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L’Europe à l’épreuve de l’immigration

Devant l’afflux massif de bateaux pleins à ras bord d’immigrés clandestins en fuite vers l’île de Lampedusa, c’est la barque de l’Europe qui semble prendre eau de toutes parts. Fissurée par tant d’atermoiements et de contradictions diplomatiques, l’unité des 27 donne effectivement un témoignage inquiétant : une certaine fébrilité qui devient problématique.

Si les clandestins, eux, sont très déterminés sur leur destination, le cap européen paraît beaucoup plus sinueux et difficile à suivre.

Quelques dates et quelques chiffres

La proximité de l’Afrique fait de Lampedusa en territoire italien un passage privilégié des réseaux clandestins. L’intégration de l’Italie à l’espace Schengen à la fin de l’année 90 provoque un véritable emballement du phénomène qui ne cesse de croître : 8 000 personnes débarquent pendant l’année 2003, elles sont 13 000 en 2004, 23 000 en 2005 et finalement plus de 30 000 au cours des trois années suivantes. L’Italie est alors sommée par les pays membres de se pencher sur la question. Faisant preuve de bonne volonté, le gouvernement de Berlusconi obtient rapidement des résultats tangibles et, à la fin de l’année 2009, suite à des accords avec la Libye, l’immigration clandestine ne peut plus passer par Lampedusa. Tout bateau clandestin qui tente d’accoster est immédiatement ramené vers Tripoli. La pêche et le tourisme reprennent à Lampedusa. Pour quelques mois…

La reconduction systématique des immigrés clandestins laisse en effet bien des penseurs et journalistes européens mal à l’aise. On se demande ce que deviennent les éconduits une fois remis entre les mains de l’autorité libyenne. L’Italie est à nouveau montrée du doigt, quoique pour des raisons diamétralement opposées à celles de la mise au ban de l’année précédente. Changement de cap européen ?

En 2010, le circuit lampedusien s’ouvre à nouveau et ils sont plus de 15 000 à en emprunter le chemin.

Les débarquements recommencés au mois de février 2011, quoique assurément facilités par les diverses révolutions de l’hiver, n’ont donc rien d’un phénomène vraiment nouveau. Il n’y a même pas de surprise quant aux proportions qu’ils prennent. S’ils sont plus de 25 000 immigrés clandestins à avoir accosté depuis ce fameux 11 février, il n’est pas déraisonnable d’imaginer qu’ils seront entre 60 000 et 90 000 d’ici la fin de l’année, soit près du triple de ce qu’ils avaient été en 2008. Autrement dit, la croissance importante de ces chiffres est à peu près stable depuis près de dix ans. L’immigration par Lampedusa ne représente d’ailleurs qu’un tiers de l’immigration clandestine sur l’ensemble de l’espace Schengen : un autre point de passage problématique étant la frontière entre Grèce et Turquie.

Ce qui est nouveau cependant, c’est qu’un seuil semble être franchi en terme de quantité et qu’à l’évidence l’opinion publique y est plus sensible. La déstabilisation des pays du Maghreb aidant, les débarquements clandestins récents ont provoqué une vraie inquiétude.

Le Camp des Saints

25 000 immigrés en quelques semaines sur une île d’à peine 6 000 habitants, la situation de Lampedusa n’est pas sans rappeler Le Camp des Saints. Ce livre visionnaire, commis par Jean Raspail en 1973, vient d’être réédité et se classe déjà parmi les meilleures ventes sur internet de la Fnac et du site Amazon.fr.

Imaginant le débarquement massif d’un million d’immigrés indiens sur la côte d’Azur, l’auteur y souligne surtout l’incapacité des autorités à affronter le problème et à prendre une décision juste. Le sens même de la justice semble avoir disparu de la société décrite par Raspail. L’indétermination du gouvernement apparaît dès lors surtout comme la conséquence d’une indétermination de fond qui est celle de toute la société, jusque dans le clergé catholique qui ne sait plus quoi penser. Car le problème est bien là : la peur n’est pas tant provoquée par l’immigration  comme telle – qui  est en effet insensible au sort de ces populations ? – que par le fait qu’elle croisse et qu’aucun gouvernement ne semble avoir de solution, au niveau européen encore moins qu’au niveau national. Pour palier le manque, le mythe du brassage des populations est décliné à toutes les sauces.

En l’absence d’une ligne claire cependant, la France accuse l’Italie de délivrer sans discernement des dizaines de milliers de visas temporaires, l’Italie accuse la France de bloquer ses trains à Vintimille. L’Union Européenne bégaie et semble plus fragile encore que les centaines de barques qui l’accostent, tout juste a-t-on vu la commission européenne inviter l’Italie à renforcer ses liens avec les pays d’émigration pour favoriser un développement durable susceptible de diminuer l’immigration. Autant dire que cette invitation a dû être accueillie avec politesse étant donnée l’urgence de la situation.

La crainte qu’inspire l’indétermination des institutions européennes est encore renforcée par un véritable concert de voix discordantes sur des sujets aussi variés qu’apparemment indispensables à la survie des institutions elles-mêmes. Toutes ces voix, dont la liste pourrait être allongée à loisir, ont un point commun significatif : la désolidarisation. Devant l’impossibilité de faire entendre leur voix sur la scène européenne, les pays réaffirment leur souveraineté sur le territoire national.

Ainsi la Finlande à propos de sa participation au plan de sauvetage de la Grèce et du Portugal : c’est le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) qui est ici critiqué et sa pérennité mise en cause. Ainsi en France à propos des bienfaits de la monnaie unique (Le Monde – 15/12/2010) mais aussi en Allemagne (La Tribune – 13/4/2011) et un peu partout : la question de l’euro est même devenue un sujet régulier d’étude du journal américain de référence : The Economist. Ainsi aussi en Allemagne à propos de l’engagement français et anglais dans le conflit libyen (Le Figaro – 18/3/2011), il s’agit cette fois de la diplomatie et de l’armée.

Le souhait d’une gouvernance européenne authentique

La réalité massive des clandestins se révèle être un sujet bien épineux pour l’Europe, la résolution de ce problème étant directement liée au fonctionnement général de l’Union dans ses multiples dimensions. L’enjeu de ces événements n’est cependant pas limité à la seule recherche de solutions au problème de l’immigration, il l’est aussi de trouver une méthode « européenne » pour gérer ce genre de difficulté. C’est en tout cas le souhait maintes fois exprimé par l’Italie depuis des mois et c’est l’absence de réponse qui la pousse aujourd’hui à s’arranger directement avec son voisin (AFP – 26/04/2011).

Une méthode « européenne » ne peut pas faire l’économie d’un pouvoir fort, efficace et réactif. A l’instar de ce que le Pape Benoît XVI appelait de ses vœux pour une régulation de l’économie mondiale (Caritas in Veritate, n. 67), une gouvernance réelle au niveau européen devrait permettre d’affronter bien des situations, de les résoudre ou d’offrir aux états membres les meilleures conditions pour les résoudre eux-mêmes[1].

Une telle structure aurait certainement besoin d’être plus lisible que les institutions actuelles : entre l’espace Schengen (25 pays dont la Suisse, mais sans le Royaume Uni), la zone euro (16 pays), l’Union Européenne (27 pays), la Commission Européenne, le Conseil de l’Europe, il faut être très bien informé pour connaître la légitimité de chacun des organes et le domaine propre de compétence.

L’idée d’une vraie gouvernance s’enracine d’abord dans la certitude d’un bien commun européen, à la recherche duquel tous les peuples et leurs pouvoirs propres sont également soumis. Dans une Europe à 27, à 25, ou à 16, la seule recherche du consensus n’est pas seulement vaine, elle conduit surtout à des situations qui ne peuvent que devenir problématiques : ou bien il existe un leadership fort de certains et ce seront toujours ceux-là qui s’imposeront à l’ensemble dans tous les domaines (économique, éthique, culturel), au risque de provoquer l’exaspération de tous, ou bien ce leadership est inexistant et ce seront toujours les nationalismes qui joueront le rôle régulateur en brandissant systématiquement la menace de la séparation.

Pour être recevable, l’idée d’un vrai pouvoir européen doit s’articuler aussi avec un autre principe non moins essentiel à l’effort commun : la subsidiarité. Tout en protégeant et promouvant le bien commun, le sens d’un tel pouvoir en Europe ne peut être autre que celui de favoriser la destinée de chacun des peuples, en favorisant le pouvoir et l’émancipation de chacun.

S’agit-il d’une utopie ?

Le drame serait de ne plus croire à cette possibilité et de nier la nature même de l’homme qui est faite pour cela. Le bien commun et la nécessité d’une authentique autorité pour l’atteindre, autant d’exigences du cœur de l’homme qu’il faut un certain courage pour réveiller comme le rappelle l’exemple récent de la Hongrie. Formulons avec Alexandre Soljenitsyne le souhait que ce courage ne vienne jamais à manquer[2]

Au moment où les barques clandestines affluent à Lampedusa et les clandestins eux-mêmes débarquent dans les squares parisiens (L’Express – 26/04/2011), au moment où le Moyen-Orient dans son ensemble vacille, il est urgent d’appeler de ses vœux un réveil salutaire en Europe.

 


[1] Le pape Jean-Paul II a lui-même défendu cette idée au niveau mondial à l’occasion de son discours au Nations Unies. New York, 5 octobre 1995.

[2] C’est le moment de relire le discours d’Harvard du 8 juin 1978.

Photos de Norber Network

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2 Commentaires

  1. poine

    Je relie deux citations :
    "Une méthode « européenne » ne peut pas faire l’économie d’un pouvoir fort, efficace et réactif."
    "S’agit-il d’une utopie ? Le drame serait de ne plus croire à cette possibilité et de nier la nature même de l’homme qui est faite pour cela."
    Un vrai pouvoir européen, surtout fort, est non seulement une utopie vaine mais dangereuse.
    L'Europe politique est une construction parfaitement artificielle qui a reposé sur la nécessité de cesser de se faire la guerre, après des siècles de conflits européennes finissant par l'apocalypse de la Deuxième Guerre Mondiale.
    Depuis 1991 et le funeste traité de Maastricht, nous faisons fasse à une dérive totalitaire de l'Union européenne qui cette fois viole frontalement le principe de subsidiarité et fait de plus en plus ressembler l'Europe à l'URSS : un monstre bureaucratique sans tête ni but, qui ne vise qu'à engraisser et maintenir au pouvoir ses dirigeants, tout en violant de plus en plus ouvertement les souverainetés nationales.
    On ne compte plus les atteintes aux compétences normalement dédiées aux Etats, spécialement par la Commission Européenne, organe dénué de toute légitimité démocratique, tout comme la Cour de justice de la Communauté Européenne.
    Le principe "un peuple, une nation, un Etat" est quotidiennement bafoué par le monstre bruxellois qui, au mépris de toute vérité historique, prétend incarner l'avenir de l'Europe alors qu'il tente de ressusciter une forme impériale archaïque, renvoyée aux poubelles de l'histoire depuis Napoléon et Guillaume II d'Allemagne.
    Nos amis des ex-pays communistes sont bien placés pour nous rappeler qu'ils ne sont pas près à troquer un totalitarisme pour un autre, couvert des oripeaux des droits de l'homme ou non.
    Alors d'accord pour des instances légères, choisies par les gouvernements des pays souverains, et aptes à gérer au cas par cas les problèmes supra-nationaux (environnement, luttes contres les réseaux criminels, certaines questions économiques et de flux migratoires), mais en vertu du principe de subsidiarité, surtout rien d'autre !