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Ukraine : les évènements de Maïdan

d'Alexis Sigov  

Au cours de ces dix derniers jours j’ai dû répondre à de nombreuses reprises à mes amis russes et occidentaux à la question : que se passe-t-il à Kiev ?

Il est facile de comprendre que le ton de  ma réponse a changé au fil des évènements se déroulant dans les rues de la capitale. Mais ce qui est important c’est que le sens de mes paroles reste inchangé, il s’est concrétisé avec le temps. Kiev, et avec elle toute l’Ukraine, est témoin d’un fait surprenant : les Ukrainiens ont décidé soudainement de démontrer qu’ils ne sont pas étrangers à la notion de société civile. Oui, de manière immature. Oui, de façon aléatoire et risquant de se diluer dans l'inconscient collectif des manifestants. Pourtant, nous parlons de la société et notamment civile. Devant une thèse si forte, non seulement le pouvoir, mais aussi l'opposition, n’étaient pas prêts. L’expression "Là où il y a deux Ukrainiens, il y a trois Atamans" – est soudainement devenue une ligne de partage entre la position de l'élite politique et la position civile des Ukrainiens. Dans ce sens est caractéristique le malentendu apparu entre les leaders de l'opposition et les manifestants, ​​le 24 Novembre dans le centre de Kiev. Les gens ont délibérément refusé de passer sous les bannières des partis, préférant les drapeaux de l'Ukraine et de l'Union Européenne. Le message des 60000 manifestants présents sonnait très simplement : le garant de la Constitution, en engageant des négociations d'un accord d'association avec l'Union Européenne est obligé de poser sa signature sur le document, exprimant ainsi la volonté de la population. Quand tout le monde, ce même dimanche 24 Novembre, depuis la tribune, s’est mis à crier le mot de l'opposition exigeant la démission du président et du gouvernement, les gens raisonnables se sont demandé comment il est possilbe de simultanément scander "Ianoukovitch  signe !" et "Ianoukovitch, démission !".

En cela, il me semble, réside la principale différence entre les manifestations d'aujourd'hui et celles de 2004 (lors de la révolution orange). Les gens se lèvent pour leurs droits, et cette position consciente des citoyens ne cherche pas à traduire leurs aspirations dans la figure de quelque leader politique dont on ne pourra rien exiger dès qu'il sera en place sur "le trône". Non, de nombreux Ukrainiens sont prêts à endurer, à prendre la responsabilité de ce qui se passe dans le pays, mais aussi à exiger une action claire de la part des politiciens. Plus surprenant est d'observer l’ampleur d’un tel mécontentement : la majorité des personnes descendues dans la rue sont apolitiques, et, de fait, beaucoup d'entre elles ne sont pas étrangères à un sain scepticisme à l'égard des relations entre l'Ukraine et l'Union européenne.

La démonstration sur la place de l’Indépendance à Maïdan, ainsi que dans d’autres villes du pays est devenue un signal important pour deux raisons. D'une part, les Ukrainiens sont en mesure de montrer au monde que l’opinion du rédacteur-peuple ne coïncide pas toujours avec la position de l'auteur-président. D’autre part, les gens des différents parties de l'Ukraine ont vu des visages pacifiques en qui on peut faire confiance, et qui se préoccupent de l’avenir de leur pays.
Le deuxième point est devenu un genre de signal positif : nous sommes ici, nous nous voyons et nous nous comprenons les uns les autres et nous essayons d'exprimer cette compréhension de l'élection présidentielle de 2015. Il me semble que c'est cela même qui fait peur au pouvoir : les habitants des régions de l’est ont démontré facilement qu’ils ne sont pas en route avec des dirigeants tels que le nationaliste Tyahnibok ou le leader du parti de Timochenko, Iatseniouk, ou l’allemand Klitschko, mais il est beaucoup plus difficile de les persuader de faire à nouveau confiance à Ianoukovitch dans une situation où les gens sont prêts à se consolider sans clichés politiques. Il n'est un secret pour personne que le soutien de M. Ianoukovitch dans sa région natale est en baisse constante. En outre, le premier dirigeant qui oserait parler en russe et en même temps répondre aux valeurs occidentales, aurait toutes les chances d'obtenir l'appui de la majorité des habitants du sud-est.

Le sommet de Vilnius a été un bel échec ukrainien, l'objectif des manifestants n'a pas été atteint, et dès le lendemain l’appel pour continuer la manifestation semblait plutôt une parodie de l'expression citoyenne. Attendre en permanence jusqu’à l'élection présidentielle de 2015 sur la place Maïdan est impossible, même pour les étudiants les plus courageux et les révolutionnaires les plus ardents. Il n'y avait que quelques pas à faire pour que l'histoire du mécontentement de toute l'Ukraine se calme pendant au moins dix-huit mois. La tragédie qui a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche semble particulièrement sauvage et absurde. Pourquoi poser cet arbre de Noël "sanglant" sur la place Maïdan ? Qui a eu l'idée de commander le passage à tabac de civils, parmi lesquels se trouvaient un correspondant de Reuters, un homme d'affaires polonais et bien d'autres ? Dans la recherche de réponses à ces questions très précises, nous ne devons pas perdre de vue la chose la plus fondamentale : il est évident que la pointe pro-gouvernement a une peur sauvage de l'inconnu – à savoir, que les gens sont capables de regarder patiemment vers le futur, ce qui pousse les limites sclérosées de la conscience. Il s'avère que l'homme est capable de ne pas exiger tout et maintenant, mais pour défendre l'avenir de son pays, il est capable de travailler dur pour les générations futures, pour l’idée du bien, que lui-même probablement ne verra jamais. Qu'est-ce que l'opposition silencieuse, les militants de la société civile ont exprimé ouvertement ? Dans le cas d’un choix d’une direction occidentale, les conditions de vie vont se détériorer encore pendant de longues années. Mais la possibilité de changer l'avenir du pays sous nos yeux cesse d'être une image romantique et s’incarne dans des actions concrètes de personnes pacifiques d’esprit.

Cette incompréhensible logique d’espérance effraie littéralement le cerveau des personnes qui sont au pouvoir et qui sont habituées à l’infatigable amélioration de leurs propres besoins. Comment voulez-vous croire que cette crainte ne se transforme pas en massacre de gens pacifiques et encore souriants ?

Photo ci dessous : le fameux sapin de Noël, posé sur la place que les gens se sont empressés de décorer eux-mêmes !

 

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