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Pour que Gaspard n’oublie pas qu’il est digne jusqu’au bout

Gaspard est un petit garçon de 2 ans. Il est atteint de la maladie génétique neuro-dégénérative de Sandhoff, qui l’emporte petit à petit. Pour Gènéthique, sa maman, Marie-Axelle, raconte la façon dont elle l’accompagne en préservant sa conscience d’exister et la dignité dont il est dépositaire.

A partir de quand, ou jusqu’où une personne est-elle digne ? Je me rappelle cette histoire vraie, que j’ai lue il y a quelques mois. Une infirmière raconte un évènement qui s’est déroulé aux urgences. Elle voit arriver un homme âgé, blessé au pouce. Il lui demande de se dépêcher de le soigner. Il doit vite partir parce qu’il va, chaque jour, voir sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer. A l’infirmière qui s’étonne, il explique : « Elle ne me reconnait jamais, mais moi, je sais encore qui elle est »… Cette phrase résonne en moi. Elle résume aussi mon expérience auprès de Gaspard.

Gaspard m’a fait énormément cheminer par rapport à la dignité. Aujourd’hui, à un peu plus de deux ans, sa conscience s’altère chaque jour davantage. Il n’est pas tout le temps présent. Il n’a plus conscience de son corps. Il n’en connaît plus les limites. Je me demande de plus en plus souvent s’il réalise que je suis auprès de lui. Gaspard a perdu la vue et sur les quatre sens qui lui restent, il en utilise essentiellement deux : l’ouïe et l’odorat.

Gaspard, mon petit garçon malade, complètement invalide, ne peut pas me montrer qu’il est digne. Totalement dépendant, non-communicant, il ne peut pas valoriser sa propre vie et c’est à nous, à moi, de prendre le relais et de trouver les moyens, parfois très concrets, de lui signifier l’importance de sa vie, de son existence. Et dans ce contexte, la stimulation physique est primordiale : en lui mettant ses chaussettes, il se peut que je lui fasse mal. Mais, c’est parce que « tu sens que je te touche, que tu sais que je sais que tu existes ».

Gaspard a deux ans et il devrait être en pleine phase d’opposition. Pourtant, il est au contraire complètement dépendant, livré à ce que je vais décider pour lui. Alors, pour lui permettre de faire ses propres choix, j’ai choisi de lui proposer des QCM, des questions avec plusieurs options de réponses. C’est toujours moi qui choisis à la fin et qui lui impose mon choix. Mais je l’invite à faire lui-même le sien… même si on n’est pas d’accord et qu’il ne pourra pas me le dire. C’est encore une façon de lui permettre d’exister, de lui manifester qu’il est quelqu’un et quelqu’un d’important simplement parce que son cœur bat, parce qu’il est un petit homme et que, même malade, il est vivant.

Avec Gaspard, j’ai compris que c’est l’entourage d’une personne qui lui permet de prendre conscience de sa dignité. En effet, l’indignité ne vient pas de la personne elle-même, mais du regard que les autres posent sur elle. De fait, la dignité extérieure, la dignité visible de Gaspard, dépend beaucoup de notre regard sur lui : il s’agit de le rassurer sur le prix de sa vie. Quelque soit son état.

Je ne peux m’empêcher de penser à cette phrase du Petit Prince de Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». Et je sais que la vie vaut la peine d’être vécue malgré la dépendance, quelle que soit la pathologie qui nous atteint, quelque soit l’état dans lequel on se trouve. Et quand on ne « stimule » plus la dignité de l’autre, on le condamne. L’euthanasie devient alors un recours facile quand la souffrance de l’autre est un miroir réfléchissant notre propre douleur : « Je ne supporte pas de te voir souffrir, il est trop difficile de te faire vivre, je voudrais que tu meures, parce que je ne sais pas, ni ce que tu penses, ni si tu souffres ». En voulant l’euthanasie, nous pensons suspendre et arrêter la vie, alors qu’il faudrait en insuffler davantage.

Enfin, la solitude est la faille de la dignité. La solitude et l’abandon font perdre l’estime que la personne possède d’elle-même parce qu’il est difficile de se dire que la vie vaut la peine d’être vécue quand on est, pour des raisons graves, « au fond de son lit ». Aussi, j’estime que nous avons tous une responsabilité à l’égard des personnes malades, une responsabilité qui nous oblige à poser sur elles un regard qui manifeste leur dignité. Pour nous, nous nous sommes appuyés sur notre réseau de famille et d’amis, et nous n’avons pas hésité à nous faire aider de soignants formés, afin d’offrir ce regard à Gaspard. Et chacun révèle ses ressources cachées. Aussi, nous devons être attentifs à développer nos idées, à entourer nos malades, parce qu’il leur faut beaucoup de force et de courage pour continuer à s’estimer. Ces personnes sont en situation de dépendance, la vie est devenue fragile, la conscience de soi est atteinte. Alors, il suffit de leur révéler, par notre regard, leur dignité, pour qu’elles accèdent à leur propre bonheur.

 

Marie-Axelle Clermont

30 ans, est mariée, et maman de 4 enfants. Gaspard est le dernier de la fratrie. Elle est bénévole dans une association qui accompagne des personnes malades. Elle travaille comme assistante de gestion.

 

Article paru dans Génétique.org le 03/12
 
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