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Un festival de Dante en Ukraine : « parce que le Paradis, c’est les autres ! »

Comment manifester la dignité d’une personne ? La tentative d’être responsable devant la vie quotidienne peut-elle changer une personne ou une rencontre ?  Comment répondre dans des moments de mal-être et d’instabilité ? En 2014, le festival annuel de Dante a eu lieu pour la première fois à Kharkiv (Ukraine).

Intervenants du festival, avec entre autres, Alexandre Filonenko (à gauche), Silvio Cattarina (au centre) et Alexis Sigov (avant dernier à droite). 

« Dante ? Qui se soucie de Dante ? Personne ne viendra ! Les gens ont d’autres problèmes en Ukraine, nous avons besoin que la guerre se termine, et non pas de poésie ! » – telles ont été les réactions au début. « Mais c’est justement pour cela que nous proposons Dante ! » répondent les organisateurs du Centre Culturel Européen Dante, et l’ONG Emmaüs, « c’est afin de chercher dans la musique, dans l’art, dans les livres et par la rencontre avec leurs auteurs, à unir les contextes culturels et sociaux. Pourquoi Dante ? Il est le sommet et le fondement de la culture européenne, c’est-à-dire qu’il a un regard particulier sur l’homme et son destin ».

Cette année, le festival s’est ouvert par une rencontre entre Silvio Cattarina (le fondateur de la communauté « L´Imprevisto » à Pesaro (Italie) et Alexander Filonenko, philosophe. Le thème de leur rencontre était : « Parce que le paradis, c’est les autres : la seul espérance est dans l’imprévu ». Comme le souligne Alexandre : « Le festival de Dante a commencé dans des circonstances de confusion, dans des périodes de turbulences. Et dans ces moments-là, il est très difficile de vivre si on ne trouve pas, ne serait-ce qu’un petit repère de sécurité. C’est pourquoi les festivals se veulent une tentative de réponse à cette question : comment vivre quand la confusion règne dans la vie ?

Le mot « inattendu » est provocateur, car après la terrible expérience du XXe siècle, J.P. Sartre a résumé le problème dans la formule « l’enfer, c’est les autres ». Il est vrai que lorsque nous contemplons les scènes du XXe siècle, nous comprenons la profondeur de cette phrase et le défi quelle représente. Mais en la rejetant,  nous préférons suivre un écrivain ukrainien du nom de Taras Projasko et affirmer « Parce que le Paradis, c’est les autres ». Ce mot n’est pas une simple constatation rhétorique de Sartre, ce n’est pas non plus seulement une célébration, car si nous réfléchissons, nous réalisons que cette phrase représente un véritable scandale. Est-il possible que la rencontre avec l’autre soit la clé du paradis et dans quelles circonstances ? Nous voulons enquêter ensemble.

Les filles de la Casa Volante.

Le deuxième jour, de nombreux invités se sont réunis à La Casa Volante pour découvrir l’histoire de ce projet au nom étrange. Il y a cinq ans, A. Filonenko et d’autres compagnons ont croisé le chemin de jeunes handicapés physiques d’un pensionnat près de Kharkiv et ont découvert qu’après avoir terminé le pensionnat, ils seraient envoyés dans un foyer pour personnes âgées s’ils ne parvenaient pas à assumer leur vie, en trouvant des études ou un foyer. C’est ce qui a motivé la création d’une organisation qui aiderait les jeunes comme eux. C’est ainsi qu’est née l’association Emmaüs, qui organise les études de ces jeunes et les prépare à une formation universitaire ou technico-professionnelle. A leur entrée à l’université, deux jeunes filles, Tanya et Lena, ont décidé de faire grandir le projet. « Je donnais des conférences en Italie et j’ai demandé de l’aide à tout le monde. Des centaines de personnes ont répondu à l’appel et grâce à elles, nous avons pu louer un appartement pendant plusieurs années. Pour nous, il était important d’aider ces jeunes et de voir si ce modèle pouvait fonctionner en Ukraine, afin de résoudre le problème le plus lourd des orphelins. C’est en effet la période la plus difficile de leur vie – les quelques années après l’école – parce que la plupart des organisations ne s’occupent que des bébés, des écoliers ou des adolescents » – affirme A. Filonenko. C’est ainsi qu’ils ont mené une campagne dans les églises d’Italie à Noël, il y a trois ans, au cours de laquelle ils ont pu collecter de l’argent pour cette œuvre de charité.

L’appartement qu’ils ont acheté en 2016 par ces dons s’appelle « La Casa Volante » (La maison volante).  Elle est devenue plus qu’un simple appartement pour jeunes handicapés. C’est un centre d’adaptation où vivent actuellement 5 jeunes filles et où une vingtaine de jeunes gens viennent étudier. Des bénévoles les aident à se préparer à entrer à l’université, à gérer la vie domestique et réalisent avec eux des projets sociaux et culturels. « En créant « La Casa Volante », nous essayons non seulement de résoudre les problèmes qui surgissent, mais aussi de trouver des moyens de vivre une vie accomplie. Cette année, ils ont commencé à louer un appartement pour les garçons, où 3 garçons vivent pour le moment.

« Chaque personne a peur de sa propre vulnérabilité et des autres » – dit Lena qui vit dans la Casa Volante. « Concerts, rancontres et discussions sont l’occasion de regarder la vulnérabilité en face, dans toutes ses manifestations et de cesser d’avoir peur et de vouloir l’éviter, et d’être capable de trouver la réponse la plus digne. Par exemple, l’année dernière est venu Erasmo Figini qui s’occupe des enfants du quartier des « Comètes » pour les sensibiliser à la beauté. Parce que l’éducation par la beauté élève et transforme chaque enfant. Grâce au festival de Dante, aux gens qui viennent partager leur expérience – et nous partageons la nôtre – ces rencontres se développent beaucoup et nous changent vraiment, nous et eux. Ces rencontres m’ont aidé à rendre ma thèse plus complète (« Vulnérabilité et anthropologie de l’exceptionnel »). Elle pourra être lue par les professeurs d’université, mais peut-être aussi par tous. Parce que voir la vulnérabilité et la transformer en force est très important. »

Le point culminant de ce deuxième jour du festival fut la découverte du Gloria de Vivaldi à l’opéra de Kharkiv, interprété par Lourdes Martinez et Amor Perez, membres du Chœur de  la Scala de Milan. Lourdes et Amor ont voulu soutenir le projet lorsqu’ils ont entendu parler de « La Casa Volante ». IIs ont commencé leur première visite à Kharkiv l’année dernière, en chantant l’œuvre Stabat Mater de G. Pergolesi : « Notre chant, plus qu’un métier, est un outil pour aider. Après la rencontre avec les filles et les organisateurs, tout est devenu amitié, et j’avais le sentiment que la charité m’était donnée ». (Lourdes). « Vivaldi a écrit le Gloria pour les orphelines de la chorale du monastère de Venise – Ospedale della Pietà, dont il était le chef de chœur et le professeur de violon. Il connaissait chacune de ces filles, il y a leurs noms sur la partition. Ce n’est pas une œuvre abstraite, derrière elle, il y a les visages des gens concrets. Et nous travaillons avec les filles des pensionnats, les orphelins et les garçons handicapés – il est très important de les aider à trouver des études, du travail, et à se trouver eux-mêmes. C’est pourquoi nous avons choisi ce Gloria. ».

Organisateurs du festival à l’opéra de Kharkiv après l’interprétation du Gloria de Verdi. 

« Ils viennent donc pour regarder, pour participer, pour voir la beauté qu’ils peuvent rapporter à leur famille ou à leur ville. Nous ne faisons pas de bonnes actions, nous savons seulement que nous sommes aimés. Ce mouvement d’amour, cette Gloire de Vivaldi commence quand nous savons que quelqu’un nous aime. Et cela ne veut pas dire disparaître dans l’autre, mais collecter et sauver les morceaux de soi-même » (Élena).

Traduction : D.C.

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