de Joseph Gynt 27 mai 2012
Amédée, de Côme de Bellescize. Au théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Paris (XIIe). Jusqu'au 2 juin.
Il y a, sur un lit d’hôpital, une carcasse immobile qui enferme Amédée. Amédée a vingt ans. Il est prisonnier d’une pièce carrée et d’un corps qui ne lui répond plus. Quand Amédée hurle, on ne voit que ses yeux qui s’agitent. Quand Amédée bondit, on ne sent que ses doigts se crisper. De tout son être, Amédée hurle et bondit. Ses yeux s’agitent et ses doigts se crispent. Rien de plus.
Il y a, autour d’Amédée, tout un monde qui gravite. Sa mère, aimante et possessive. Mère en souffrance, qui porte son fils comme une croix, ployant au fil des jours. Il y a l’amoureuse, qui survit avec le regret de ne pas lui avoir offert ce qu’elle brade aujourd’hui au premier venu, s’oubliant dans l’alcool, jusqu’à comprendre à quel point leurs deux vies sont liées. Il y a le pote, fidèle de toujours, il y a le kiné, rude et patient, il y a la télé, la musique et les mondes inventés… Et puis il y a l’administratif de l’hôpital, qui compte ses troupes et les frais engagés. Chacun aime Amédée. A sa manière, chacun l’aime. Mais tous réagiront différemment quand il demandera à mourir.
Amédée, c’est le personnage principal d’une pièce de théâtre à la mise en scène audacieuse, qui s’inspire librement de la fin tragique de Vincent Humbert, jeune garçon tétraplégique euthanasié par sa mère en 2003. Loin des idéologies, loin de la polémique médiatique qu’elle dénonce, cette pièce vient explorer la question de l’euthanasie au plus près des souffrances de chacun : du premier concerné, d’abord, mais aussi de tous ceux qui l’aiment, jusqu’à souhaiter sa mort. Ou sa vie.
Où est le bien ? Où est le mal ? « La pièce Amédée ne prétend pas trancher le débat mais – à partir d’une situation concrète bien que fictive – nourrir l’interrogation et la mettre en perspective », explique l’auteur, Côme de Bellescize. Il pose tout au long de l’intrigue cette question : « Doit-on reconnaître l’humain jusque dans les limites de son être et de sa vie ou y a-t-il un seuil, des seuils – ceux du tolérable – que la même dignité impose de ne pas franchir ? »
Pas de morale toute faite au bout de cette œuvre poétique et réaliste. Juste la vérité brute de femmes et d’hommes qui souffrent et qui cheminent au long de leur souffrance. Et passant tour à tour des yeux d’Amédée à ceux de ses proches, on en vient à toucher du bout des doigts l’imperceptible beauté qui reste dans la vie d’un corps sans vie.
La mère d’Amédée veut l’accompagner dans la mort comme elle lui a donné naissance, parce que, se mettant à la place de son fils, elle affirme qu’il n’y a plus espoir, ni gloire, ni sens à vivre une vie si limitée. L’amoureuse, elle, exige qu’il vive. Parce que restant à sa place, elle comprend qu’Amédée doit vivre sinon pour lui-même, pour ceux qui l’aiment. Parce que sa présence physique et tout ce qui fait sa personne leur est essentiel. Et que ce regard vient donner sens à tout.
Au centre de la scène, dans ce tourbillon, Amédée pleure. Un appel au secours. Un dernier personnage, complexe et rêveur, le capitaine des pompiers, se souvient des « petites bulles rouges » qui sortaient de sa bouche, alors qu’il gisait, aussi vivant que mort, dans les décombres de sa voiture explosée. Des « petites bulles rouges », signes imperceptibles de vie, pétillantes comme pour fêter la vie de celui qui devait mourir. Comme un seuil séparant le vivant de la mort. Des petites bulles de vie.