Home > Cinéma, Théâtre > Erythrée, le règne de la peur

Le 14e festival du film et forum international sur les droits humains (www.fifdh.org) s'est achevé à Genève le 13 mars dernier. Ce festival se déroule depuis quelques années en parallèle de la session de printemps du Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU.

Le film Voyage en Barbarie, coréalisé en 2015 par Delphine Deloget et Cécile Allegra, nous présente les témoignages de Robel, Germay, Filmon, Halefom et bien d’autres jeunes Erythréens qui racontent leur passage en enfer juste après avoir quitté leur pays. En effet, nombreux sont ceux qui fuient l’Erythrée, petit pays de la corne de l’Afrique, devenu indépendant en 1993, mais également devenu un pays à la dictature féroce où le service militaire à durée illimitée est obligatoire pour tous les jeunes adultes !  On y pratique aussi largement les détentions arbitraires (y compris des enfants). Devant ce manque de perspectives, beaucoup fuient au risque de leur vie : à la frontière, ils sont à la merci des tirs des gardes-frontière et, une fois au Soudan, ils ne peuvent souvent pas échapper aux kidnappings qui se sont considérablement développés dans la région depuis 2008. Les ravisseurs sont en effet organisés en centaines de réseaux et tout autant de camps de torture, situés dans les pays limitrophes (Soudan, Libye, Egypte…). Les témoins du film ont pour la plupart été détenus dans le vaste désert du Sinaï. Les tortures les plus infâmes et les plus raffinées sont pratiquées dans ces camps pendant qu’on appelle au téléphone la famille de la victime en exigeant une rançon : les tortionnaires cherchent ainsi à extorquer aux proches des sommes à hauteur de 30 000 voire 50 000 dollars en échange de la remise en liberté de leur victime. Face aux cris de douleurs de cette dernière, dont les proches reconnaissent évidemment la voix, ceux-ci font tout ce qu’ils peuvent pour réunir l’argent (et s’endetter ainsi pour des années) et l’envoyer aux tortionnaires. Il n’est pas rare néanmoins que la victime soit alors revendue à un autre groupe de tortionnaires qui poursuivent ces traitements dégradants jusqu’à ce qu’ils obtiennent à nouveau l’argent demandé ou que la victime succombe à ses blessures…

Une Erythréenne ayant grandi et résidant en Suède, Meron Estefanos, prenant connaissance du phénomène, a mis en place une radio non seulement pour faire connaître cette tragédie dont personne ne parle et dont les gouvernements se détournent mais aussi pour venir en aide aux victimes : en se faisant passer pour un membre de la famille, elle peut leur parler et les encourager, certains ayant réussi à fuir cet enfer pour demander l’asile en Europe. Meron signale que l’argent criminel arrive souvent dans les banques occidentales et que des intermédiaires occidentaux sont donc aussi en cause : l’un d’eux a récemment été jugé en Suède. Mais, comme le dit Meron, ce n’est que le début d’une longue bataille.

On reste sans voix face à ce gigantesque univers concentrationnaire qui s’est développé dans cette partie de l’Afrique ces dernières années. Le témoignage de ces jeunes, soumis aux traitements les plus dégradants et mutilants, souvent porteurs de séquelles douloureuses dans tout leur corps (en plus d’avoir été blessés au plus profond d’eux-mêmes par une telle violence), fait largement écho aux témoignages des rescapés des camps nazis du siècle dernier.

Dans le débat qui a suivi le film, animé par le journaliste Michel Cerutti, Marie Maurisse, journaliste du quotidien Le Monde, a précisé que le gouvernement érythréen possède de nombreux avoirs commerciaux et bancaires dans le monde entier qui semblent  le protéger d’une condamnation par la communauté internationale. Face à la question que nous portions tous en nous après un tel film, « Que faire ? », Cécile Allegra nous a encouragés d’une part à faire connaître cette réalité en en parlant autour de nous, en parlant du film, et d’autre part, si l’occasion nous est donnée, d’encourager voire d’accompagner les Erythréens rencontrés dans nos pays à déposer une plainte dans les postes de police de leur lieu de résidence : plus le nombre de témoins à charge contre les tortionnaires augmentera, plus les pressions sur les gouvernements pourront elle aussi augmenter. Le film Voyage en Barbarie a reçu, lors de ce festival, le Grand Prix de l’Organisation Mondiale Contre la Torture.

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