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"Soir du Vendredi Saint. Depuis vingt siècles, l'Eglise se rassemble pour se rappeler et pour revivre les événements de l'ultime étape du chemin terrestre du Fils de Dieu. (…) Nous croyons que chaque pas du Condamné, chacun de ses gestes et chacune de ses paroles, et aussi ce qu'ont vécu et accompli ceux qui ont pris part à ce drame nous parlent continuellement. C'est aussi dans sa souffrance et dans sa mort que le Christ nous révèle la vérité sur Dieu et sur l'homme." Par ces paroles, Jean-Paul II introduisait la méditation du Chemin de Croix au Colisée en l'an 2000. Il ajoutait : "Nous voulons réfléchir avec une intensité particulière sur le contenu de cet événement, afin qu'il parle avec une force nouvelle à nos esprits et à nos cœurs, et qu'il devienne pour nous source de la grâce d'une authentique participation". Pour nous aider dans cette réflexion, quelques lignes d'Adrienne von Speyr.


© Natalka Satsyk

Près de la croix du Seigneur se tiennent trois femmes. La première est sa Mère, qui l'a accompagné de sa naissance à sa mort, qui l'avait accompagné dès avant sa naissance en lui donnant son consentement et l'accompagnera encore jusqu'à l'Ascension, qui toujours a été sienne, puisque de toujours, elle a eu part à son être. Par son oui, elle a conçu en elle sa substance ; depuis toujours son être était déterminé par la substance de son Fils. Elle n'était pas seulement la Mère pour son Fils ; par le Fils, elle était la Mère dans le sens le plus déterminé du mot, avant même d'avoir consenti par son oui à la maternité. Déjà la préparation à sa maternité était maternité. Elle réalise par là la destinée de la femme : elle est la Mère par excellence, la Mère de tous, la Mère pour tous. Étant ainsi la Mère, elle peut répondre oui à la question de l'ange ; de même que le oui d'une religieuse, lors de sa profession, est la suite du oui prononcé au moment de son entrée dans la vie religieuse. Marie personnifie au pied de la croix la Mère par excellence.
A côté d'elle se tient la deuxième femme, la femme de Clopas, qui représente n'importe quelle femme. Mais cette femme quelconque a ceci de particulier qu'elle est liée avec la Mère du Seigneur, qu'elle devine par conséquent quelque chose du rapport entre la Mère et le Fils. C'est à ce titre qu'elle se tient là et représente la femme catholique en général. Elle a été choisie pour se tenir au pied de la croix, et c'est presque un hasard qu'elle soit désignée par un nom. Comme Marie est la Mère, elle est la femme.
Enfin, la troisième femme, c'est la pécheresse. Sa présence est requise comme celle des deux autres. Elle est une de celles pour qui le Seigneur a cheminé sur cette terre et qu'il a converties sur sa route. La femme qui a été rachetée de ses graves péchés.

Ces trois femmes remplissent, au pied de la croix, leur tâche de souffrance, d'amour et de reconnaissance. Chacune d'entre elles, avec ce qu'elle a de propre, se trouve là où l'on souffre au nom du Seigneur. Elles réalisent ensemble ce qui est nécessaire pour donner à la croix la résonance prévue par Dieu. On ne peut pas s'imaginer la croix sans elles. Elles souffrent toutes : la Mère, parce qu'elle perd son Fils, la femme de Clopas, parce que par cette souffrance elle remplit le sens de son existence, et Madeleine, qui se doute bien que le Seigneur expie le péché dont il l'a délivrée. Elles circonscrivent ensemble toutes les possibilités de la souffrance féminine, en se tenant simplement là et en souffrant chacune dans la mesure que Dieu lui a destinée.
Elles se tiennent près de la croix. Elles sont ce qui maintenant est vivant en dehors de la croix. Elles ne se tiennent pas là comme cette fausse royauté, comme ce cœur perfide se tenait à côté de la vérité. Elles sont dès lors en même temps que près de la croix au centre de la croix. La Mère s'est tenue là dès le début, en conditionnant par son oui la possibilité du oui du Fils, tandis que son propre oui était conditionné par le oui infini et réciproque du Père et du Fils. Elle personnifie tout ce qui rend possible la mission du Fils et dès lors sa passion. Marie-Madeleine par contre personnifie la réalisation de cette mission. Elle est celle qui a été rachetée de ses péchés ; elle est le fruit de la croix, qui est présent lors de la passion endurée pour ses péchés. La troisième femme, c'est la femme anonyme, la femme en général, dont la tâche semble tout insignifiante ; sa seule présence prouve que cette tâche voilée est essentielle. Ces trois femmes survivront toutes à la croix. Parce qu'elles vivent et souffrent dans la croix, elles restent vivantes : c'est ainsi qu'elles remplissent leur mission ; et toute mission est infinie. Marie vit et souffre comme la toute pure, le vase du Saint-Esprit, qui accompagne et secourt toute souffrance humaine ; elle apparaît dans sa purification comme la pureté depuis toujours purifiée, rayonnante et douce dans sa maternité, dont la grandeur est due à la passion, à tout ce qu'elle a souffert de la passion du Fils. La deuxième aussi la femme anonyme, accomplit sa mission, parce qu'elle accède à la grâce de la passion et se tient entre la toute pure et la pécheresse. Elle n'est marquée par aucune sainteté particulière, sa vocation n'est pas de participer à la passion de manière particulière ; elle montre seulement la possibilité pour chacun d'assister le Seigneur à l'heure de sa mort, en silence, toute voilée dans l'insignifiance. La présence de cette femme caractérise la grâce toute pure, gratuite et débordante du Seigneur. Madeleine, qui a eu le privilège de recevoir la grâce du Seigneur, accomplit maintenant son devoir de reconnaissance et de réparation, en portant, elle aussi, quelque chose de la passion de la croix.

Ainsi, se font face la toute pure et la pécheresse. Mais le Seigneur ne s'occupe pas seulement de la toute pure qui l'accompagne et de la pécheresse qu'il a purifiée du pire péché, il s'occupe tout autant de Marie de Clopas ; et si la passion du Seigneur est vraiment une passion pour tous, alors ceux qui se tiennent dans ce centre anonyme, ne doivent pas oublier qu'eux aussi étaient debout au pied de la croix, qu'il ne fallait pas être exceptionnellement pur ni exceptionnellement pécheur pour être particulièrement pris en considération par le Seigneur près de la croix. Ni aux yeux du Seigneur, ni à nos propres yeux, une pureté exceptionnelle ou un état pécheur exceptionnel ne signifie que nous sommes prédestinés au don de la grâce. Le christianisme n'est pas une religion des extrêmes. Ni même une religion pour ceux qui auraient des signes distinctifs particuliers. Ce ne sont pas seulement des éléments bien structurés, marquants, bien organisés, qui forment l'Église, mais aussi des éléments inconnus, anonymes, apparemment médiocres. Et il faut que tous les éléments extrêmes qui existent réellement et doivent exister, possèdent quelque chose de l'humilité de cette moyenne.

Adrienne von Speyr aux Editions Lessius (Belgique)

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