Aurélie Filipetti, nouvelle ministre de la Culture, a tiré la sonnette d’alarme : « Ce qui m'a surprise, c'est l'ampleur du désarroi. Des artistes, des professionnels de la culture, des gens passionnés, excellents, se trouvaient confrontés à une crise d'identité. (…) Un sentiment d'inquiétude générale ou d'insécurité s'est développé. L'enjeu essentiel, pour moi, c'est de montrer que la culture est le "disque dur" de la politique, du point de vue de la citoyenneté et de l'économie. Il n'y aura pas de redressement productif sans redressement créatif ![1] »
Les propos de Mme Filipetti font écho à l’article paru dans le Figaro « Quand la culture française broie du noir »[2]. L'auteur de cet article déroule un catalogue d'œuvres toutes plus noires les unes que les autres, livres, films, chansons et mises en scène théâtrales… semblant s'étonner que la maladie, les drames familiaux, la déliquescence sociale et politique, l'euthanasie, l'immigration clandestine, la solitude soient au cœur de ces œuvres.
« Lorsque l'on observera avec le recul nécessaire la France des années 2010, le moins que l'on puisse dire, si l'on en juge par sa littérature, son cinéma et sa chanson, c'est qu'elle n'était pas à la fête. (…) Cette France est majoritairement représentée par des anti-héros cassés, las, amers. Bouchons de liège ballottés sur un océan déchaîné. Petites choses sans repères. »
Rien de bien nouveau. Perte de repères, crise économique, invasion de la psychologie, individualisme… Cependant, ce qui est frappant, c'est la façon dont sont traités ces sujets.
D'abord, il y a une complaisance dans le « problème », que ce soit par la plainte sociale ou l'analyse psychologique, qui empêche justement de le vivre réellement. Parlant du dernier livre d'Olivier Adam, l'auteur de l'article écrit : « Son propos est délibérément social et politique. La littérature n'est plus là pour faire rêver, elle se doit de démontrer plus que de peindre. »
Ensuite, il y a une surdité à l'autre et au mystère. Passons au cinéma : « Parfois, la frontière entre la fiction et le documentaire s'amenuise. ». Une fiction qui ressemble à un documentaire parce qu'elle n'offre rien d'autre que l'image de la réalité comme fin en soi, ce n'est ni une bonne fiction, ni un bon documentaire.
Enfin, sans autre horizon qu'une réalité de souffrance, limitation qui entraîne l'impossibilité ontologique de faire de cette souffrance une véritable expérience humaine, l'unique et misérable espoir de salut contemporain réside dans l'imagination. « Et si aujourd'hui, face à une réalité écrasante, l'espoir n'était l'imaginaire. » Espoir plutôt désespérant : il n'y a rien à tirer de ce monde mais, puisqu'il faut bien vivre, inventons-en un autre qui nous permettra de fuir cette vie insupportable…
Il est bon et rassurant de voir que la culture est l’expression de notre façon de vivre, même si c’est douloureux, parce qu’alors nous sommes en mesure de participer à cette culture et d’y faire entrer, peu à peu, une façon de vivre autre, à contre-courant de cette déshumanisation mortifère.
« Qu’est-ce que la culture authentique ? Elle est communion. Avoir part à ce qui a vaincu le temps et la mort. » (Schmemann)