de Paul Anel 17 mai 2011
Un regard sur la sélection du festival de Cannes qui cette année nous propose une véritable plongée au-dedans de nos existences et aspirations.
J8, affichent ce matin les journaux. Huitième jour du festival de Cannes, ce compte de fée qui, chaque année, quels que soient les tragédies et les scandales du jour, déroule en première page de l'actualité son tapis rouge d'étoiles et de "jeunes espoirs." Visages radieux et success stories se succèdent à l'écran sous une pluie de flashes qui ne s'arrête que dans l'obscurité de la salle de cinéma. A se demander si tout cela est bien réel. Et si le cinéma n'est pas l'art de notre temps simplement parce que, plus qu'aucun art, il offrirait la possibilité de fuir cette réalité dont on ne sait plus trop quoi espérer. Le septième art serait l'art de la fugue… Mais un regard plus attentif sur la sélection de cette année nous invite à considérer les choses tout autrement.
Bruno Dumont (Hors Satan, présenté dans la catégorie Un Certain Regard) nous raconte l'histoire d'un vagabond aux prises avec Dieu, et avec le démon. Les frères Dardenne (Le Gamin au Vélo, en compétition officielle), le rêve d'un enfant à la recherche d'un père qui n'en est plus un. Kaurismaki (Le Havre) nous fait entrer dans la vie de Marcel Max, ex-écrivain en lutte avec la maladie et la froide indifférence des hommes, et qui se lie d'une improbable amitié avec un enfant africain échappé d'un convoi de réfugiés… Alain Cavallier (Pater) évoque avec humour et tendresse la relation amicale et paternelle entre un acteur (Vincent Lindon, dans son propre rôle) et un metteur-en-scène (Alain Cavallier… dans son propre rôle). Orphelin, malade ou vagabond, en quête d'un père ou simplement d'amitié, ce sont nos blessures et nos rêves, c'est notre temps qui chaque année a rendez-vous à Cannes.
Non pas une fuite au dehors, mais une plongée au dedans. Avec des yeux nouveaux. Ceux des Kaurismaki et Cavallier, des Dumont et Dardenne. Des hommes comme nous, peut-être juste un peu plus assoiffés que nous. Et qui un jour, une caméra dans les mains, ont commencé à sculpter le temps comme on sculpte la pierre: pour révéler ce qui s'y cache, pour faire monter de l'intérieur des jours ordinaires ces gestes, ces regards, ces heures qui donnent du sens au temps.
Comme l'écrit Andrei Tarkovski, l'autre grand maître du cinéma: "Je crois que la motivation principale d'une personne qui va au cinéma est la recherche du temps : du temps perdu, du temps négligé, du temps à retrouver. Elle y va pour chercher une expérience de vie, parce que le cinéma, comme aucun autre art, élargit, enrichit, concentre l'expérience humaine."
Ne fuyons pas l'obscurité des salles de cinéma. N'ayons pas peur d'y entrer avec tout notre coeur et toute notre tête, et d'y chercher le meilleur ! Si le film est bon, non seulement nous ne perdrons pas notre temps, mais cette salle nous rendra dans deux heures à notre quotidien avec un cœur plus grand, et des yeux plus humains.
Photo CC PanArmenian Photo