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« A la fois catholiques et orthodoxes » : entretien avec le Père Dymyd

Canoniste et écclésiologue gréco-catholique ukrainien, le Père Dymyd nous donne son point de vue sur la rencontre entre le patriarche Cyrille et le pape François.

Père Dymyd, comment avez-vous perçu cet événement ?

Je le regarde comme une réalité inspirée par l’évangile. Les rencontres faites dans l’esprit d’amour du Seigneur portent toujours un fruit. Il peut être direct ou indirect, mais ça c’est une autre histoire, car c’est le Seigneur qui est maître de la vie. Quoi qu’il en soit, l’ouverture à l’autre est toujours positive et dans ce sens, l’invitation est pour moi d’y répondre par une confiance spéciale dans les personnes. Car Dieu fait des miracles par les rencontres des hommes qui voient dans les autres l’icône du Christ.

Pensez-vous que cette rencontre a été un miracle ?

Pour répondre à cette question il faut regarder les grandes rencontres de l’histoire, comme celle de saint François d’Assise avec le Sultan, ou celle du président Gorbatchev avec le pape Jean Paul II. J’imagine le ton de ces rencontres, qui peuvent être au début parsemées de belles paroles et de considérations humaines, mais qui, si elles sont sincères, continuent par des moments de vérité divine. Car la vérité est divine ou elle n’est pas. Elle peuvent donc mener à des choses positives. Par exemple, après la rencontre avec Gorbatchev, nous avons obtenu la liberté de religion dans l’ex-URSS, toujours en vigueur dans divers nouveaux états. Dieu aime les naïfs, parce qu’il peut faire son œuvre par le biais des hommes de ce genre. Et je crois que le pape François est de ce type. Il n’est donc pas possible de savoir qui sort vainqueur, car ce n’est pas une question d’analyse mais une question de temps.

Dans la déclaration il y a eu une reconnaissance des Grécos-catholiques par le patriarche Cyrille, comment percevoir cet aspect-là ?

Il est étrange que les dignitaires de cette rencontre écrivent qu’une communauté âgée de 400 ans ait droit à l’existence. Je crois que personne, outre le Seigneur, ne peut permettre à quelqu’un de vivre ou non.

Les gréco-catholiques existent, et par la grâce divine, ils sont bien portants. Outre la grâce divine, ils n’ont besoin de rien d’autre. Cela correspond à leur foi et à leur vécu, car divers régimes au cours des siècles ont décidé d’anéantir les greco-catholiques (la Russie tzariste, la Pologne, l’Union soviétique, etc.). Mais le but de cette église consiste à glorifier Dieu. Je dirais même plus, elle existe comme exemple pour le monde orthodoxe et le monde latin romain catholique. Pourquoi ? Parce que nous avons conservé cette union des églises qui a été proclamée au Concile universel de Florence, concile à la fois catholique et orthodoxe. Et ces églises orientales catholiques – pas seulement les ukrainiens, car il y en a beaucoup d’autres dans le monde – ont conservé cette union avec l’Église Universelle et veulent continuer à être orthodoxe et catholique sans avoir peur de cette double identité. Parce que l’Eglise ne peut être catholique et non orthodoxe ou orthodoxe et non catholique.

Si Dieu a donné 400 ans de vie à cette église, qui prie, œuvre, se dispute, fait la paix, aime, est en exil, est déportée dans tous les coins du monde, cela veut dire que Dieu veut encore continuer cette église et qu’Il a un plan pour elle. Pour moi, qui suis ecclésiologue en même temps que canoniste, c’est très clair. Car la dernière fois que l’Êvêque de Kiev et de Moscou a rencontré le pape de Rome c’était en 1438 à Florence. Il s’agissait du métropolite Isidor. Il était un acteur important de ce concile d’union entre l’évêque de Rome et l’évêque de Constantinople. Ils ont signé cette accord pour dire que l’Eglise est une. Et dans cet esprit de Florence, l’Eglise gréco-catholique continue à exister jusqu’à aujourd’hui.

Et comment cela s’exprime-t-il en Ukraine ?

En Ukraine, c’est l’église la plus dynamique. Une majorité d’Ukrainiens, croyants, non croyants, catholique, orthodoxes, reconnaissent que c’est la plus dynamique sur le plan social, celle qui a le plus d’impact humain. Nous désirons que le peuple tout entier soit intégré dans cette mission de salut. Que chacun, quel qu’il soit, de quelque provenance ou nationalité qu’il soit puisse profiter de ce don. Pour cette raison, l’Eglise gréco-catholique est ouverte à tous les croyants orthodoxes d’Ukraine, qu’ils soient canoniques ou non canoniques. En effet, dans le document de la Havane, on parle de canonicité. C’est là que se trouve le nœud pour les gréco-catholiques qui comprennent bien que l’église en Ukraine existe dans ses limites canoniques, mais qu’elle existe aussi au-delà. Je dirais que c’est une très grande découverte que nous a fait vivre le concile Vatican II dans Lumen Gentium, à savoir que l’Eglise catholique « subsistit » au delà de ses frontières canoniques. C’est cette réalité que vivent les gréco-catholiques, fidèles au siège de Rome et conscients de leur responsabilité devant l’histoire.

L’approche du concile panorthodoxe en juin et la possibilité de nomination du patriarcat de Kiev ouvre un grand espoir de réconciliation des chrétiens. D’autre part, durant les évènements de Maídan, on a vu les gréco-catholiques être moteurs la prise de conscience de l’unité des chrétiens d’Ukraine.

Les gréco-catholiques ont toujours ouvert leurs cœurs, même en ayant eu peur de le faire. Ils ont toujours tendu la main de la réconciliation aux orthodoxes. Parce qu’ils sont conscients d’être eux-mêmes des orthodoxes en communion avec le siège de Rome, et c’est très important. C’est-à-dire que si on veut parler d’union, d’œcuménisme, ceux qui ont fait le plus de chemin dans l’histoire, ce sont les gréco-catholiques. Est-ce qu’une unité est possible ou est-ce une illusion ? Même s’ils ont quelquefois été latinisés, qu’ils ont quelquefois des problèmes, qu’ils sont trop zélés, la foi et l’idéal des gréco-catholiques est de montrer à leurs frères de la même racine orthodoxe qu’il est possible de vivre comme orthodoxe dans l’unité universelle que le Christ a demandée à son père.

Ce que vous dites rend difficile à comprendre qu’on puisse déclarer que l’« uniatisme » soit dépassé.

Pour tout le monde, il faut revoir et réétudier avec beaucoup d’attention le concile universel de Florence. Aucun autre concile universel orthodoxe et catholique ne s’est célébré depuis Florence jusqu’à aujourd’hui. D’autre part, aucun concile œcuménique orthodoxe et catholique n’a déclaré que Florence était une erreur ou un mensonge, et qu’il n’y aurait pas d’unité. Personne n’a proclamé une telle réalité parce qu’elle n’existe pas et que du point de vue canonique, l’unité existe déjà. Ceux qui la représentent, ce sont les gréco-catholiques qui se sont battus avec l’aide du Seigneur pour que nous soyons signes pour le monde de l’universalité catholique. Et ceci c’est une grande responsabilité que les gréco-catholiques ont, car ce n’est pas facile d’être montré du doigt, mais d’autre part, c’est ce qu’ils promeuvent : une compréhension du monde à la fois catholique et orthodoxe.

Pourquoi une démarche positive est-elle aujourd’hui montrée du doigt comme négative ?

Si les orthodoxes montrent du doigt ceux qui ont réalisé cette union, c’est à cause d’une mauvaise compréhension de l’« uniatisme » qui se réduit à ses aspects politiques. Mais si on donne une signification théologique à ce terme, nous devrions tous être « uniates ». En premier lieu avec Notre Seigneur Jésus-Christ et en deuxième lieu avec tous les disciples de Jésus-Christ. Dans tous les sens possibles et imaginables.

L’œcuménisme est-il un uniatisme ? Si on donne une signification négative au mot « uniatisme », et bien non. Mais si on lui donne sa signification théologique, ceux qui travaillent sur le champ de l’œcuménisme travaillent à l’uniatisme. Toute rencontre, le concile panorthodoxe, un concile universel que pourrait appeler le pape de Rome, toutes ces démarches sont uniatistes, puisqu’elles ont pour fin de reconnaître et de réaliser l’union dans le Christ. Si on comprend cela on comprend tout, si on ne comprend pas cela, on ne comprend rien.

On perçoit donc la mission toute particulière des gréco-catholiques pour l’Eglise entière et pour le monde aujourd’hui.

C’est ce que j’ai compris de cette réunion à mon avis positive dans la démarche et dans la théologie, de ces deux représentants de notre monde.

Il y eu aussi la réaction de Mgr Sviatoslav qui a souligné d’avantage les formulations délicates liées au conflit ukrainien.

Oui, mais cela revient à dire quoi ? Que je suis plutôt sceptique pour ce qui concerne les hommes et leurs déclarations, mais que je suis plutôt optimiste pour ce qui concerne le plan du Seigneur. Voilà.

C’est une position de sagesse et de foi.

Mais si nous croyons que nous ne pouvons pas faire un centimètre, ici nous voyons quelque chose qui sort de nos schémas. Maintenant ayons la patience et soyons humbles, parce que Notre Seigneur est grand.

Quel est le pas suivant pour continuer ce chemin d’unité ?

Le pas suivant, c’est de voir dans son prochain, l’icône du Christ.

Pour le moment on voyait dans le patriarcat de Moscou un ennemi et un conquérant. Beaucoup d’orthodoxes russes voyaient dans le pape de Rome l’antéchrist. Une moitié des catholiques romains voyaient le KGB ou la Russie tsariste derrière les prêtres et les Evêques orthodoxes russes. Essayons de changer de lunettes et de regarder du point de vue de Notre Sauveur qui est venu apporter sa miséricorde à tous et à tout.

Merci Père Dymyd, ce que vous dites m’aide à regarder cette actualité avec une espérance plus lucide et plus grande.

En parlant avec vous, moi aussi je reprends encore plus espérance.

 

Propos recueillis par Denis Cardinaux le 15 février 2016

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