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La résilience japonaise : un mythe ?

de Paul Anel      11 mai 2012

Japon, Tremblement de terre, Résilience, Temps de lecture : 3 mn

Depuis la catastrophe du tremblement de terre du Tohoku en 2011, la "résilience" du Japon est très fortement mise à l'honneur. Plus même, elle est souvent regardée comme un modèle. Mais en se penchant sur les statistiques et en se mettant à l'écoute des Japonais, on se rend compte que derrière cette soi-disante et remarquable "résilience" se cache une réalité différente et tragique.


© Paul Anel
 

« Bien que la catastrophe ait eu un grand impact sur notre société, commente Atsushi Koresawa, directeur exécutif du Centre Asiatique de Prévention des Catastrophes à Kobe Hyogo, le peuple japonais reste calme et coopératif. Je pense que c'est exactement ce dont nous avons besoin en cette période difficile : une confiance dans notre capacité de résilience. » [1]

Au cours des dix dernières années, la "résilience" a fait son chemin dans le top 10 des concepts psychologiques. Le terme est en fait emprunté à la chimie. Il désigne la capacité d'un matériau à résister à des conditions ou à des expériences qui devraient le conduire à sa destruction. La traduction psychologique et sociologique de la notion est assez simple : il s'agit de la capacité d'un individu ou d'une société à vaincre la souffrance, à surmonter un traumatisme. Le Japon incarnerait donc l'idée de "résilience" : cela était déjà vrai avant le tremblement de terre du 11 mars 2011, mais ça l'est d'autant plus aujourd'hui. Le monde entier regarde avec admiration l'étonnante capacité de ce peuple à se relever, encore et encore, après chaque chute. Cette attitude peut d'ailleurs aller très loin, comme en témoignait un homme d'affaire rencontré à Tokyo : « Nous avons eu une réunion de travail le lendemain du séisme. En solidarité avec les victimes, les rafraîchissements ont été annulés, mais personne n'a manqué à l'appel.»

N'y aurait-il pas cependant une autre interprétation possible à ce fait ? Une telle résilience peut témoigner en effet d'une extraordinaire capacité à faire face à la souffrance, mais elle pourrait également manifester, ou plutôt cacher, une incapacité à faire face à cette souffrance. Au début de 2011, le Japon a été classé n°7 sur la liste des taux de suicide les plus élevés au monde. Depuis le tremblement de terre, les chiffres ont presque doublé, passant de 30.000 à 50.000 par an, propulsant le Japon en tête de la liste.

Un autre homme d'affaires, également rencontré à Tokyo, porte un regard différent sur le "miracle" de la résilience japonnaise. Trente ans de vie à Tokyo, son expérience en tant que PDG d'une grande entreprise, et son amour sincère pour le Japon, donnent à son jugement une crédibilité indéniable. « Sur beaucoup de points, dit-il, Tokyo ressemble à New York. C'est une ville très dure, très orientée vers le succès, et chargée de solitude. Mais il y a une différence majeure entre les États-Unis et le Japon. Quand les Américains ont le moral à zéro, ils vont chez le psychologue, et ils parlent, parlent, parlent. Mais quand les Japonais vont mal, ils ne parlent à personne. Ils continuent, autant qu'ils peuvent. Et quand ils n'en peuvent vraiment plus, ils se suicident. »

Alors, comme le prétend M. Koresawa, « une confiance dans [la] capacité de résilience » est-elle vraiment « ce dont [le Japon] a besoin en ce moment difficile » ? Cette résilience ne serait-elle pas un leurre ? Bien souvent en effet, l'ennemi n'est pas vraiment vaincu : il n'est que repoussé. Et l'on se retrouve plus solitaire encore et impuissant face à lui. Ce dont le Japon a besoin en ces temps difficiles, c'est d'apprendre la compassion et le vrai sens de l'amitié. Les Japonais, comme nous tous, doivent pouvoir croire, non en leur propre capacité de résilience, mais en la compassion de leurs frères et de leurs sœurs, car seule la miséricorde peut surmonter la souffrance.

Cela soulève évidemment de nouvelles questions, stimulantes : comment apprendre la compassion ? Comment y éduquer nos enfants et nos jeunes ? Comment l'infuser dans la culture ?

[1] New York Times du 16 Mars 2011

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2 Commentaires

  1. Claire Fortin

    Merci pour cet article qui nous sort pour une fois de la grille de lecture psychologique qui voudrait réduire l'homme à une série de concepts. Il est évidemment douloureux de regarder les choses en face, mais aussi ô combien libérant de constater que le coeur de l'homme est insondable… Il faut vivre au niveau de ce mystère, ou bien bel et bien renoncer à son humanité. Je crois que la culture de compassion, c'est justement ne jamais renoncer à ce niveau-là de l'existence, affirmer l'homme irréductible.

  2. Patrick Hascoët

    Merci également pour cet article nuancé . L’important lorsque l’on a des certitudes, et surtout des « à priori positifs » comme moi sur le peuple japonais,, est de les bousculer Car lorsque notre esprit trouve des repères solides, des fondamentaux rassurants, il se comporte peu à peu comme un vieux tacot qui s’enfonce lentement dans des ornières. Il devient alors difficile d’en sortir .
    Il est donc important de remettre en cause ses certitudes.
    En permanence. N’avoir aucun confort intellectuel.
    Douter .
    Être en équilibre intellectuel instable
    Dans le cas précis du peuple japonais, si l’on est du genre à « glorifier » l’esprit nippon comme moi, j’en viens naturellement et régulièrement a tenter de mettre à mal mon idée forte selon laquelle la civilisation japonaise est au dessus de la notre et au dessus de la majorité des civilisations contemporaines: C’est un trop joli tableau n’est ce pas, cette civilisation raffinée, travailleuse, humble & fière moderne et traditionnelle , bla bla ble…. Je cherche à trouver des failles. Et il y en a tant finalement avec les japonais, notamment avec les horreurs japonaises lors des guerres . Notamment avec leur rapport à la sexualité. Votre article est donc rassurant, me faisant ( Hélas ;) ) aimer le peuple japonais encore plus car le rendant plus « humain », moins « cliché touristique » ….