À Bangkok, dans notre quartier de 70’raj, nong Noj, 4 ans aime beaucoup venir à la maison, seule ou avec son frère et sa sœur (respectivement 8 et 6 ans). L’amitié a beaucoup grandi avec cette famille. La mère travaille comme femme de ménage dans un restaurant thaïlandais, tandis que le père effectue des travaux manuels occasionnels. La famille est d’origine cambodgienne. Les trois jeunes enfants sont scolarisés dans une école thaïlandaise du quartier. Deux d’entre eux sont nés en Thaïlande et grandissent dans ce pays. Les évènements récents de tension entre la Thaïlande et le Cambodge ont poussé beaucoup de cambodgiens à revenir au Cambodge. Cette famille a donc pris la décision de retourner au Cambodge. Les enfants ont dû arrêter leurs études et revenir dans un nouvel endroit pour eux, car ils avaient grandi à Bangkok, et ne parlent même pas le khmer.
Peu de temps après, ce 25 Août dernier, l’Assemblée nationale cambodgienne a voté un texte prévoyant de retirer la nationalité aux citoyens accusés de « trahison » . Cela laisse beaucoup d’inquiétudes quant aux manœuvres d’utilisation de cette loi, notamment face aux opposants politiques.

Thaksin Shinawatra et Huen Sen
Retour sur la genèse de ces évènements dans un contexte géopolitique complexe où la Thaïlande cherche à conserver un équilibre. Depuis plusieurs mois, la Thaïlande est en effet agitée par une crise politique dont les racines sont complexes et les conséquences multiformes. Le 28 mai 2025, la mort d’un soldat cambodgien dans une petite zone disputée à la frontière de la Thaïlande et du Cambodge a ravivé les tensions entre ces deux pays, conduisant à une escalade faisant 40 morts et au déplacement de 300 000 personnes.
Il faut savoir que l’histoire entre la Thaïlande et le Cambodge est longue et mouvementée tels deux frères toujours en tension. Pour l’évènement en question, l’histoire remonte à 1907, à l’époque où la France, alors puissance coloniale au Cambodge, avait défini les frontières avec le Siam (l’actuelle Thaïlande) [1]https://www.revueconflits.com/tensions-frontalieres-entre-thailande-et-cambodge-un-litige-sur-fond-de-pressions-chinoises/ . Mais ces cartes ont placé le temple de Preah Vihear (qui signifie « sanctuaire sacré ») du côté cambodgien pour gagner du terrain. Depuis 1934, lorsque le Siam s’est rendu compte de la supercherie, il essaie de récupérer ce temple. En 1962, la décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ) a tranché en attribuant ce lieu au Cambodge. Plusieurs épisodes ont vu la Thaïlande s’opposer à cette décision puis revenir dessus. En 2013 la CIJ a de nouveau confirmé la souveraineté du Cambodge sur l’ensemble du promontoire de Preah Vihear. Toutefois, la Thaïlande continue de revendiquer une petite zone au pied du temple.
Ce temple à l’origine de tant de tensions a été construit au 11ème siècle et dédié à Shiva. Shiva dans ses multiples formes peut devenir le dieu terrible, celui de la transformation par le feu. Au fil des ans, le temple est progressivement devenu un temple bouddhiste.
Le litige s’est étendu dans les années 70 car le Cambodge s’est mis à revendiquer le plateau continental thaïlandais. Ces revendications, contestables du point du vue du droit international ont entrainé le rejet par la Thaïlande des délimitations cambodgiennes en 1973. La zone disputée est richement dotée en gaz naturel et présente aussi un enjeu financier de taille.
Les liens politiques entre Thaïlande et Cambodge semblent complexes. Ils impliquent Thaksin Shinawatra du côté thailandais et Huen Sen du côté cambodgien. Ces deux anciens leaders de leurs pays respectifs ont autrefois entretenu une amitié si étroite qu’ils se considéraient comme des frères. Au fil des années, Hun Sen a apporté son soutien à la famille de Thaksin dans leur opposition face à l’armée thaïlandaise. Hun Sen a désigné Thaksin à l’époque comme conseiller économique du gouvernement cambodgien.
Le premier ministre actuel du Cambodge Hun Manet est le fils de Hun Sen (élections en 2023 vivement critiquées pour l’absence de compétition réelle) et la fille de Thaksin, Paetongtarn Shinawatra était premier ministre de Thaïlande depuis 2024 et suspendue de ses fonctions en Juillet dernier.
Le 29 Août 2025, en Thaïlande, la cour a en effet reconnu coupable Paetongtarn Shinawatra d’avoir “manqué à ses devoirs en ne défendant pas correctement le pays lors d’un appel téléphonique, le 15 juin, avec le président du Sénat cambodgien, Hun Sen, pour discuter des tensions concernant le territoire revendiqué par les deux nations”. Le jugement se basait sur un appel de la premier ministre thaïlandaise à Hun Sen au sujet du conflit frontalier où elle avait qualifié Hun Sen d’« oncle » et lui aurait assuré que si quelque chose lui était nécessaire, elle « s’en chargerait ».
Ces luttes de pouvoir et d’ego, les crises politiques internes et ce conflit frontalier ont de nombreuses conséquences sur la vie de personnes, comme nong Nojet sa famille et sont également une menace pour l’équilibre de la région. En effet, la Thaïlande est située dans une région du monde où la lutte d’influence entre la Chine et les États-Unis gagne en intensité, et elle cherche à préserver son autonomie. Elle l’a toujours fait, puisant dans la profondeur de sa spiritualité bouddhiste.
Si ces deux peuples frères parviennent à se réconcilier, il existe de belles opportunités à construire ensemble mais cela demande aussi un positionnement international devant des régimes clairement corrompus et maltraitants [2]Amnesty International rendait un rapport le 26 Juin dernier stipulant : « Le gouvernement cambodgien ferme délibérément les yeux sur toute une série d’atteintes aux droits humains incluant … Continue reading .
References
↑1 | https://www.revueconflits.com/tensions-frontalieres-entre-thailande-et-cambodge-un-litige-sur-fond-de-pressions-chinoises/ |
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↑2 | Amnesty International rendait un rapport le 26 Juin dernier stipulant : « Le gouvernement cambodgien ferme délibérément les yeux sur toute une série d’atteintes aux droits humains incluant l’esclavage, la traite des êtres humains, le travail des enfants et la torture, qui sont perpétrées à grande échelle par des bandes criminelles dans plus de 50 centres d’escroquerie situés dans tout le pays » |