Home > Spiritualité > Noël, un mystère d’adoration

« Qu’est-ce qu’adorer ? Nous sommes forcés à penser d’une manière nouvelle cet acte d’adoration, qui, à notre époque sécularisée, est devenue une réalité bien étrange. » Pour entrer dans le mystère de la Nativité, voici un texte de Hans urs von Balthasar.

Georges de La Tour, L’adoration des bergers (environ 1645), Musée du Louvres
 

On dit que les Rois mages, arrivant auprès de l’Enfant et sa Mère, se prosternèrent et l’adorèrent. On devrait dire la même chose des pasteurs, toutes les représentations de la Nativité nous montrent les pasteurs dans une attitude de vénération ; ils savent bien en effet, grâce à l’ange, que cet enfant est le Sauveur, le Messie, le Seigneur. Et combien de représentations anciennes nous montrent Marie en adoration silencieuse devant l’Enfant posé amoureusement sur le sol. Les jours de Noël sont un temps durant lequel l’adoration de Dieu – connue déjà à travers l’Ancien Testament, dans les psaumes par exemple – a des raisons nouvelles pour être ravivée, et ainsi, reçoit une forme radicalement nouvelle : nous pouvons et devons adorer Dieu en ce petit enfant que Lui nous a envoyé. Cela est si surprenant que nous sommes forcés à penser d’une manière nouvelle cet acte d’adoration, qui, à notre époque sécularisée, est devenue une réalité bien étrange.

S’il existe encore en nous une relation personnelle avec Dieu, la plupart du temps, nous lui présentons nos suppliques, et cela est juste. Mais rarement nous le remercions, des dix lépreux guéris par Jésus, seulement un revient pour le remercier. Ou quand nous affrontons la souffrance, nous réalisons dévotement un acte d’abandon à l’incompréhensible volonté éternelle de Dieu, et cela aussi est juste. Mais résignation, soumission dévote a la volonté de Dieu, cela n’est pas encore l’adoration. 

Qu’est-ce qu’adorer ? Dieu est unique et infiniment mystérieux. De la même manière, l’acte même par lequel nous le reconnaissons avec tout notre être comme Dieu, notre Dieu, est unique et par conséquent, il n’est pas si facile de le décrire ; essayons malgré tout : c’est reconnaitre que seul Dieu est par lui-même, alors que tout le crée existe par sa volonté et son agir tout puissant, et de manière ultime, n’a pas ses racines en lui-même, mais en Dieu, l’unique absolu inconditionné.

(…)

Mais alors que signifie le fait que Dieu envoie maintenant sa Parole éternelle au monde sous la forme d’un enfant ? Il s’agit de comprendre en premier lieu ce qu’Il veut nous dire avec cette nouvelle manière de parler. 

A n’en pas douter, comme cela est le cas dans sa Parole, Il dit quelque chose de lui-même ; dans tout ce que cet enfant est et ce qu’il sera, comme jeune homme, comme maitre accomplissant des miracles, comme celui qui se tait devant les juges, comme celui qui est flagellé, humilié, rejeté, comme celui qui crie l’abandon de Dieu sur la croix, comme celui qui est mis au tombeau, comme celui qui ressuscite d’entre les morts pour l’éternité : en tout cela se trouve la Parole que Dieu dit et dit, en vérité, sur lui-même. Si Dieu est la vérité par antonomase, nécessairement, toute parole qu’Il nous dit et qui provient du centre de la vérité doit être aussi une déclaration sur ce qu’Il est. S’il est le bien par antonomase, il se donne à nous dans toutes ces paroles que sont la vie et la passion de Jésus, sa mort et sa résurrection. Et s’il est la beauté par antonomase, la vérité et le bien qu’Il nous dit et nous offre sont toujours une réalité au plus haut point merveilleuse. 

Donc si Dieu est un petit enfant, il nous dit en l’étant : dans la toute-puissance que Je suis et que Je possède, Je suis en même temps si pauvre et si humble, digne de confiance comme cet Enfant, mais davantage encore, pas seulement « comme », mais Je suis réellement cet Enfant ! Et quand plus tard, Jésus enseignera, il parlera de la dernière place à laquelle nous devons nous mettre, du service, du don de sa vie pour ses frères ; et cela pas seulement comme enseignement moral pour les hommes, sinon comme quelque chose que Lui-même est et accomplit, comme manifestation du cœur de Dieu, de son Père. Agis ainsi, car ainsi est Dieu ! Et maintenant ce qui est terrible. Quand Jésus souffre pour les pécheurs et en portant les péchés, ne sent plus la présence de son Père, et crie comme celui qui est abandonné, comme celui qui meurt assoiffé de Dieu, de nouveau, ainsi est Dieu ! « Dieu a tant aimé le monde », dit la Bonne Nouvelle, « qu’il a livré pour lui son Fils unique », jusqu’à arriver à cet état d’abandon – intemporel – de Dieu.  Et quand Jésus se donne lui-même comme nourriture et boisson : ainsi est Dieu ! Oui, c’est le Père qui nous offre cette parole et cette chair de Dieu – ensanglantée, déchirée, lacérée par les hommes – comme participation a sa vie éternelle. Et quand le cœur de Jésus est transpercé et transformé en une plaie vide dans laquelle on peut mettre le doigt et, avec lui, l’homme entier – « cache moi dans tes blessures » – ainsi est Dieu ! Une blessure qui atteint même son cœur dans lequel nous sommes guéris. 

Dire cela n’est pas une exagération, sinon simplement méditer en chrétien sur le mystère de Noël. La Parole de Dieu se fait chair, chair qui est nourrie au sein de sa Mère, qui plus tard lutte pour la vie, qui doit souffrir horriblement et mourir, mais qui à chaque moment et à chaque situation est Parole de Dieu. En conclusion : adorons-nous la chair ? Non, nous adorons seulement Dieu. Dieu qui est l’unique que nous ne pouvons être, Dieu le tout-autre, qui est l’Être par soi, le Tout-puissant. Mais aussi celui qui a voulu nous montrer qu’il est suffisamment tout puissant pour être aussi impuissant, qu’il est suffisamment bienheureux pour pouvoir aussi souffrir, suffisamment glorieux pour pouvoir se mettre à la dernière place de sa création. Et Dieu n’agit pas « comme si » : comme s’Il était humble et pauvre, comme s’Il était un enfant. Mais cela est son mystère : sa richesse consiste en un amour éternel qui s’offre sans rien garder ; et son pouvoir consiste en la possibilité d’offrir aussi pouvoir et liberté à d’autres êtres, sur lesquels il ne peut dominer autrement que par l’impuissance de sa croix. Comment Dieu pourrait ne pas savoir en son cœur, Lui qui a créé les enfants, ce que ressent le cœur d’un enfant ?

Et désormais nous pouvons nous demander : existe-t-il un Dieu qui soit plus mystérieux et incompréhensible que le Dieu des chrétiens, précisément parce qu’il n’est pas un Dieu lointain sinon proche, un Dieu qu’il ne faut pas chercher dans les nuages et adorer à distance mais le Dieu qui, comme un homme, ou davantage encore, étant homme, est en relation avec nous et ce-faisant, ne cesse pas d’être le Dieu véritable, totalement Autre, éternel, immortel et tout puissant. Par le mystère de Noël, ce Dieu n’a rien perdu de son caractère incompréhensible, au contraire, il est devenu encore plus incompréhensible. Seulement, nous pouvons maintenant deviner à quel point est immense, en réalité, la toute-puissance divine : elle va jusqu’au pouvoir de pouvoir être aussi un enfant impuissant. Et nous, nous ne pouvons pas nous séparer de Dieu sous prétexte que « plus personne ne comprend rien » – en définitive, Dieu est-il vraiment Dieu ou seulement un homme ? -, mais nous sommes renvoyés encore et encore à sa présence au milieu de nous, présence que, depuis la naissance de Jésus, personne ne peut plus éviter. Nous fuyons pour nous séparer de Lui, mais la figure de Jésus vient sans cesse à notre rencontre. Quand bien même nous voudrions nous faire marxiste ou bouddhiste, nous ne pourrons jamais fuir sa présence. L’histoire du monde a changé à partir de Noël. Dorénavant, il existe seulement un « oui » ou un « non » à ce Dieu qui s’est rendu concret dans le Christ. C’est seulement à partir de cet évènement peut exister un athéisme authentique. A partir de là, il ne peut exister d’adoration plus profonde – si elle est pure – que l’adoration chrétienne.  

Les Rois Mages, les pasteurs, Marie : tous adorent l’enfant. Comme plus tard les disciples, lorsqu’ils recevront la foi, adoreront l’homme Jésus. Parce qu’ils reconnaissent qu’Il est la Parole personnelle, l’expression, l’exégèse de Dieu. Tout en Jésus Christ dit : « Ainsi est Dieu, ainsi est mon Père et votre Père qui est aux cieux, ainsi est notre Esprit éternel. Je vous montre cela pour que vous aussi essayiez de vivre selon ma parole : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait, que fait lever le soleil sur les bons et les méchants. »

(…)

Dieu est un miracle dans la profondeur insondable de son essence. Dans le mystère de sa personnalité trine il est un miracle pour lui-même ; Dieu ne s’habitue jamais à Dieu. Tout en Lui est évènement éternellement présent : la Génération du Fils à partir du Père, l’amour mutuel du Père et du Fils et la procession de l’Esprit Saint ; tout cela est, pour Dieu même, digne d’adoration.

 

Extraits de :
Hans urs von Balthasar, Navidad y adoración, éditions San Juan (Madrid 2017).
Traduit de l’espagnol par JD pour Terre de compassion.
Texte original : Weihnacht und Anbetung, Johannes Verlag (Einsiedeln 1977).
 
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