Jusqu’à récemment, il semblait que seules les cellules embryonnaires ou les cellules du sang de cordon ombilical pouvaient être reprogrammées par la main de l’homme pour se développer en un tissu déterminé (foie, cœur, neurones…) pour traiter les maladies dégénératives, mais les deux lauréats du prix Nobel de cette année ont démontré qu'il en était autrement.
© CC BY Rubenstein
Le 8 octobre dernier, le prix Nobel de médecine 2012 a été décerné à deux chercheurs, l’un biologiste, l’anglais John Gurdon et l’autre médecin, le japonais Shinya Yamanaka. Le premier a montré qu’il était possible de faire revenir le noyau d’une cellule déjà spécialisée à un stade indifférencié (non spécialisé). Le second a prouvé que cela était possible pour une cellule entière : son équipe est en effet parvenue à reprogrammer des cellules adultes en cellules pluripotentes[1], capables de se différencier en n’importe quel tissu de l’organisme. Ce « privilège » était jusqu’alors détenu par les cellules souches[2] obtenues, pour la plupart, soit à partir de sang de cordon ombilical soit à partir d’embryons.
Cette nouveauté change radicalement les perspectives de la recherche en « médecine régénérative » : les cellules peuvent être prélevées sur le patient lui-même pour être transformées en cellules pluripotentes avant d’être reprogrammées pour former le tissu dont il a besoin ; ces cellules ayant le même génome[3] que le patient, elles ne sont pas reconnues comme étrangères, empêchant ainsi le rejet de greffe. De plus, il n’y a plus de raison de se servir d’embryons, M. Yamanaka ayant montré combien ces cellules pluripotentes produites à partir de cellules adultes sont semblables aux cellules embryonnaires cultivées en laboratoire[4]. Ce dernier point constitue un grand soulagement pour nous qui sommes convaincus que l’embryon n’est autre qu’un être humain au début de son existence et qui, comme tel, ne peut être sacrifié sur l’autel de la science, serait-ce même à des fins thérapeutiques.
En effet, les perspectives de cette nouvelle médecine sont immenses ! L’un des buts de cette recherche, outre une meilleure connaissance du fonctionnement cellulaire et du développement des maladies, est en effet celui de remplacer les cellules malades, devenues défectueuses. Qui n’a jamais rêvé de voir tel ou tel proche, atteint de maladie de Parkinson ou de dégénérescence maculaire de la rétine[5], retrouver ses capacités ? Qui n’a osé espérer la régénérescence d’un muscle cardiaque trop atteint pour répondre aux médicaments utilisés ? On pourrait encore citer la sclérose latérale amyotrophique, les atteintes du foie, du pancréas, sans compter les nombreuses maladies dégénératives qui touchent déjà les enfants… La liste des maladies concernées par cette approche thérapeutique est très longue.
Les défis à relever pour parvenir à un tel résultat sont encore nombreux, précise Shinya Yamanaka[6], mais d’importantes clés de compréhension de la différenciation cellulaire ayant déjà été mises en lumière, l’application thérapeutique de ces découvertes sera certainement plus rapide que le temps qu’il a fallu pour les découvrir.
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[1] Après la fécondation de l’ovocyte, issu de l’ovaire, par un spermatozoïde, les premières cellules embryonnaires qui se divisent sont toutes identiques et dites « totipotentes ». Elles vont former l’embryon et le placenta. Les cellules embryonnaires qui suivent ces premières divisions cellulaires ne sont pas encore différenciées ; elles sont « pluripotentes » car capables de se multiplier en n’importe quel tissu de l’organisme. Ce n’est qu’au fur et à mesure du développement de l’embryon qu’elles deviennent de plus en plus spécialisées pour former les différents tissus des organes.
[2] Les cellules souches peuvent être totipotentes, pluripotentes (cf. note n°1), multipotentes ou unipotentes. Les cellules multipotentes peuvent former plusieurs types de cellules mais seulement dans un type de tissu donné (par exemple les cellules du sang). Les cellules souches unipotentes sont limitées à une lignée cellulaire (par exemple les cellules germinales, ovocytes pour la femme et spermatozoïdes pour les hommes). Toutes les cellules souches ont en commun la capacité de se multiplier indéfiniment et de se différencier.
[3] Ensemble des gènes d’un individu, contenu dans les chromosomes de chaque cellule. Chaque individu a un génome différent, sauf les « vrais » jumeaux (homozygotes).
[4] Induced Pluripotent Stem Cells: Past, Present, and Future, Yamanaka S, Cell Stem Cell 10, June 14, 2012.
[5] Atteinte dégénérative de la “macula” qui est un point de la rétine sur laquelle l’image perçue est focalisée. Cette maladie provoque une atteinte progressive de la vision que des lunettes sont incapables corriger.
[6] A fresh look at iPS Cells, Yamanaka S, Cell 137, April 3, 2009.