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A la veille de la fête des pères, nous poursuivons la réflexion sur l’éducation amorcée dans un précédent article. Elever un enfant, de la naissance jusqu’à la fin de l’adolescence c’est nécessairement s’interroger sur le difficile exercice de l’autorité et donc de l’obéissance, son corollaire obligé. Dans ses trois derniers ouvrages, le pédopsychiatre Daniel Marcelli interroge et explore ces notions et nous offre des pistes pour renouveler notre regard sur ces concepts.


© Véronique Landwerlin

Même si à l’âge adulte, la grande majorité d’entre nous a exercé de près ou de loin son autorité sur un enfant, il est certain que nous avons tous eu affaire enfant à une autorité bien ou d’ailleurs mal exercée, et que nous en avons ressenti des sentiments : humiliation ou frustration d’être ainsi soumis sans appel à  la puissance d’un plus fort mais aussi confiance, sentiment de sécurité et de protection…

L’originalité de la démarche de D. Marcelli au travers de ses dernières publications, est de considérer l’autorité du point de vue de celui sur laquelle elle est exercée, c’est-à-dire l’enfant. Il va s’appliquer à montrer une différence entre deux attitudes souvent confondues et pourtant  opposées : la soumission et l’obéissance.

En effet, pendant des siècles, l’usage de la force, de l’humiliation, de la moquerie ont été des moyens considérés comme naturels pour éduquer un enfant. Le but n’était pas que l’enfant soit épanoui mais conforme à la société dans laquelle il vivait. On attendait des enfants une soumission aux exigences de la société dont les parents se faisaient les relais. De cette soumission craintive provoquée par la force sont nés des états d’inhibition graves, de véritables amputations psychiques de la personne, de souffrances indicibles et d’une rage intériorisée. Cela aboutissait parfois à la révolte, à l’opposition systématique et au terrorisme (non dans une démarche de liberté mais d’acte  ultime de survie). Sans oublier le cercle vicieux de l’humiliation subie qui incitait à reproduire sur la génération suivante les mêmes comportements.

Actuellement, les parents continuent à se conformer aux attentes de la société, cependant celles-ci ont radicalement changé. Désormais, un enfant doit être épanoui sur tous les plans (cognitif, physique et affectif) et être donc frustré le moins possible. Les changements sociétaux ont par ailleurs amené une modification des attentes des parents à l’égard de leurs enfants. Dans un contexte de fragilisation des liens conjugaux, les liens de filiation sont désormais vécus comme le dernier garant d’être aimé jusqu’à la fin de sa vie, et la préservation de cet amour devient l’enjeu. On comprend alors mieux pourquoi tant de techniques de séduction sont utilisées à l’égard de l’enfant : chantage affectif, aménagement maximal de l’environnement  pour éviter le plus possible les frustrations, demande d’amour, monnayage… A première vue moins spectaculaires, ces techniques n’obligent pas moins l’autre à se soumettre que lorsque la force est utilisée, et ce peut-être de manière encore plus violente car plus pernicieuse… Les dégâts sont différés mais pas moins tragiques quand la réalité vient mettre finalement des limites à la toute-puissance que l’enfant croyait infinie… De là découle un état de rage fréquemment extériorisée et décuplée par l’humiliation de s’être fait tromper par l’entourage (qui croyait souvent bien faire).

Dans les deux cas décrits, l’enfant est soumis à l’adulte par la force ou par les arguments de la séduction. L’adulte pense finalement d’abord à lui-même en ne contrôlant pas ses pulsions de violence ou de demande d’amour.

Il en va tout autrement pour l’obéissance. La relation d’autorité-obéissance est tout sauf naturelle, elle s’apprend peu à peu dès la petite enfance, fondée par les interactions précoces entre l’enfant et l’adulte. Elle s’établit sur un rapport de confiance, sur l’expérience répétée que fait l’enfant qu’obéir augmente ses capacités, le fait grandir, le protège, lui ouvre les champs du possible. De son côté, l’adulte exerce son autorité dans le but de préserver l’enfant de ses propres pulsions de violence, et renonce délibérément à employer les siennes, dans un acte de respect de l’autre. Cette volonté n’empêche pas par ailleurs d’employer parfois la contrainte physique, nécessaire quelquefois dans les situations d’opposition massive, mais de manière contrôlée. Dans ce cas, l’adulte n’explose pas de violence et peut expliquer à l’enfant ce qu’il se passe.

L’obéissance devient donc le moyen paradoxal de parvenir au but ultime de l’éducation d’un enfant : que celui-ci  atteigne sa liberté de sujet capable de faire des expériences sans s’abîmer trop gravement, car ayant intériorisé par la confiance les consignes de protection de ses parents. Il prendra garde alors à ne pas se mettre en danger même si ce qu’il expérimente l’amène à désobéir, et à finalement pouvoir poser des choix de manière éclairée.

L’autorité  n’est donc pas quelque chose d’innée, mais une démarche sans cesse renouvelée s’inscrivant dans une relation de respect entre deux personnes, amenée à évoluer au fil du temps.

Constance D. et Anne-Sophie R.

Publications :

L’Enfant, chef de la famille : l’autorité de l’infantile
Il est permis d’obéir : l’obéissance n’est pas la soumission
Le règne de la Séduction : un pouvoir sans autorité

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