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Début mai tous les habitants de Salvador ont pu voir une grande affiche qui montrait en gros plan un visage bien connue de tous les Bahianais, celui d’irma Dulce, religieuse qui donna sa vie pour les pauvres de Salvador. Elle fonda plusieurs œuvres sociales qui aujourd’hui poursuivent son travail. Décédée en 1992, les étapes en vue de sa béatification furent rapidement franchies. Celle-ci eut lieu le 22 mai dernier devant plus de 70 000 personnes. Une affiche invitait à se rendre à cet évènement et titrait : « Irma Dulce anjo bom da Bahia, santa de todo o Brasil » (« Irma Dulce, bon ange de la Bahia, sainte de tout le Brésil »). A l’origine de cette affiche on ne trouve pas le diocèse de Salvador mais bien l’Etat de Bahia. De même, la plupart des médias, nullement confessionnels comme le journal « Correio » titraient le lendemain de la béatification : « Bienheureuse irma Dulce, prie pour nous ! ». 

Chambre des députés au Brésil CC BY Agencia Brasil

Force est de constater que le Brésil est plutôt décomplexé lorsqu’il s’agit d’aborder la  question religieuse. Dans la vie courante cela va de la marchande de fruit qui rend la monnaie en concluant la vente par un vibrant « Deus te pague ! » (« Dieu te le rendra ! ») au chauffeur de bus qui donne l’heure d’arrivée et termine le plus naturellement du monde « et que le Christ nous accompagne ». Il n’est pas rare de voir systématiquement une croix ou un psaume dans chaque magasin [1] ainsi que toutes sortes d’affiches sur le dos des voitures et des camions du style : « Acheté avec l’aide de Dieu », « Jésus est mon guide », des conseils comme : « Lisez la Bible », des certitudes pour notre monde instable du genre de : « Seul Dieu est fidèle » et même des exhortations  : « Comment peux-tu vivre comme un chrétien lorsque tu es à l’Eglise et comme un païen le reste de la journée ? ». Bref l’atmosphère est religieuse même si les gens pratique un peu « à leur façon » [2]. N’oublions pas que des prêtres sont régulièrement numéro un des ventes de disques toutes catégories confondues.  

Plus surprenant pour un européen est d’écouter l’ex-président de la République invoquer « a ajuda de Deus » (« l’aide de Dieu ») au début de son mandat [3], de voir toutes les plus hautes autorités de l’Etat assister à la cérémonie de béatification d’Irma Dulce (Présidente de la République, gouverneur de l’Etat, président du Sénat, maire de Salvador, députés…), de constater que les institutions de l’Etat (poste, police, administration publique, hôpitaux…) ont presque partout un crucifix suspendu au mur ou un portrait de saint. Même le Sénat et la chambre des députés possèdent leur croix, bien visible, juste derrière le siège de son président.

Pour autant personne ne se sent lésé dans sa liberté, il n’y a pas de polémique lorsqu’une affirmation religieuse ne correspond pas au sentiment de celui qui la voit, l’entend ou la lit dans l’espace public.  L’Etat se définit comme « laïc » mais derrière ce mot il n’y a pas l’interdiction de revendiquer publiquement une appartenance religieuse. La laïcité au Brésil se fonde implicitement sur une certaine sagesse populaire que l’on entend souvent lorsque deux personnes constatent qu’elles sont de croyances différentes. La cohabitation pacifique a pour fondement entre autres ce proverbe : « De todo modo Deus é um só » (« de toute façon Dieu est un »). Ce qui veut dire implicitement : « Pas la peine de se battre, nos différences religieuses ne sont pas si énormes, nous visons le même Dieu, seuls les moyens changent ».

L’unité de Dieu semble ensuite avoir comme corollaire naturel l’unité de l’homme. Dieu est « un », l’homme est à son image, alors l’homme est donc aussi « un ». Dans la laïcité brésilienne la reconnaissance de cette unité de l’homme entraine donc que l’on ne puisse pratiquer de séparation trop tranchante entre « sphère privée » et « sphère publique ». Ce qui explique la facilité avec laquelle l’Etat laisse faire les différentes manifestations religieuses publique et participe même à leur financement.

Dans le monde politique, celui qui croit n’est pas appelé à dissimuler sa croyance et encore moins à adopter une éthique « politique » qui ne correspondrait pas à son éthique « privée ». Lorsque Dilma Roussef un jour de 2010 a reconnu publiquement devoir subir un traitement en raison d’une tumeur, plusieurs députés fédéraux et sénateurs sont venus vers elle et ont formé un cercle en se tenant la main (sans doute des protestants car c’est un trait caractéristique de leur apostolat).  Puis l’un a pris la parole : « Seigneur, nous te prions pour notre sœur Dilma, protège-la, guéris-la, Seigneur… ». Devant tout le monde, au milieu du couloir du Sénat, des hommes politiques priaient à haute voix. 

Conséquence de ce principe : l’unité de l’homme est aussi la liberté de dire.  Afficher son appartenance religieuse ne sera donc pas vue comme une menace, bien au contraire. De même qu’il n’est pas menaçant pour l’ordre public de se promener avec un tee-shirt arborant les couleurs du club de foot favori, de même personne ne se sent menacé s’il croise une inscription protestante (« restaurant évangélique » ou « Le Christ est Seigneur ») ou animiste « shopping center Yemanja » du nom de la déesse de la mer dans les cultes d’origine africaine).

En vivant au milieu de cette atmosphère de liberté religieuse il est facile de constater combien notre vieux continent a été et reste encore traumatisé par les guerres de religion. Ce pesant souvenir historique a eu pour conséquence principale de faire rentrer dans la mentalité courante que plus un homme est religieux et plus il est potentiellement violent. Au Brésil il semble que ce soit bien le principe inverse qui a été adopté : plus une personne sera religieuse et plus l’Etat aura la garantie qu’il participera à la recherche de l’intérêt commun.


[1] Une affiche dans un petit restaurant dit : « Lorsque tu rentres, que Dieu te bénisse, lorsque tu pars, qu’il te garde ! ». Le psaume le plus souvent affiché c’est le psaume 90 : « Qui s’abrite à l’ombre du Puissant… »
[2] Déclaration d’un prêtre catholique à Stefan Zweig lors d’un séjour de l’écrivain à Salvador da Bahia (tiré du livre : « Le Brésil terre d’avenir »).
[3] Premières déclarations de Luiz Inacio Da Silva (Lula) au soir de sa réélection en 2006 : « il faut se mettre au travail pour qu’avec l’aide de Dieu le Brésil cesse d’être une éternelle promesse ».

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    Effectivement… Je me souviens d'un bus à Salvador de Bahia. Sur le pare-brise, un auto-collant indiquait : Jésus conduit . Heureusement , car cela n'empêchait pas le chauffeur de faire la course avec un autre bus et les freins de sentir le roussi.

  2. Breda

    Vous avez oublié un truc dans votre joli article. C'est vrai de la tolerance religieuse. Un peu beaucoup moins sur une catégorie, les agnostiques comme moi ou athées j'imagine. J'ai suis née et grandi dans ce pays et je sais de quoi je parle…enfin, voilà…