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Eduquer sur la route du pastis

Les Toulousains l’appellent « la route du pastis ». Quand on remonte la route nationale 20 jusqu’aux sources de l’Ariège dans les Pyrénées, on arrive enfin dans l’eldorado : le Pas de la Casa, ville frontière qui marque l’entrée dans la principauté d’Andorre. Mossén Ramon de Canillo, prêtre catalan, développe depuis 40 ans une œuvre d’évangélisation étonnante auprès des jeunes.

(Photo  Meritxell)

Lorsque le Mossén[i] Ramon Rossell Serra, prêtre du diocèse d’Urgell[ii], arrive en Andorre en 1966, l’expansion économique vient à peine de commencer. Sa paroisse, Canillo, est encore un village. Dans les années 1970, c’est le boom économique : les centres commerciaux, les  stations de ski, les hôtels , les  immeubles de rapport  et les centres de loisirs se multiplient et occupent le moindre replat de la montagne. Sans oublier les banques , car nous sommes dans un paradis fiscal.  Il y a du crédit disponible, des chantiers partout. Soutenue par une immigration abondante, la population augmente rapidement.

Un maître d'oeuvre au sanctuaire

Le Père Ramon constate vite le désœuvrement des enfants pendant les vacances, quand la saison touristique bat son plein et que leurs parents travaillent. C’est pour eux qu’il va construire la colonie d’Aina, qui ouvrira en 1976. Notre homme n’en est déjà plus, à l’époque,  à son premier chantier : en 1972, la chapelle romane de Notre-Dame de Meritxell, sanctuaire national des Andorrans situé sur la paroisse de Canillo, est détruite par un incendie. Les temps sont à la prospérité : le gouvernement andorran voit les choses en grand et demande à l’architecte catalan Ricardo Bofill de concevoir un  sanctuaire moderne, vitrine d’un pays en pleine croissance. Le P. Ramon, recteur de Meritxell, en sera le maitre d’œuvre.

Entrepreneur audacieux, Mossén Ramon se révèle aussi un éducateur remarquable. Bien des prêtres qui ne savent comment approcher les jeunes pourraient l’envier. Depuis 1976 , plusieurs milliers d’enfants , andorrans ou immigrés, de familles riches ou pauvres, ont séjourné à Aina : 700 chaque année, encadrés par 60 moniteurs bénévoles , pour la plupart anciens « colons ». Même les handicapés sont accueillis. Tout le pays connait « Mossén Ramon de Canillo » et Aina est devenu une institution. Les décorations françaises et espagnoles, discrètement affichées dans son petit bureau (son « clapier », dit-il ) témoignent de la reconnaissance officielle de son action et du fait qu’il est devenu une référence en matière d’éducation. Il dispose régulièrement d’une tribune dans le quotidien local, Diari d’Andorra.

Son GPS pour seule arme

La pratique éducative est d’abord centrée sur l’apprentissage du respect. Respect des autres, respect des lieux et du matériel : chacun participe à l’entretien des locaux, soigne les plantes,  apprend à devenir autonome. Sur le sens de l’effort aussi : par la pratique du sport, par les randonnées qui permettent de découvrir les sites et le patrimoine du pays, par l’activité artistique. Le tout soutenu par une pédagogie du projet mettant les enfants en situation de créativité. Fils de paysans, Ramon a aussi sa basse-cour, pour la plus grande joie des petits.

Notre-Dame de Meritxell (Photo BA)

Mais la principale boussole éducative à Aina, c’est l’évangile. « Un GPS , explique Ramon. Je m’explique : G comme groupe, car c’est ensemble que nous pouvons faire de grandes choses. P comme prière ou communion avec Jésus. S comme service parce que le service du prochain est l’âme de l’amour » Les messes dominicales sont une fête à Canillo. « En retour, les enfants m’apportent énormément : simplicité, spontanéité, tendresse, confiance. Ils m’apprennent l’esprit d’enfance. Ce sont eux la véritable couronne de la Mère de Dieu à Meritxell ». Meritxell, où les moniteurs font chaque année un pèlerinage et une relecture. « Je demande souvent à Notre-Dame, la Vierge du silence : apprenez-moi à écouter[i]. » Le silence, Ramon va souvent le chercher à la grande abbaye  de  Catalogne, Montserrat.

Que reste-t-il du temps passé à Aina à l’âge adulte ? Le P. Ramon est lucide : l’Andorre a beau être un pays officiellement chrétien, elle évolue comme toutes les sociétés de consommation. Mais le « GPS » d’Aina est inscrit dans les cœurs. « J’essaie d’être un de ces pèlerins d’Emmaüs qui accompagnaient Jésus dans ses pérégrinations. Je suis un éducateur comblé ». Dans leur apprentissage de la vie, les enfants de la principauté ont eux aussi été accompagnés vers Jésus par l’infatigable  pèlerin de Meritxell, qui a fêté l’an dernier ses 50 ans de sacerdoce.

 

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[i] Mossén : titre respectueux et affectueux donné aux prêtres par les Catalans.

[ii] Le diocèse d’Urgell, situé au nord de la Catalogne, est un des plus vastes d’Espagne. L’Andorre est un de ses doyennés.

[i] Les citations sont extraites du journal La Vie  (n° 3599 du 21 aout 2014).

 

 

 

 

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