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Drame blanc aux Docks, Cité de la Mode et du Design

de Claire Fortin    11 juillet 2012
Exposition, Mode

Étonnante et somptueuse programmation que celle qui inaugure l'espace nouvellement ouvert au public au sein des Docks, Cité de la Mode et du Design : « Cristobal Balenciaga, collectionneur de modes » et « Comme des Garçons "White Drama" », installation inspirée du défilé de la collection printemps-été 2012 de la créatrice de mode Rei Kawakubo.

D'un côté de la mince cloison en béton du dock de vert pomme revêtu, un grand couturier espagnol disparu il y a quarante ans collectionne les pièces qui l'inspirent, costumes issus de différents folklores, robes et manteaux de soirées, série de vêtements terriblement liturgiques, collets, couvre-chefs, boléros d'hommes et de femmes, jusqu'à un ornement pour tête de cheval parant le chanfrein d'une mauve tradition de fils de laine… Une courte promenade, achevée à peine commencée, agrémentée d'esquisses et de gravures de mode, qui s'emplit rapidement de toutes ces richesses pour faire jaillir les créations du grand homme, de plus en plus portées vers l’abstraction avec un art de la simplification né de la compréhension de toutes ces choses.


© Pierre Antoine

Habillant les reines européennes aussi bien que les hôtesses d'Air France, Cristobal Balenciaga puise à la source pour créer en son siècle, contemple les origines pour rester libre toujours. Fuyant la guerre d'Espagne en 1937, il est contraint d'abandonner ses trois maisons de couture et vient s'installer à Paris, où il connaît un succès immédiat. Il y travaille durant trente ans, maître incontestable de la modernité en haute-couture, influençant de nombreux grands couturiers jusqu'à aujourd'hui. En 1968 cependant, ne se reconnaissant plus dans son temps, il quitte la France pour retrouver sa terre espagnole, sur laquelle il demeurera jusqu'à la fin de sa vie quatre ans plus tard.

De l'autre côté de la mince cloison en béton du dock de vert pomme revêtu, une blanche atmosphère s'élève de l'intérieur de vastes ballons en plastique transparent, abritant la collection « White Drama » de la styliste japonaise Rei Kawakubo. Du côté espagnol, la transcendance était mise en évidence de façon spéciale à travers la dimension temporelle, les créations rassemblant en elles l'Histoire et l'air du temps pour faire jaillir une beauté à jamais nouvelle ; côté japonais, la transcendance, légère et blanche, perce de l'union des contrastes portée avec magnificence. Robes abondantes aux coupes baroques, structures apparentes qui emprisonnent la silhouette d'une cage d'étoffe, manches immenses qui rappellent celles des coules monastiques, parfois tenues ensemble par un gros nœud « de contrainte », fleurs à l'abondance angoissante grimpant jusque sur des capuchons étroits, hautes coiffes tenant à la fois des processions religieuses et de la sculpture contemporaine… Chaque silhouette s'élance, à la fois aérienne et pesante, attirante et effrayante, proche et incompréhensible.


© Pierre Antoine

Extrait du pitch officiel de l'exposition : « Avec "White Drama" et ses modèles quasi monochromes, Rei Kawakubo magnifie les grandes étapes de la vie : naissance, mariage, mort et transcendance. »
Qu'une styliste japonaise de 69 ans expose sous mes yeux le mystère de ma vie en ces boules de plastique mou me prend aux tripes. Ce qu'elle a à voir avec moi, je n'en ai pas la moindre idée – toujours est-il que sur le coup, je lui fus reconnaissante d'avoir voulu qu'il y ait, entre ce mystère et moi, ce plastique indécent, jeu de plage, envol lent, retombée légère… Quelque chose de pas bien grave. Aujourd'hui, deux jours après avoir vu l'exposition, je lui suis plus reconnaissante encore d'avoir montré quelque chose du mystère de l'âme, aussi vertigineux cela soit-il. Il y a en effet dans cette transcendance blanche et légère quelque chose de terrible qu'elle relève de façon extrêmement personnelle par des détails qui disent l'enfermement, l'ensevelissement, l'immobilité. Et pourtant, la beauté qui se dégage de ses modèles est plus grande que l'inquiétude sourde qu'ils engendrent. L'harmonie des coupes et leur élégance audacieuse habillent les silhouettes de femmes d'une seconde peau qui n'assume rien de moins que la nature humaine.

Ces deux expositions font partie de la programmation du « Musée Galliera hors les murs », ledit musée étant en rénovation jusqu'au printemps 2013. Accueillie par les Docks, Cité de la Mode et du Design, on ne peut que se réjouir que de tels lieux, dont la mission est étroitement liée à la mise en valeur de la beauté du corps humain, fassent la place belle à des artistes qui montrent cette beauté dans sa totalité, c'est-à-dire jusque dans sa dimension spirituelle.
 

 


© Pierre Antoine

 

© Pierre Antoine

 

Galliera hors les murs :
Cristóbal Balenciaga, collectionneur de modes et Comme des garçons, white drama : expositions du 13 avril au 7 octobre 2012, aux Docks, Cité de la Mode et du Design
 

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