’Edward Snowden qui dû se réfugier en Russie).
Que retirer de cette intervention d’Assange ?
Tout d’abord il peut être utile bon de rappeler qu’Assange a été isolé et en emprisonné en raison de son travail en faveur de la liberté de la presse. Wikileaks a fait ce que font les journalistes d’investigation : il a rapporté les disparitions forcées, les tortures, la corruption, les atteintes aux droits de l’homme, les enlèvements, les crimes de guerre [2]Révélé pour la première fois lors de la publication en 2010 du massacre de plusieurs irakiens (dont deux travailleurs de Reuters et une enfant et son père) par l’armée américaine … Continue reading Assange sur ce sujet a juste fait son boulot de journaliste [3]Tout information est-elle bonne à publier ? C’est là un débat qui reste à faire dans notre société ultra médiatisée. On peut bien entendu légitimement se demander s’il fut pertinent par … Continue reading Il a obtenu des informations classées confidentielles d’une source et les a publiés. Malheureusement au lieu de poursuivre et de demander des comptes aux auteurs de ces crimes le gouvernement US a poursuivi le lanceur d’alerte. Au lieu de condamner les criminels de ces évènements c’est le révélateur des évènements, qui a été accusé et harcelé, y a laissé une partie de sa santé et se trouve aujourd’hui en plein processus de « recovery » comme il le dit lui-même.
Ensuite, Assange est un martyr de la vérité. Personne n’a contesté la vérité de son travail, de ses affirmations, du contenu de ses articles. Ce qui est contesté est justement qu’il n’a pas fait allégeance au pouvoir et n’a pas transmis la doxa « main stream ». Assange a défendu la vérité des faits contre une vision manichéenne du monde qui divise les acteurs entre bons et mauvais. Le pouvoir étant bien sûr le camp du bien, il a donc tous les droits de stigmatiser et de détruire par la force le camp du mal. On ne peut que constater combien la presse « main stream » vit de ce manichéisme en censurant systématiquement les informations qui ne vont pas dans le sens du pouvoir.
Autre remarque : il est peut-être bon de rappeler qu’aucun pays de l’Union Européenne n’a offert l’asile politique à Julian Assange. Ce qui ne manque pas de laisser un petit goût amer de voir les représentants de ces Etats qui se sont tus lorsque Julian Assange a eu des problèmes et qui maintenant, lorsque la vérité éclate, feignent d’avoir été indignés. Il manque encore des pays où les journalistes puissent se réfugier en cas de persécution, des pays « où il fait bon vivre et bon travailler » comme le souligne le fondateur de Wikileaks.
Il reste que cette possibilité laissée à Julian Assange de s’exprimer constitue sans aucun doute un pas dans la bonne direction afin de permettre que dans l’avenir un journaliste ne soit plus inquiété de façon aussi forte pour avoir simplement dit la vérité.
Lire aussi: Julian Assange « Free at last… »
References
↑1 | Cf. article TDC https://terredecompassion.com/2024/06/30/julian-assange-free-at-last |
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↑2 | Révélé pour la première fois lors de la publication en 2010 du massacre de plusieurs irakiens (dont deux travailleurs de Reuters et une enfant et son père) par l’armée américaine (https://youtu.be/kelmEZe8whI) Il a travaillé pour cela en collaboration avec plusieurs journaux comme le Spiegel (Allemagne), le New York Time (USA), le Monde (France) ou le Guardian (Grande Bretagne). |
↑3 | Tout information est-elle bonne à publier ? C’est là un débat qui reste à faire dans notre société ultra médiatisée. On peut bien entendu légitimement se demander s’il fut pertinent par Wikileaks de publier d’autres informations qui semblait plus relever de la vie privée que de la dénonciation de crimes de guerre. Par exemple au sujet de la révélation du contenu d’emails de la vie personnelle de certains collaborateurs membres de la coordination de la campagne d’Emmanuel Macron en mai 2017. Et ce, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle française (Assange le prix de la vérité https://youtu.be/GIsaWXVFlf4 ). Pourquoi de telles informations ? Pourquoi à ce moment-là ? |