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Le champ de bataille de l’agriculture, entretien avec Jean-Luc Pamart

Agriculteur en Picardie, producteur de blé, de betteraves à sucre et de pommes de terre, Jean-Luc Pamart, connu comme le "paysan des poilus" à cause de sa passion pour la guerre de 14, nous livre son expérience de la crise. Entretien exclusif.

Quelles sont les conséquences de la crise de l’agriculture sur votre travail ?

On est passé d’une agriculture picarde dans un marché européen, au marché mondial et donc soumis au dictat des Etats-Unis sur l’alimentaire. Je dépends exclusivement du marché mondial. J’ai du blé aujourd’hui à vendre, je vais peut-être vendre demain… Je suis sans arrêt sur le marché, sur internet, à la bourse de Chicago. J’ai 35 ans de carrière agricole. Je me souviens au début, c’était beaucoup plus simple, plus facile. On était sur le marché européen, c’était un marché de proximité, protégé. On mettait des pommes de terre en filets et on les vendait sur les marchés. Maintenant on en fait des frites pour McCain pour qu’on mange des frites de Jean-Luc Pamart au MacDo ! La marge, elle est chez McCain, pas chez nous. Par contre, le risque est chez nous. Si je ne produis pas bien, McCain va chercher un autre producteur dans un autre pays, et je suis mort. C’est ce qui s’est passé cette année…

Autrefois, on vendait très peu de blé à l’extérieur parce que l’Europe était déficitaire. Mais aujourd’hui, on est complètement excédentaire dans toutes les productions. Et il faut vendre. Au niveau mondial, il n’y a que cinq entreprises qui achètent du blé, toutes américaines. C’est la même chose pour l’éleveur qui veut vendre son bœuf, il n’a que quatre ou cinq centrales d’achat. Il ne peut pas se battre… On est face à des géants et on est seul. On nous dit de nous regrouper, de faire une coopérative mais ça ne change pas le problème, une coopérative, c’est une poussière face à ces géants.

Mon problème, c’est que j’ai trois salariés et donc trois familles en plus de la mienne à nourrir… Vu mon âge, je devrais avoir un enfant qui reprenne l’exploitation mais aujourd’hui il ne va pas reprendre ma place puisque financièrement, il ne s’en sortirait pas.

Il faut penser à tous ces jeunes qui ont repris des fermes en France depuis 10 ans. Quand ils ont démarré, ils ont recréé des ateliers, les éleveurs se sont modernisés pour répondre aux normes de Bruxelles. Ils se sont endettés et aujourd’hui, c’est un vrai drame. L’année dernière, j’étais à Sainte Anne d’Auray, il y avait une messe pour tous ces éleveurs qui s’étaient suicidés.

Vous parlez de la solitude et du suicide des agriculteurs. Comment vivez-vous cette dimension humaine de votre métier ?

En Picardie, on a des exploitations qu’on a regroupées qui permettent d’avoir des surfaces importantes. On est dans un système relativement privilégié par rapport au paysan de Bretagne ou d’ailleurs. Cet homme-là, il est seul dans sa ferme, il s’est endetté, aucune femme ne veut partager sa vie à la ferme où tous les jours, il faut traire les vaches et mettre la main à la pâte. Ces gars-là ne peuvent donc même plus se marier, fonder une famille. Ils s’endettent et finalement tombent dans un désespoir profond. C’est un drame de l’absurde, la folie de notre société.

Tout va à une vitesse grand V alors que pour nous, tout prend du temps. Ma production est sur un cycle d’à peu près 18 mois. Un éleveur, il lui faut dix à quinze ans pour monter son troupeau, ça prend du temps. Et parfois en quelques minutes la décision est prise de liquider son troupeau. C’est une folie, on vit des moments de grande angoisse.

Quelles autres conséquences présage cette crise de l’agriculture pour la France ?

On arrive à des drames effrayants. On a évoqué la vie de ces paysans. Et puis imaginez une France sans paysan, une France qui ne sera plus du tout rurale. On ne voit pas que le paysan, au-delà de sa production, il fait un travail de fond : il entretient les fossés, il taille les haies… Dans les zones de montagne, les animaux viennent couper l’herbe, c’est ce qui évitera les avalanches… Il y a tout un système qu’on est en train d’éclater et il n’y aura pas de retour. On continue de prendre des décisions qui désertifient la France. Notre pays va devenir un désert. Des villages sont rachetés par des anglais, des allemands… mais il n’y a plus de paysan. Alors la nature va reprendre le dessus, il y aura de la ronce, des jachères… On en paiera les conséquences à la prochaine pluie diluvienne.

Est-ce qu’il faut que les paysans aient un salaire pour l’entretien de l’espace ? Ils pourraient être aidés par les collectivités avec pour mission, celle de rendre la campagne fertile, viable et belle pour le promeneur du dimanche… C’est une piste pour Bruxelles mais je ne crois pas que cela intéresse les politiques. Quand un état comme la Grèce est endetté, l’Europe lui verse de l’argent, mais au paysan qui a travaillé dur, qui a investi, qui s’est endetté, on ne donne rien.

Pourtant, vous aimez votre métier, pourquoi ?

Cette terre, elle me raccroche par plein de choses. C’est la terre de mon grand-père et de mon père. C’est aussi une terre historique où sont morts des milliers de soldats. C’était des paysans tout simples qui sont venus mourir dans mes champs pour défendre leur terre. Cette terre, j’ai un lien charnel avec elle, un lien d’histoire, un lien de fidélité vis à vis de ces soldats. C’est une terre un peu à part.

J’aime aussi ce métier parce que je l’ai partagé avec mes enfants et avec ma femme, Béatrix, on a pris toutes les décisions ensemble. Béatrix est fille de militaire. Quand on s’est marié, elle a fait un stage de quinze jours – trois semaines pour apprendre les termes agricoles, elle n’y connaissait rien. Et puis elle s’y est incroyablement bien faite. On a semé du blé ensemble, elle allait sur le semoir. C’est des moments de partage en couple incroyables. Cette vie à la campagne est une chance pour la famille, cette vie où tout le monde travaille ensemble. Quand j’avais besoin d’un coup de main des enfants, il y en avait toujours un prêt à monter sur le tracteur pour aider. Familialement, c’est une expérience magnifique.

Tous les matins, quand j’arrive sur ma terre, elle est splendide. Aujourd’hui j’ai semé des betteraves, la terre était amoureuse, elle était belle, prête à accepter ce que je lui donnais pour produire le maximum. C’est une terre qui a gelé, qui a eu le temps d’hiverner. Ce soir, c’était magnifique. On sème… C’est tellement beau, c’est une promesse… Après, on verra comment ça va se passer au fil des mois et si j’arrive à vendre ce qu’elle produit. Ça, c’est une autre question.

Chaque jour je passe devant le monument de la croix brisée, le Christ à terre dans mes champs. Le Christ avait un bon sens paysan, il avait un regard sur la nature, sur les récoltes. La parabole du Bon Semeur est incroyable. Il a du regarder faire et à partir du savoir des paysans de là-bas, en tirer tous ses enseignements de paraboles. Il aurait fait un bon agriculteur ! Ce soir, aux vêpres, on parlait d’Elisée qui était en train de labourer quand il a été appelé par Elie… La Bible ne cesse de faire référence à notre métier.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans l’agriculture aujourd’hui ? 

J’ai un fils qui vient de reprendre une exploitation… En couple, il faut être solide parce qu’ils vont passer des moments difficiles. Mais cela peut aussi souder votre couple ! C’est un magnifique projet de créer une nouvelle exploitation. Il bouillonne d’idées pour diversifier son activité, mais on est loin du paysan en contact direct avec la terre. Mon métier tel que je l’ai exercé, c’est mort, c’est fini. On ne peut plus vivre de cela.

Faut-il réinventer l’agriculture d’aujourd’hui ?

On arrive à un marché mondial avec des productions hors-sol. Ce terme « hors-sol » est très explicite. Il y a une déconnexion avec la terre, on est maintenant capable de produire dans des hangars, les allemands arrivent à mettre 2000 vaches dans les étables. Sur le marché mondial, on est directement en rivalité avec les agriculteurs qui ont cinq ou dix-mille hectares en Australie ou aux Etats-Unis alors que  notre système européen est vieillot avec ses charges sociales, ses structures vieilles. Face à ces pays où tout est permis, tout est autorisé, on ne fait pas le poids. On perd ce contact avec la terre qu’il faut toucher, sentir, on est complètement déconnecté de notre nature et du monde rural.

Mon fils a fait une expérience assez étonnante. Il a vendu des paniers bio dans un de ses stages. Un jour du mois de janvier, une dame lui a dit : « Ecoutez, c’est bien les paniers mais moi, j’en ai assez de manger des pommes de terre, des choux, etc. Est-ce que vous ne pouvez pas me mettre des avocats, des fraises ? » Elle n’avait rien compris au système qui ne consiste pas à mettre des produits dans un avion pour les importer mais à utiliser les produits locaux. Les gens sont complètement déconnectés du rythme de la saison, du rythme de la terre. C’est très étonnant. Il y a une cassure entre le monde rural et les villes, les agglomérations. Ça m’inquiète beaucoup.

J’ai une autre petite expérience comme ça. Dans le cadre de mon association 14-18, j’ai des jeunes qui viennent travailler en chantiers de réinsertion pour refaire des monuments. Une fois, on creusait des marches pour faire un escalier à Confrécourt. Un des jeunes m’a dit « Monsieur Pamart, c’est la première fois que je touche de la terre. Je n’ai jamais mis les mains dans la terre. » Vous vous rendez compte ? Il n’avait jamais vu que du béton, c’était la première fois qu’il touchait la terre. Un retour en arrière, je n’y crois pas trop parce que ce sont des gens qui ne touchent pas la terre qui nous gouvernent et nous dirigent.

Dans le monde agricole, on a beaucoup de batailles internes, parfois violentes. La question des OGM a été un gros sujet de tension et puis aujourd’hui, c’est celle des éoliennes. Installer une éolienne, c’est mettre des milliers de tonnes de béton dans la terre qu’on ne pourra jamais enlever. Moi, j’ai de la chance, j’ai pu faire classer énormément de sites grâce à 14-18, ça me protège. Mais mettre des tonnes de béton dans la terre, c’est un non sens.

Quel avenir voyez-vous pour l’agriculture ?

Je suis très pessimiste. Mais à un moment ou un autre il y aura un retour, c’est des cycles. Il y aura des famines, et je pense que ces famines viendront de l’Amérique latine. Le Brésil, l’Argentine, produisent le soja OGM, une culture qui ne peut être désherbée que par le Roundup, un produit hautement cancérigène qu’on vaporise par avion au-dessus des villages. Les agriculteurs brésiliens ou argentins sont ainsi pieds et poings liés avec les Américains, avec Monsanto la multinationale qui produit le Roundup. Mais un jour le Roundup sera interdit parce que c’est beaucoup trop dangereux. Ce sera une catastrophe, la pénurie de Soja, la fin de l’Argentine… Ca va venir très vite, on y est dans cinq ans…

Pour conclure, vous diriez que vous êtes inquiet pour l’avenir mais que vous ne regrettez rien ?

Ah ça, je ne regrette rien de ma vie ! Ni ma vie professionnelle ni ma vie familiale qui étaient complètement imbriquées l’une dans l’autre. La vie à la campagne est dure. Béatrix faisait des heures de covoiturage pour emmener les enfants à l’école. Pour les enfants, les activités extra-scolaires, c’était la ferme, c’est tout. On est à part, mais on a des richesses incroyables. Vraiment je ne regrette rien. Les enfants, quand ils parlent de leur jeunesse, je vois que ça a été un moment merveilleux. Maintenant il faut qu’ils construisent.

Par contre, en fin de carrière, j’ai une grande tristesse parce que si je n’arrive pas à transmettre ma terre, je serai très malheureux… Je peux la vendre mais c’est à l’un de mes enfants que je veux transmettre l’exploitation. Mon inquiétude, c’est celle là. On a trois à quatre ans…

 

Pour aller plus loin :

 

Cultiver son champ de bataille, film de Thomas Ermel

Source : http://webtv.agriculture.gouv.fr

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1 Commentaire

  1. Pascal

    C'est très touchant comme témoignage, la perte sera bien au delà des denrées alimentaires, ce sera la perte d'un mode de vie, de patience, de la grande solidarité entre les paysans pour faire face à la dureté des aléas climatiques. Sans parler de la poésie, de la sagesse paysanne…