Phénomène rare s’il en est, l'excitation fébrile qui agita le CERN le 4 juillet dernier réussit à propulser les têtes chenues de toute une équipe de sympathiques Géo Trouvetout sur les ondes télévisuelles planétaires. Sur fond de tableaux noirs couverts de signes abscons, des visages barbus et euphoriques parlaient de « particule divine », et les journaux titraient « le chaînon manquant de l’univers enfin découvert »[1], « une porte s’ouvre sur un autre monde »[2], « le boson de Higgs a-t-il révélé l’existence de Dieu ? »[3]. Plus de mille personnes se pressaient à la porte de l’amphithéâtre du CERN à Meyrin (Suisse), dont certains avaient dormi sur la moquette du couloir pour être bien sûrs de ne pas rater l’événement.
Simulation du modèle de désintégration du Boson de Higgs
CC BY-NC-SA robertg6n1
C’est que la chose est rare. Observer une nouvelle particule, c'est à dire ce que l’on présume être un des éléments indivisibles dont l’assemblage constitue la matière, n’arrive en moyenne qu’une fois tous les dix ans. Mais une autre circonstance rendait la chose croustillante : on était à la poursuite dudit boson depuis presque cinquante ans. Et le filet à papillon de dernière génération qui a permis la capture, le LHC, n’est autre que le plus grand projet industriel de tous les temps. Au CERN, son berceau, situé à la frontière franco-suisse, collaborent dix mille scientifiques de 113 nationalités, pour un budget annuel de presque un milliard d’euro.
Si l’on s’en tient aux faits scientifiques, ils permettent modestement d’affirmer avec une certitude jugée suffisante que l’on a détecté une particule qui se comporte « comme devrait se comporter un boson de Higgs ». La découverte est néanmoins d’importance. Elle vient en effet apporter une confirmation majeure de la pertinence de la théorie dite « Modèle Standard », dont les lois mathématiques développées depuis une cinquantaine d’années sont pour l’instant celles qui collent le mieux à la réalité de l’expérience, tout en laissant un certain nombre de questions fondamentales irrésolues.
Cette construction théorique était notamment, avec toute son impressionnante précision, incapable de rendre compte des différences de masse entre ses douze particules élémentaires. Higgs, et deux autres équipes de physiciens indépendantes, ont bâti au début des années soixante une explication audacieuse pour pallier ce manque, postulant l’existence d’une particule nouvelle, dont l’interaction plus ou moins intense avec les autres expliquerait leurs masses respectives.
L’observation de cette particule, rendue particulièrement ardue par son caractère fugitif – deux événements sur dix mille milliards observés au LHC peuvent lui être attribués, fort difficiles à distinguer du bruit de fond – et par l’incertitude quant à sa propre masse, pose donc un sceau sur la théorie de Higgs et ses collègues. Tout comme à la fin du XIXe siècle on s’émerveillait de l’« invention » du champ électromagnétique, passé maintenant dans l’imaginaire populaire, on est en droit de s’extasier sur le champ de Higgs.
Si cet émerveillement-là secoue peut-être seulement les spécialistes, on ne peut s’empêcher pourtant de vibrer au diapason de l’aventure humaine qu’elle représente. Tout d’abord, quelle audace, quelle imagination que celle des théoriciens ! Ils s’inspirent de modélisations mathématiques venant d’autres domaines de la physique, parfois évoquées au détour d’un couloir, dans une discussion impromptue lors d’une conférence, pour proposer une loi collant mieux à la réalité. C’est un bond dans l’inconnu, reposant sur la confiance en l’« intelligence » de l’univers, en sa simplicité fondamentale et sa beauté, qui révèle bien souvent des surprises, des conséquences inattendues. Qui parfois encore se laissent observer…
En cela, le postulat de Higgs est comparable au trait de plume de Planck, qui écrivit son fameux « h » sous un trait de fraction « dans un geste de désespoir », et lança par là la mécanique quantique ; ou à l’équation merveilleuse de Dirac, le physicien esthète. Un terme inattendu et irréductible de sa description de l’électron le força en 1928 à formuler l’existence de l’antimatière, observée par hasard dès 1932 par un physicien américain travaillant sur les rayons cosmiques.
Il est impressionnant que cette passion pour la vérité puisse fédérer des milliers de personnes de toutes cultures et engager de pareilles sommes pour des décennies de travail. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la découverte déclencha une telle joie au CERN ? On y vit des transports d’émotion fort peu communs, rendus plus beaux encore par la présence de Higgs (maintenant âgé de plus de 80 ans) et Englert eux-mêmes. L’un d’eux commenta : « Qu’il est beau de se sentir dans un amphithéâtre comme dans un stade de foot ! »
Pour ajouter à la joie des chercheurs, il semblerait que les problèmes s’épaississent même au fur et à mesure que l’on va de l’avant. Les phénomènes gravitationnels observés dans l’univers prouvent par exemple que la matière visible ne peut être responsable que d’une partie infime de sa masse. D’où provient le reste ? D’une sorte de « matière noire » ? Autre énigme, où est donc passée l’antimatière, créée en égale quantité avec la matière lors du bigbang ? La physique a de beaux jours devant elle, qui promettent à l’humanité bien des coopérations, bien des efforts et des joies à la dimension de ce que nous venons de vivre.
On peut démonter pièce par pièce un ordinateur ou une voiture, on y trouvera aucune trace de l'ingénieur qui l'a conçu. Seule la raison nous amène à penser que l'Idée –au sens platonicien- d'ordinateur ou de voiture a précédé l'assemblage cohérent des pièces. Mais qu'en est-il pour l'univers ? Quel est le rapport entre Dieu et sa création materielle ? Son organisation harmonieuse laisse supposer qu'une Idée a présidé à son développement, mais on imagine mal Dieu se livrant à un travail d'ingénierie en disant: "Là, je vais mettre un boson qui donnera sa masse à l'ensemble". Et pourquoi cet immense gaspillage : des milliards de planètes inhabitables, des milliards d'années de gestation ?
Quand Jésus guérit un paralytique, il y a bien dans le corps de cet homme des cellules mortes qui reprennent vie, des atomes qui s'assemblent à nouveau. Pourtant, l'intention divine ne se situe pas à ce niveau: elle veut soulager une souffrance, affermir une foi, affirmer un amour. La matière "s'adapte" , en quelque sorte, au projet divin . Les chercheurs peuvent continuer de chercher : le boson expliquera peut-être le comment , mais pas le pour quoi.
Merci Jean-Marie – Ces recherches passionantes sont pour moi l'occasion d'un emerveillement toujours renouvele sur la creation et la belle tenacite de ces chercheurs qui, un peu comme les artistes, expriment une soif "de plus" par et dans leur travail.
Il semble aussi que plus les decouvertes vont loin, plus nous decouvrons que nous sommes justement tres loin du "comment". Ce qui me ramene alors effectivement a deux questions fondamentales: par qui? et pour quoi?. Pas d'opposition mais un tout coherent.
Passionant!
Merci Jean-Marie pour ce très bon article, clair et fort bien documenté. Pour une fois que la physique théorique est abordée en relation avec la beauté de l'univers, la quête de la vérité et la communion… cela fait du bien d'avoir affaire à du vrai journalisme !
Passionant!!