Home > Société > Vivre en ce temps

La plupart du temps, j’aimerais parler d’un sujet auquel j’ai déjà pensé. Mais ensuite, je m’ennuie, et je me laisse emporter par les images qui fourmillent comme des caresses de l’air dans mes cheveux, et m’amènent ici et là, sans me permettre de rester immobile nulle part. J’insiste pour vouloir concentrer le discours, et à être un narrateur fidèle de cette dissolution de plus en plus dissolue de l’ordre des choses liquides qui, inévitablement, nous éclaboussent ; parce que, certes, les événements indiquent une situation de plus en plus préoccupante… Mais, en ce moment – juste maintenant -, alors que tout semble suivre le cours d’une confusion bien orchestrée, je vois – je vois et je vis – un ciel si beau… ; un ciel tel que je ne peux m’empêcher de le regarder comme on regarde un visage jeune et rayonnant de printemps, légèrement éméché par le vin.

 

 

Les fenêtres des maisons encadrent mille pots remplis de fleurs rouges, violettes, pourpres, comme des étoiles terrestres du jour, et les papillons que l’on ne nomme jamais dans aucun article – parce qu’elles n’en viennent jamais au fait – sont distraites parmi les lames vertes gorgées de rosée et le silence qui éclate en tout, depuis les entrailles des puits d’eau qui, autrefois, réverbéraient les échos mauresques de l’eau, et qui sont maintenant une demeure pour des milliers d’oiseaux.

L’après-midi se balance sous un immense nuage qui bleuit la forêt, et dévore avec sa bouche chaque nuance, chaque détail, chaque désir ; et les avale dans ses entrailles comme une grande baleine céleste, émergeant d’une mer éternelle, affamée de prophètes en fuite comme nous ; affamée d’affection comme le ventre de ce Dieu timide qui nous bordera et nous caressera quand, enfin, la nuit nous vaincra avec son sommeil.

Puis, quand je veux revenir au sérieux circonspect de ces jours et commencer à écrire sur quelque chose de valable, ce n’est plus possible… Car une gratitude vertigineuse m’envahit comme un torrent impétueux qui emporte toutes les dérobades distraites et aveuglantes.

Et puis, après la poussée victorieuse de la Beauté, je pense à combien il est bon de vivre ; de vivre consciemment ; de s’éveiller à la conscience de la vie dans cette demeure de chair et avec ce cœur blessé par lequel tous les vents entrent et sortent. Et comme il est bon de poser nos yeux sur l’horizon sans limites qui nous embrasse. Et comme il est bon de voir le ciel changer de couleur au rythme du coucher de soleil fatigué, et de vouloir le garder en mémoire comme on garde, à la dérobée, un trésor fragile et unique. Et comme il est bon de voir notre visage ciselé dans le geste de nos enfants, et d’avoir servi de pont pour eux, entre l’éternel qui brille encore dans leurs yeux et ce jour qui se décompose, comme hier, et comme demain.

 

 

Qu’il est bon le passage du temps, son inexorable et bienheureuse pédagogie pour accompagner l’inévitable réaction aux revers, ou le cri libérateur de ceux qui ne savent pas encore prier, mais qui regardent -encore- en attendant le salut de leurs amours. Et comme il est bon de sentir comment le corps, lui aussi, s’adapte lentement à l’attente patiente que nous n’avions pas dans notre enfance, et de mieux comprendre que rien de ce que nous voyons et prétendons retenir par écrit ne nous appartient. Comme tout est beau maintenant, même la douleur inattendue, ou la rupture du rêve qui ne finit pas de germer dans la terre du désir, et nous l’oublions, ou nous le perdons. Ou nous le méprisons pour son infertilité….

Mais comme c’est beau ; quelle beauté ! Que c’est beau, au-dessus de tout, de vivre : vivre maintenant. Vivre en ce temps. Vivre dans le temps. Que le Temps même existe. Vivre dans la joie ou dans les larmes, en naviguant sur ce fleuve d’or et d’ombres, et essayer de le dire à tous, en cherchant, en choisissant toujours mal nos mots aimés et assoiffés qui, peut-être, ne sont bons pour personne hormis que pour les tergiverser à leur guise. Et, ensuite, se demander un peu attristé ; se demander, pas excessivement préoccupé, pourquoi nous changeons ce bonheur d’être ; d’être en existant, pour les phrases pourries qui nous invitent quotidiennement à nous abrutir et à nous abandonner à l’advocation meurtrière de Caïn.

 

Article écrit par Ricardo Franco et publié dans le journal El Debate de Hoy le 20 mai 2021

Traduit de l’Espagnol par MC

Photos : © Terre de compassion

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