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1914 : L’héroïsme de Charles Péguy à l’école de Jeanne

Charles Péguy fut le premier à s’engager de son plein gré, à l’âge de 41 ans, et fut l’un des premiers à mourir : le 7 septembre, à la tête de sa troupe dans le premier combat de la guerre, à la veille de la grande bataille de la Marne.

 

Charles Péguy

 

Son dévouement est compréhensible. Péguy était un écrivain et un grand poète, engagé à son époque et dans son pays, en faveur de la vérité et de la justice, et un polémiste à un degré héroïque dans ses célèbres « Carnets de la Quinzaine ». A cet égard, Daniel Rops (à la suite de Barrès) souligne que ce qui caractérise Péguy était « une pensée héroïque ». Et il ajoute : « Son existence n’avait d’autre sens que d’être une protestation constante et héroïque contre tout ce dont nous devenons complices, dès que nous le supportons » [1]Daniel Rops, Péguy, éditions Pascal, Bruxelles, 1947, pp 15-18 Gide lui-même est d’accord quand il dit que la clé de la leçon de Péguy est l’héroïsme. Son insurrection n’a cessé de s’abattre sur les maux qui dégradent les hommes : « la politique de l’opportunisme » qui écrase l’enthousiasme pour la justice (par exemple dans « l’affaire Dreyfus » qui finit par être prise comme prétexte), et « l’argent » qui domine le monde, et la « misère » qui découle de ces façons injustes de s’imposer, avec des conséquences de rébellion et de désespoir. Notre auteur a combattu ces maux de toutes ses forces et, de plus, avec une capacité innée de chef. L’un de ses amis les plus proches, Lotte, parle de « l’autorité mystérieuse et involontaire » qu’il exerçait sur ses camarades, et l’attribue à sa vie intérieure et spirituelle très profonde [2]Louis Gillet, Claudel-Péguy, éditions du Sagittaire, Paris 1946 .

Et étant né dans la ville d’Orléans, où cette libération (ville libérée par l’armée française, guidée par Saint Jeanne d’Arc en 1429) a été célébrée avec de grandes fêtes à chaque anniversaire, chaque 8 mai, il est resté marqué à jamais, au point d’avoir commencé sa carrière poétique avec une pièce de Jeanne d’Arc, en 1897. Ce premier ouvrage, bien que très bien monté, a été considéré comme incomplet par l’auteur, qui a donc toujours emporté ce manuscrit avec lui, jusqu’à ce qu’il en donne une version complémentaire en 1910, Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc.

La recherche de Péguy

Nous savons par Louis Gillet [3]Ibidem que Péguy avait laissé de nombreux blancs dans sa première version de Jeanne d’Arc. Sans doute s’agissait-il de questions auxquelles il espérerait pouvoir répondre sur cette jeune lorraine, qu’il admirait, d’un côté, en tant que combattante, et qui, d’un autre côté, lui paraissait déconcertante en raison des convictions religieuses qui stimulaient son courage. Cette première Jeanne d’Arc de 1897 non seulement rend compte fidèlement des faits historiques, mais laisse aussi des espaces ouverts à la réflexion ultérieure. Cela semble refléter l’état d’esprit transitoire de l’auteur : comprendre la question historique et la relier à sa propre quête, tant intellectuelle que sociale.

Rappelons que cette œuvre a été composée par un militant socialiste, qui s’est marié civilement la même année avec une femme également socialiste, sœur d’un ami de l’âme mort l’année précédente, dont la dote a été mise au service de la révolution sociale et pour fonder avec elle une maison d’édition orientée dans ce sens. Ils ont eu trois enfants, qui n’ont pas été baptisés.
On notera que Péguy ne signe pas sa Jeanne de 1897 de son nom, mais de celui de son ami récemment décédé, Marcel Pierre Baudouin, et qu’il la dirige avec une curieuse dédicace :

« A toute celles et ceux qui auront vécu,
A toute celles et ceux qui seront morts pour tâcher de porter remède au mal universel ; […]
A toutes celles et ceux qui ont connu le remède …
… qui ont vécu et sont morts de leur mort humaine pour l’établissement de la République socialiste universelle » [4]Œuvres poétiques complètes de Péguy, éditions la Pléiade, p. 27

Ainsi, le jeune célibataire qui retourne un temps à Orléans pour écrire sa première Jeanne d’Arc, se pose déjà la question : « Que faut-il sauver ? Comment faut-il sauver ? » Le problème métaphysique apparaît et la décision de lutter contre le mal universel.

Le Mystère de la charité

Le deuxième ouvrage, intitulé Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, présenté en 1910, en préparation du 500ème anniversaire de la naissance de Jeanne, présente une grande différence. Il montre ce que signifie la charité, ce qu’elle implique.

Dans ce drame, les faits, les batailles, les obstacles, les trahisons disparaissent. Il remonte au début, lors de la conversation entre Jeanne et la moniale Mme Gervaise. Elles font à nouveau référence à ce qui se passe en France – comment Dieu est offensé, comment la rédemption est gaspillée.
C’est le mystère du Christ Sauveur, sa rédemption destinée à tous, pour tous… et pourtant apparemment inefficace, que certains gaspillent ou rejettent. D’où le cri de Jésus sur la croix :

« Clameur qui sonne encore en toute l’humanité;
Clameur dont chancela l’Eglise militante ;
Où la souffrance aussi connut son propre effroi ;
Par qui la triomphante éprouva son triomphe ;
Clameur qui sonne au cœur de toute humanité ;
Clameur qui sonne au cœur de toute chrétienté ;
O clameur culminante, éternelle et valable.
Cri comme si Dieu même eût péché contre nous ;
Comme si même Dieu se fût désespéré ;
O clameur culminante, éternelle et valable.
Comme si Dieu même eût péché comme nous;
Et du plus grand péché.
Qui est le désespoir.
Le péché du désespoir. » [5]Ibidem, p.439

References

References
1 Daniel Rops, Péguy, éditions Pascal, Bruxelles, 1947, pp 15-18
2 Louis Gillet, Claudel-Péguy, éditions du Sagittaire, Paris 1946
3 Ibidem
4 Œuvres poétiques complètes de Péguy, éditions la Pléiade, p. 27
5 Ibidem, p.439
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1 Commentaire

  1. Anonyme

    Charles Peguy nous place devant un dilemme chrétien: s’engager? ou refuser de porter les armes?
    Les premiers chrétiens se l’interdisaient, et certaines communautés syriennes aussi, plus récemment.
    L’époque de la guerre de 14 était surement plus directe que la nôtre?
    On en célèbre aujourd’hui les déserteurs plutôt que les héros sacrifiés par des généraux décriés comme gâteux.
    Mais si la situation se reproduit?
    Laisserons nous notre armée de métier se débrouiller?
    Les ennemis d’aujourd’hui seraient ils capables d’abandonner le combat, comme dans le film Joyeux Noël?
    Ou devrions nous affronter vaillamment un ennemi fanatique?
    Le modèle serait alors plutôt la seconde guerre que la grande?

    JJGoldman: Puisse Dieu nous épargner d’avoir à choisir un camp.