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Orfilia Coello Ramos : pour le pays, pour la musique

 – Bonjour Orfilia, ici Klaudia, de Points-Cœur.

– Oui ? demande-t-elle, comme si elle ignorait de qui il s’agissait.

 
 

Elle ne se souvient pas de notre rencontre quelques jours plus tôt, pensé-je,  dans la maison de notre amie commune Maki. Je décide  alors de lui rafraichir la mémoire. 

– Nous nous sommes vues dans la maison de Maki la semaine dernière et…

– Mais bien sûr que je me souviens de mon enfant. Tu m’as dit que tu voulais parler avec moi de mon père. 

Elle se souvient ! Incroyable ! Cette femme de 103 ans à la mémoire et la vivacité qui pourraient faire pâlir plus d’un jeune. 

Quand je vis Orfilia pour la première fois, je ne pouvais pas croire qu'elle avait 103 printemps. Elle entra dans le salon dans une robe élégante et des talons hauts. Elle avait des cheveux impeccables, un maquillage délicat et de grands verres élégants avec des montures rouges. Elle marchait lentement, comme une vraie dame. 

Au cours de la conversation, il s'est avéré qu’Orfilia était l'une des pianistes les plus populaires du Honduras et, en outre, une fille du célèbre musicien et compositeur Rafael Coello Ramos. Rafael est né en 1877 à Tegucigalpa et ses premiers concerts de guitare furent joués enfermé dans sa chambre, sa mère lui interdisant de jouer pour qu’il puisse se concentrer sur ses études. Ses seuls professeurs étaient son père Froylán Ramos et un exceptionnel don de Dieu pour la musique. Sa première femme mourut en mettant leur deuxième enfant au monde. Après quelques années, il se remaria et fut père de trois autres enfants, dont Orfilia. La sœur aînée d'Orfilia était son premier espoir musical, mais cette fille de neuf ans ne s'asseyait pas de gaité de coeur au piano. Au contraire, très vite, Orfilia se glissa dans le salon pour écouter les leçons. Au début, elle ne fut pas prise au sérieux, la fillette de sept ans fut renvoyée de la pièce pour s’appliquer à des choses plus élémentaires comme lire et écrire. Il s'avéra cependant  qu'Orfilia – comme son père –  était dotée d'un talent musical rare,  et c’est à l'âge de neuf ans qu’accompagnée d'un violoncelliste allemand, elle donna son premier concert au Théâtre National de Tegucigalpa. Après ce concert, la mère de ce violoncelliste, diplomate au Honduras, proposa à Rafael et à sa femme d'envoyer leur fille en Allemagne pour y étudier la musique. Les parents cependant refusèrent, en raison de son jeune âge. 

Rafael Coello Ramos
 

Rafael Coello fonda au cours de sa carrière l'orchestre Verdi qui devait rendre plus agréable les réceptions officielles dans la maison présidentielle pendant le mandat général du général Manuel Bonilla. Il fonda également la première et unique école de musique du Honduras, encore en activité aujourd’hui. « J'adorais regarder mon père quand il était sur scène, sous les  applaudissements. J'étais si fière », dit Orfilia. 

L'histoire musicale de Rafael comme d'Orfilia est étroitement liée aux aléas politiques du Honduras. Leur travail de musiciens dépendait de qui occupait les plus hautes fonctions. Ainsi, quand nous demandâmes à Orfilia quand eut lieu son dernier concert, elle répondit: « Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas combien d'années sont passées, mais c'était pendant le mandat du président Maduro [1]Ricardo Maduro 2002-2006 qui m'a distinguée comme l'un des musiciens les plus remarquables du pays ». Nous apprîmes en fait qu’elle joua encore il y a quatre et que ses amis envisagent pour elle un ultime concert, ce qui est le rêve d'Orfilia. 

Coello ne fut pas seulement un grand musicien, mais aussi un grand patriote. Il est compositeur de plusieurs chansons nationales (Himno à la Madre, Himno al Pino) ​​et auteur d'un livre pour l'éducation musicale à l'école primaire, révolutionnaire à l'époque. Les autorités du Honduras n'attachaient pas beaucoup d'importance à la musique, mais lentement les choses changèrent. Malheureusement quelques années plus tard, le général Tiburcio Carías devint  président. Non seulement il ne soutint pas la vie culturelle et musicale dans son pays, mais il s’y montra même hostile. Il dissout l'orchestre militaire et retira le livre de Rafael des écoles élémentaires. Malgré tout, Coello continua sa carrière comme chef de l'orchestre Verdi et comme compositeur. En 1950, il organisa  le Chœur de Musique Enfantine, auquel participèrent 500 élèves du primaire. C’est eux qui chantèrent pour la première fois l'hymne du Honduras à trois voix. 

Pendant que Coello servait sa patrie avec son talent musical, Orfilia reçu à l’âge de 20 ans un emploi à l'Orchestre Central America au Costa Rica comme pianiste où elle passa quatre ans. Puis elle rentra au Honduras et reçut une bourse pour étudier la musique à l'étranger. Elle passa les 4 premières années à Paris, puis s’en fut à Madrid pendant 4 ans. Elle se souvient du temps passé en France et en Espagne comme les plus beaux moments de sa vie, même si elle ne cache pas avoir dû affronter un environnement plein d'égoïsme et de jalousie. 

Elle rentra à l'âge de 35 ans au Honduras avec une riche expérience, de grandes aspirations musicales et un petit garçon, qu'elle dû élever seule. Son désir fut alors de partager toute cette richesse acquise, ce qui ne fut pas chose facile. Le gouvernement ne soutenait toujours pas l'art, et il n'y avait aucun bon piano dans tout le pays, « en fait il n'y avait presque pas de pianos », ajouta-t-elle. Elle commença néanmoins à travailler comme directrice dans une école de musique fondée par son père et y demeura pendant trente-six ans. Elle y enseigna principalement le chant et la lecture de notes. L'un de ses élèves fut l'actuel cardinal du Honduras, Óscar Andrés Rodriguez. Orfilia se souvient que même si les enfants avaient un talent musical, les parents n’y voyant pas d’intérêt,  ne coopéraient jamais pour le développer, ce qui limitait grandement sa marge de manœuvre. 

Orfilia aime la musique. Quand Maki lui demanda pourquoi elle n’avait pas répondu au téléphone quand elle l’avait appelé, elle répondit : « Je ne sais pas, je n'ai pas entendu. Peut-être étais-je en train de jouer du piano ou d’écouter de la musique. En fait, je ne fais que cela. »

La musique est toute la vie d'Orfilia. Lors de notre première visite, elle ne voulait rien jouer, expliquant que son piano ne sonne pas comme il se doit, qu'il faudrait l’accorder. Après quelques instants, cependant, elle se laissa convaincre et nous honora de son talent. Quand elle s'est assise au piano, sa silhouette dressée et sa tête relevée, elle rajeunit d’un coup de vingt ans. Elle joua quelques morceaux de Chopin, qu'elle aime. Ses doigts, pourtant à peine capables de composer le numéro sur le téléphone, procuraient alors à l’œuvre un rythme joyeux. Malgré ses yeux rivés sur les touches, ils donnaient à percevoir quelque chose de plus, pour moi inaccessible. Quand après quelques minutes, Orfilia leva ses mains du piano, elle me regarda et, avec un sourire timide  demanda : « Avez-vous aimé? ». L'émotion qu'elle lut sur mon visage la remplit d'une telle joie qu'elle se retourna vers le piano et reprit le concert. Et bien que ses yeux semblaient toujours absents, le fredonnement qui sortait de sa bouche trahissait une fois encore sa joie intérieure.     

Le talent est un merveilleux don de Dieu qui a besoin d’être partagé. Qu’il est bon d’écouter Orfilia communiquer autant avec des mots qu’à travers la musique. Sa maison est une histoire écrite avec des notes : deux pianos à queue, un piano droit, les partitions de son père, des diplômes, des photos, des autographes de musiciens célèbres, des disques vinyles… Elle est consciente de son âge et qu'un jour elle devra quitter ce monde. Elle ne se plaint pas de ses maladies, de ses douleurs ni des problèmes financiers avec lesquels elle se bat. La seule chose qui l'inquiète, c'est que toute la richesse musicale qui se cache chez elle risquera de finir à la décharge. 

Il y a quatre ans, son fils est décédé d'un cancer à l'estomac, ce qui l’a beaucoup affectée. Il était son compagnon dans la vie et dans la musique. À la suite de la situation confuse qui a suivie les cérémonies funéraires, une partie de leurs possessions musicales est tombée accidentellement entre des mains négligentes et a atterri sur le marché au milieu des articles usagés. Quand Orfilia réalisa, il était trop tard. Elle ne pu réussir à récupérer les dossiers perdus, les livres et autres objets de valeur. Certains d'entre eux appartenaient à son père. Orfilia se souvient de cet événement avec beaucoup de chagrin, parce que quelqu'un a vendu pour quelques pièces ce qui faisait toute sa vie. Ce qui l’inquiète, c’est que tout ce qu’elle et son père ont accomplit, tout ce pour quoi ils se sont battus, disparaisse après sa mort. 

Au Honduras, il n'y a pas de musée de la musique. Et même si le mot « art » revient plus souvent sur les lèvres des jeunes qu’à l’époque de la jeunesse d'Orfilia, il n'existe aucun lieu où l'on se souvient du célèbre musicien qui a tant lutté pour que soit reconnue la valeur de la musique dans ce pays. Ceci est d’autant plus dramatique dans la culture musicale actuelle du reageton, qui vante la réduction des personnes à des objets, les relations sans obligations, et la vie comme divertissement.

Orfilia ne veut pas être célèbre, elle n'a pas peur que sa renommé s’évapore. Elle sait que ses mains et son talent ne sont qu'un instrument de quelque chose de plus : de la musique. Elle veut partager avec le monde ce qui est le plus précieux pour elle. Le Honduras voudra-t-il accepter ce cadeau ? 

Au moment de prendre congé, je dû lui promettre qu’à mon retour en Pologne,  je visiterai la maison de Frédéric Chopin « Combien donnerais-je pour aller à Zelazowa Wola… » [2]Ville où vivait Frédéric Chopin

Quand je lui demandais ce qu'elle ressentait lorsqu'elle jouait le concert, elle répondit : « Je veux pleurer. J'aime comment les gens m'applaudissent quand j'entre sur scène, mais au fond, je joue pour Dieu. »

References

References
1 Ricardo Maduro 2002-2006
2 Ville où vivait Frédéric Chopin
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3 Commentaires

  1. Emmanuelle

    Merci pour ce magnifique témoignage! Prions pour que nos dirigeants soient toujours plus conscients de l'importance de l'art dans nos vies afin de lui donner la place et les moyens qu'il mérite!

  2. Anonyme

    Actualmente estoy investigando para hacer una tesis sobre mujeres hondureñas en la música, tiene algún contacto que pueda acercarme a la obra y legado musical de la maestra Orfilia? Me encantaría incluirla.