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« Laudato si' » commentée par les orthodoxes

L'encyclique verte reçoit un accueil enthousiaste de l'Eglise orthodoxe qui perçoit davantage que nous le sens spirituel de la nature et de la liturgie cosmique. Le Patriarcat œcuménique de Constantinople a participé à la présentation de l'encyclique « Loué sois-tu »en la personne du métropolite Jean Zizioulas de Pergame. Celui-ci propose une analyse théologique du document publié par le pape François. 

Un moine orthodoxe et son ours (Ενοριακό ιστο-Λόγιο)

Le métropolite commence son intervention en rappelant que les orthodoxes mènent depuis des années cette réflexion sur le rapport entre l'écologie et la foi. Outre la portée historique de l'évènement, son regard apporte des éléments précieux pour aider à la réception du texte. 

1. Théologie et écologie

Son premier point met en lumière un certain manque dans la théologie en dépit du fait que l'écologie appartienne aux fondements de la foi, ce qu'il développe à partir des mystères de l'Incarnation et de l'Eucharistie :

« Qu’est-ce que l’écologie a à voir avec la théologie ? Dans les manuels traditionnels de théologie, il n’y a guère de place pour l’écologie et l’on peut dire la même chose des parcours d’enseignement des écoles de théologie catholiques, orthodoxes et protestantes. L’encyclique consacre un chapitre entier (ch. 2) à montrer les profondes implications écologiques de la doctrine chrétienne de la création. Il souligne que, selon la Bible, « la vie humaine est enracinée dans trois relations fondamentales et étroitement liées avec Dieu, avec notre prochain et avec la terre elle-même (par. 66). Cette troisième relation, i.e. avec la terre, a très souvent été ignorée par la théologie chrétienne au point que l’historien américain Lynn White, dans un article maintenant connu de la revue « Scientist » (1967), accusait la théologie chrétienne d’être responsable de la crise écologique moderne (…).

Cette attitude à l’égard de la création a non seulement conduit à un mauvais usage de la doctrine biblique mais a, en même temps, contredit des principes fondamentaux de la foi chrétienne. L’un d’eux est la foi dans l’incarnation du Christ. En assumant la nature humaine, le Fils de Dieu a pris sur lui la création matérielle dans sa totalité. Le Christ est venu pour sauver la création tout entière par son incarnation, et pas seulement l’humanité ; car, selon saint Paul (Rm 8,23), « la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement » dans l’attente de son salut par l’humanité.

L’autre principe fondamental de la foi chrétienne qui a des implications écologiques importantes concerne le cœur même de l’Église, qui est la sainte eucharistie. Dans la célébration de l’eucharistie, l’Église offre à Dieu le monde matériel sous la forme du pain et du vin. Dans ce sacrement, l’espace, le temps et la matière sont sanctifiés ; ils sont élevés au Créateur avec reconnaissance, comme ses dons à notre égard ; la création est solennellement déclarée don de Dieu et les êtres humains, au lieu d’agir en propriétaires de la création, agissent en tant que ses prêtres, qui l’élèvent à la sainteté de la vie divine. Cela rappelle les paroles émouvantes de saint François d’Assise par lesquelles s’ouvre l’encyclique : « Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre ». Comme l’ont expliqué saint Grégoire Palamas et d’autre Pères grecs, la création tout entière est imprégnée de la présence de Dieu par ses énergies divines ; tout annonce la gloire de Dieu, comme le dit le psalmiste, et l’être humain conduit ce chœur cosmique de glorification au Créateur, en tant que prêtre de la création. Cette façon de comprendre la place et la mission de l’humanité dans la création est commune à la tradition chrétienne de l’Orient comme de l’Occident et elle est d’une importance particulière pour la culture d’une philosophie écologique. »

2. La dimension spirituelle

Il continue son discours en développant les aspects spirituels de la question écologique. Il évoque d'abord la rupture entre l'humanité et la terre qui s'enracine dans le péché : « L’Église doit maintenant introduire dans son enseignement sur le péché le péché contre l’environnement, le péché écologique. La repentance doit être étendue pour couvrir aussi les dommages que nous infligeons à la nature, comme individus et comme sociétés. Cela doit être porté à la conscience de tout chrétien qui se soucie de son salut. » Cet état de fait s'exprime dans la montée de l'individualisme : « On a fait de la poursuite du bonheur individuel un idéal à notre époque. Le péché écologique est dû à l’avidité humaine qui aveugle les hommes et les femmes au point d’ignorer et de mépriser la vérité de base selon laquelle le bonheur d’un individu dépend de sa relation avec le reste des êtres humains. Il y a une dimension sociale dans l’écologie, que l’encyclique fait ressortir avec clarté. » Ainsi, il explique que la préoccupation pour l'écologie va de pair avec l'amour du prochain, tant en terme de justice sociale que de préoccupation pour les générations futures. 

Il rappelle alors l'importance de l'ascétisme, idée si « déplaisante dans notre culture actuelle qui mesure le bonheur et le progrès à l’aune de l’augmentation du capital et de la consommation. » Ainsi, « La modération de la consommation de ressources naturelles est une attitude réaliste et des moyens doivent être trouvés pour mettre une limite à l’immense gaspillage de matériaux naturels. » L'attitude de saint François ainsi que la spiritualité monastique orientale ne sont pas pour lui « du romanticisme. Cela jaillit d’un cœur aimant et de la conviction qu’entre le monde naturel et nous-mêmes, il y a une unité et une interdépendance organiques qui nous font partager un destin commun, simplement parce que nous avons le même Créateur. »

Il termine cette partie en évoquant la prière : « la spiritualité doit pénétrer notre philosophie écologique par la prière. » Il cite un extrait de prière proposée à la fin de l'encyclique : « (…) Enseigne-nous à découvrir la valeur de chaque chose, à être remplis d’émerveillement et de contemplation, à reconnaître que nous sommes profondément unis à toutes les créatures, tandis que nous cheminons vers ton infinie lumière ».

S'ensuit une explication sur la date du 1er septembre déclarée par le Patriarcat œcuménique comme un jour de prière pour l'environnement.

3. L’importance œcuménique de l’encyclique

Enfin, il montre les enjeux de l'encyclique concernant les tâches communes des chrétiens divisés : « Nous vivons à une époque où les problèmes existentiels fondamentaux débordent nos divisions traditionnelles en les relativisant au point de les faire pratiquement disparaître. Regardez, par exemple, ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient : ceux qui persécutent les chrétiens leur demandent-ils à quelle Église ou confession ils appartiennent ? L’unité chrétienne, dans de tels cas, est de facto réalisée par la persécution et le sang – un œcuménisme du martyre. (…).  De même, la menace que fait peser sur nous la crise écologique dépasse ou transcende nos divisions traditionnelles. »

Il conclut en montrant comment l'encyclique sert le désir d'unité qui anime les chrétiens : « L’encyclique du pape François est un appel à l’unité – unité dans la prière pour l’environnement, dans le même Évangile de la création, dans la conversion de nos cœurs et de nos styles de vie pour respecter et aimer chacun et chaque chose qui nous sont donnés par Dieu. Nous en sommes reconnaissants. »

Lire l'intégralité de la présentation :

"Loué sois-tu", présentation du métropolite Jean Zizioulas de Pergame, Zenith.org

 

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