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Le grand Naples et l’unité italienne

Naples, la deuxième ville d’Europe pendant toute l’époque moderne est à la tête de la troisième puissance industrielle mondiale et de 70% des lires-or d’Italie au moment de l’unification en 1861. Qui le sait encore aujourd’hui ? Poubelles, Camorra, vol et insécurité des touristes, voilà ce dont le monde pense connaître de cette ville. Mais qui ose encore parler de la baie de Naples, l’une des plus belles du monde, de ses habitants qui respirent la vie, de ses ruelles animées, de cette ville patrimoine de l’UNESCO possédant le plus grand centre historique européen entre colonnes grecques et palais Bourbons ?

 

CC BY Patrick Felici

Finalement que sait-on de Naples ? Son histoire plurimillénaire qui commence avec Ulysse peut faire pâlir toutes les autres villes d’Europe. Ulysse, dans le récit de l’Iliade et l’Odyssée,  affronte la sirène Parthenope au large de la baie de Naples. La sirène vaincue se laisse mourir sur une plage qui peu de temps après deviendra un port d’attache des grecs qui baptisent la petite ville naissante du nom de la défunte « Parthenope ».  Nous sommes au VIIIème siècle AC.

Les siècles se succédant Parthenope se développe, se déplace de quelques centaines de mètres laissant à la vieille ville le nom de Paleopolis et à la nouvelle celui de Neapolis, Naples (nouvelle ville). Le tracé des rues est dessiné par un célèbre urbaniste grec, Ippodamo di Mileto, qui sans le savoir tracera un plan que 2500 ans d’histoire ne toucheront plus. Les milliers de touristes débarquant chaque jour des paquebots se promènent encore aujourd’hui sur les mêmes rues qu’empruntaient les grecs au Vème siècle AC.

Aux grecs succèdent les romains  (en 328 AC) qui laissent à la ville sont identité faisant de Naples l’un des principaux centre de la culture et de la civilisation hellénique en Italie. Poètes et empereurs tel Cicéron, Virgile, Caligula, Néron ou Brutus font de la ville et de ses environs leur lieu de villégiature. La flotte romaine y installe son port (Ostia n’existe pas encore).

Les invasions barbares provoquent la fin de l’empire romain, Romulus Augustule, le dernier empereur, est emprisonné et meurt à Naples. La ville passe rapidement sous le contrôle des byzantins et le restera jusqu’à l’arrivée des Normands en 1139 qui unifient la Sicile et Naples et font de Palerme leur capitale. Par mariage tout ce territoire passe aux mains de l’empereur du St Empire Germanique en 1198.

Il faut attendre 1266 pour que Naples reprenne son rôle de capitale. Le fils de l’empereur est décapité sur la place du marché de la ville, les Angevins prennent le pouvoir et la Sicile se sépare. Cette Naples française connaitra un grand essor, accueillera non seulement la cour du roi mais aussi de fameux artistes comme Giotto qui y séjournera 4 ans en 1329 et fera de cette ville royale le premier foyer de la Renaissance italienne.

En 1443 les Aragonais prennent le pouvoir et Naples commence à rivaliser avec la célèbre Florence grâce notamment à l’arrivée massive des byzantins qui, à la chute de Constantinople, viennent enrichir de leur culture Naples et sa région.  Dès 1503 et pour 2 siècles Naples devient une province du royaume d’Espagne ou siègent des vice-roi représentant un immense empire dont Charles Quint fut l’un des empereurs. Durant cette période Naples devient la ville la plus peuplée de la méditerranée (300 000 habitants, 2ème en Europe après Paris) et se transforme en l’un des plus grands centres de l’activité philosophique, scientifique, littéraire et artistique de l’époque, dépassant par moment la cour de Madrid dans sa capacité d’attirer les esprits les plus créatifs de l’immense empire espagnol. Naples est  alors « la perle la plus belle de toute la couronne ».

Dans la seconde moitié du XVIIème siècle l’ex parlementaire français Maximilien Misson en tournée européenne décrit ainsi Naples : « L’une des plus belles villes du monde, peut-être même la plus belle..Rome, Paris, Londres, Venise, Vienne et tant d’autres villes fameuses ont sans doute de beau palais. Mais ceux-ci sont entourés de maisons plus laides ce qui n’est pas le cas de Naples ». Jean Baptiste Labat à la même époque décrit Naples comme une ville d’une propreté exemplaire, nettoyée chaque jour avec attention et lavée par des torrents d’eau qui emportent tout ce qui peut rester de saleté.

Dès 1734 et jusqu’à l’unité italienne en 1860 Naples devient la ville des Bourbons d’Espagne (mise à part l’incursion française du frère de Napoléon, Murat, entre 1806 et 1815). Rivalisant toujours avec Paris en grandeur, Naples devient l’étape incontournable du Grand Tour (Madrid, Paris, Londres, Vienne) qu’entreprenaient intellectuels, nobles et artistes en quête de lieux riches en art ou en monuments de tout type. Les poètes Lamartine,  Goethe ou Stendhal de passage à Naples décrivent la ville avec un enthousiasme sans pareil. Stendhal ose même prétendre que Naples n’a pas son pareil dans l’univers.

 Entre 1734 et 1860, Naples peut se vanter d’être précurseur dans bien des domaines. En Italie Naples ouvre la première faculté d’astronomie (1735), le premier observatoire astronomique (1819) et météorologique (1845) et le premier centre sismologique (1841). C est aussi à Naples que s’ouvre la première faculté d’économie d’Europe (1754) et celle d’architecture est reconnue comme l’une des plus prestigieuse du continent avec Madrid.

Au niveau technologique c’est à Naples que le premier navire à vapeur du monde est construit (1819), que le premier pont suspendu en fer au monde est réalisé (1832), que la première ligne de train italienne (la deuxième après Londres) est achevée (1839) et que la première illumination de ville à gaz en Italie est installée (3ème en Europe après Londres et Paris).

Sur le plan économique, Naples et son royaume est en 1856 la première puissance industrielle d’Italie et la troisième mondiale. Elle possède aussi la première flotte marchande du pays, la deuxième plus grande flotte militaire mondiale et son industrie navale est la première d’Italie. Presque 70% des réserves d’or d’Italie se trouvent dans le royaume de Naples et des Deux-Siciles au moment de l’unité.

Culturellement et socialement, Naples compte en 1860 le plus grand nombre de théâtres et de conservatoires musicaux d’Italie. Première aussi en Italie pour sa quantité de journaux, de typographies mais aussi de médecins par habitant, d’orphelinat, de collèges et de structures d’assistance ou de formation. Sa mortalité infantile est la plus basse du pays et son émigration très faible.

C’est à cette période que survient l’unité italienne. Depuis la fin de l’Antiquité, l’Italie n’est qu’une « expression géographique ». Partiellement ou totalement dominée par quelques puissances étrangères, divisée en états territoriaux, l’Italie n’existe que comme puissance culturelle, ce qui est beaucoup, tandis que quelques états comme la République de Venise, Florence, le Royaume de Naples et, bien entendu, les États de l’Église réussissent à s’imposer provisoirement. Les bouleversements apportés par la Révolution française et l’empire napoléonien et, plus encore peut-être, par le Mouvement des nationalités, poussèrent les patriotes italiens à envisager une unification du pays, ardemment souhaitée par nombre d’Italiens, mais qui s’avérait presque impossible à réaliser. La révolution de 1848, le rôle de Napoléon III, ainsi que la volonté tenace de Cavour, de Garibaldi et de la Maison de Savoie, qui savent habilement profiter des circonstances, permettent aux Italiens de réaliser à peu près totalement leur unité en 1870.

A l’heure de sa réunification (1860) Naples est la ville la plus peuplée d’Italie (deux fois et demie Turin et Rome) avec  450 000 habitants. Cependant, en quelques années, Naples devient le premier port d’émigration d’Italie (cinq millions d’exilés entre 1870 et 1913). L’industrie a été déplacée vers le Nord du pays, les chantiers navals fermés, plus de 80 000 fonctionnaires travaillants pour les ambassades du royaume de Naples licenciés. La première usine de  production de moteur d’Europe ferme ses portes. Le grand Naples n’est plus qu’un souvenir laissant la place à une criminalité organisée toujours plus puissante et un analphabétisme croissant. Des maux déjà latents sous le règne des Bourbons mais accentués par le désintérêt et l’abandon presque total que subit le sud désormais aux mains des politiciens du nord. L’unité italienne est réalisée, mais à quel prix…

Cette histoire de Naples se veut volontairement partisane du sud. Les faits sont toujours matière à interprétation et leur manipulation un jeu facile. Malmené par la critique, Naples avait droit elle aussi à sa défense.

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1 Commentaire

  1. Ottaiano

    Molto interessante, merci beaucoup pour ton récit il est très riche en documentation, pourrait-tu mettre des références stp?

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