Home > Cinéma, Théâtre > Film : Inside Llewyn Davis

Le dernier film des frères Coen dresse un portrait mélancolique de Llewyn Davis, un chanteur de folk dans le Greenwich Village du début des années soixante.

Le Greenwich Village de cette époque n’était pas encore le lieu artistique en vue que Bob Dylan a rendu célèbre. C’était un lieu un peu semblable au Berlin d’aujourd’hui : un lieu pour musiciens pauvres mais assoiffés de communauté, de vérité et de liberté. Le retour à la musique folk se voulait un retour à la tradition musicale créée par la classe ouvrière. Les musiciens désiraient ainsi retrouver une authenticité de la musique qui parle d’une expérience de travail et de communauté et qui a fait ses preuves de chanteurs en chanteurs. Les frères Coen ont voulu ainsi retracer le portait de Llewyn Davis, personnage librement inspiré du musicien Dave Van Ronk. Pendant une semaine nous suivons cet homme qui cherche à faire face à la pauvreté et l’absence de reconnaissance du public, tout en restant fidèle à son art et à la musique folk. Quelques amis qui l’accueillent pour une nuit et quelques inconnus qui l’aident un moment en chemin lui permettent de mener cette lutte dans laquelle il reste seul depuis le suicide de son ami et partenaire.

« Tu fais quoi ? », demande un graffiti à Llewyn. C’est toute la question du film. Tu fais quoi de ta vie ? Qu’est-ce qui te pousse dans cette galère où tu vis d’incertitudes et de lendemains précaires ? Où tu dors chaque nuit  sous un nouveau toit ? Où chaque concert est un miracle ?

Dans un monde où tous, y compris les musiciens, suivent laborieusement le chemin qu’ils se sont assignés en tâchant de trouver une place, Llewyn avec sa guitare et son désir de continuer à chanter est une provocation. Jean, musicienne folk, lui demande : « Jamais tu penses au futur ? – Comme déménager en banlieue et avoir des enfants ? – C’est mal ? – Si la musique pour toi c’est ça alors oui, c’est un peu carriériste, un peu ringard et un peu triste. »

Alors que les événements de sa galère quotidienne semblent se répéter à l’infini, alors que ses amis et son entourage cherchent à fuir les problèmes, que ce soit dans la recherche d’une vie confortable et sans surprise ou dans le suicide (le personnage de Mike, le partenaire qui s’est suicidé reste omniprésent comme une question, une alternative), Llewyn représente le désir de liberté qui trouve son expression dans sa musique. C’est pourquoi lorsque sa sœur lui conseille d’arrêter la musique pour repartir dans la marine, pour trouver une vie qui rentre dans la règle et supprime l’incertitude, Llewyn répond : « Arrêter, c’est ça ? et… exister ? » Simplement exister parce qu’il faut bien exister, mais perdre cette expression unique de ce qu’il peut donner au monde ? Perdre sa liberté ? Non ! Ce serait perdre le sens de sa propre vie.

Après un parcours épique, Llewyn finit par arriver devant Bud Grossmann, personnage inspiré d’Albert Grossman, propriétaire d’un club de folk et personnage incontournable de la scène folk de cette époque. Llewyn lui joue The Death of Queen Jane, récit de la reine morte pour donner la vie à son enfant et parallèle violent de Jean, l’amie qui accueille régulièrement Llewyn et qui lui a demandé de payer l’avortement de l’enfant qu’elle attend et dont il est peut-être le père. Bud Grossmann ne reste pas impassible devant le cri du jeune musicien et le silence qui suit le morceau en dit long sur la reconnaissance de l’artiste mais la phrase qui tombe ensuite est sans appel : « Je ne vois là pas d’argent. »

Llewyn est cet éternel exilé qui dérange les conventions et provoque chacun en chemin en posant un instant la question : « Tu fais quoi ? ». Le film ne donne pas la réponse (il semble se terminer exactement comme il a commencé, dans un cercle toujours recommencé), mais les frères Coen ont le génie de poser la question avec vérité sans enfermer à aucun moment dans une réponse contrefaite.

 

 

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2 Commentaires

  1. isidore

    Bonjour, merci pour la critique. J’ai trouvé le film absolument génial, de loin le plus subtil, mélancolique et profond des frères Cohen. Mais comment peut-on faire une critique sans citer Bob Dylan, qui apparaît à la fin du film? Une des questions majeures soulevées par le film est : pourquoi lui, avec sa voie de canard, va-t-il réussir et devenir le plus grand des songswriters, alors que le héros du film a une très belle voix et va rester aux portes de la modernité musicale? La (non-)rencontre entre le héros du film et Bob Dylan, fugacement entrevu et entendu à la fin, est une idée de cinéma superbe, une poignante chute déceptive.

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