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Entretiens avec François Cheng

 

Ceux qui ont voyagé, reconnaissent, en même temps qu'une profonde affinité, le caractère irréductible de chaque culture. Et puis il y a ceux qui s'installent. Venant d'ailleurs, ils font de cette terre leur lieu. Ils voudraient franchir la distance, vaincre les premières hostilités, se fondre dans cet univers. Pour mieux y parvenir, ils lisent ses auteurs, écoutent ses musiciens et s'attardent devant ses peintres. Ils voudraient maîtriser toutes les subtilités de la langue et de l'âme. Mais curieusement, plus ils s'unissent au peuple qu'ils veulent aimer, plus ils prennent conscience qu'ils viennent d'ailleurs, que les choses, là-bas, ont un autre goût et les voix, d'autres intonations. Ils ne sont plus tout à fait de chez eux et, malgré leur bonne volonté, ils ne seront jamais parfaitement d'ici. Au delà de cette souffrance d'exil et des limites de chaque culture qu'ils ne cessent de porter, ils se font les nautoniers de la beauté. Ils demeurent pour passer, d'une rive à l'autre, des richesses qui nous ramènent au Mystère. En veillant amoureusement les beautés profondes de chaque peuple, ils peuvent revitaliser l'âme d'un pays et contribuer à soigner ses blessures. 

Passionné par la culture française, passeur infatigable, c'est ainsi qu'on peut évoquer le poète, l'essayiste et le sage François Cheng, membre de l'Académie. S'émerveillant des grandes et des petites choses, il nous rappelle que miraculeusement, le mot « grâce » en français « veut dire à la fois beauté et bonté ». Il nous apprend aussi qu'en chinois, l'idéogramme désignant la beauté, « nao », est composé de deux éléments : la femme et l'enfant, et se demande : « quoi de plus beau et de meilleur que la relation de la mère à l'enfant ? » Il souligne, transmet et transfigure ses héritages dans une gratitude toujours croissante. Nous connaissions ses Cinq méditations sur la beauté, remarquables synthèses de cette rencontre, ainsi que ses essais, romans et ses poèmes. Nous savons combien pour lui, le visible devient un accès à l'invisible et le fini à l'infini, à condition « de donner à voir ». Ainsi, « l’art ne peut seulement célébrer le visible, comme est tentée de le faire, de le démontrer la peinture réaliste. Dans la lumière d’un tableau de Vermeer, la lumière qui entre manifeste l’infini dans le quotidien des choses. Dans "l’Astronome", le cabinet se présente comme un peu sombre, mais au-delà du globe céleste qui dessine le ciel – l’homme caresse le globe – son regard tend vers la haute fenêtre. Epousant son regard, nous nous demandons d’où vient la source de lumière qui incarne l’infini du ciel étoilé, auquel aspire le personnage. Cette attente de l’infini ouvre l’invisible dans le visible. » (Entretien avec Nicolas Tabuteau dans Le nouveau recueil).

Comment donc ne pas se réjouir de la parution des Entretiens réalisés avec Françoise Siri pour l'émission « A voix nue » sur France Culture ? D'autant plus qu'ils sont accompagnés de douze poèmes inédits dont chacun révèle l'humilité et la délicatesse avec laquelle François Cheng ouvre le regard sur le don de chaque chose et de chaque instant, don rendu plus précieux par la souffrance. Témoin des horreurs de la guerre Sino-Japonaise à l'âge de 10 ans, il devient cet être déchiré, « hanté à la fois par la beauté du monde et le mal qui le ronge ». Son œuvre surgit de cette blessure : « Je savais déjà que si je voulais saisir la vérité de la vie, je ne devais jamais oublier de tenir ces deux bouts, de chercher à atteindre une vérité qui rende compte de tout le bien et de tout le mal dont l'humanité est capable ». Le premier quatrain qu'il écrivit en français et dont il voudrait faire son épitaphe prend alors tout son sens : « Nous avons bu tant de rosée / En échange de notre de sang / Que la terre cent fois brûlée / Nous sait bon gré d'être vivants ». 

 

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Retrouvez les Entretiens avec François Siri sur France Culture
Lire un extrait présenté sur le site des éditions Albin Michel : 

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