Home > Eglise > Rosario Livatino, Sub Tutela Dei

Rosario Livatino, Sub Tutela Dei

Le 21 septembre 1990, sur le viaduc de Galena, près d’Agrigente en Sicile, quatre messieurs attendaient, tôt le matin, une voiture rouge, une vieille Ford Fiesta. C’était la voiture du juge Rosario Livatino, qui, comme tous les matins, se rendait au tribunal d’Agrigente. Ponctuel et organisé,  ils savaient qu’il passerait, comme toujours, sans tarder. Et matin-là ne faisait pas exception, et ces messieurs de la Stidda (mafia de la région d’Agrigente) l’attendaient pour lui couper la route. Rosario comprit ce qui se passait et tenta de s’échapper à travers les champs situés en bordure  de la route. Et lorsqu’il tombe à terre blessé au dos, il voit ses assassins s’approcher et se demande sans haine : « Qu’est-ce que je leur ai fait ? Je ne les connais pas ». Pour les assassins, Rosario est un nom de plus sur la liste de ce jour, pour la Stidda, il est un juge qui « ne collabore pas ». Les derniers tirs, à bout portant, seront fatals.
Son corps, est trouvé par des voyageurs avec les yeux ouverts regardant le ciel sicilien, les mêmes yeux bruns que ceux de sa mère.

L’archevêque d’Agrigente, Monseigneur Ferrara, prononce des paroles prophétiques lors de ses funérailles : « ils ont pensé éteindre une bougie mais ils ont allumé une torche ». Le dimanche 9 mai, dans la cathédrale d’Agrigente, le juge Rosario Angelo Livatino sera proclamé bienheureux. Sa vie, son œuvre, son martyre sont inondés d’une lumière unique : celle du Christ ressuscité.

 

Rosario Livatino

 

Rosario Livatino

Rosario Livatino est né à Canicatti en 1952. Fils unique de Vincenzo et Rosalia, il a grandi dans une famille qui l’a éduqué à la responsabilité, à la vérité et surtout à la foi. En 1975, il termine ses études de droit à l’université de Palerme. Après avoir travaillé au greffe d’Agrigente, il passe en 1978 le concours pour devenir membre de la magistrature italienne et est affecté au tribunal ordinaire de Caltanissetta. C’est le début d’une nouvelle phase. La présence de Rosario au Tribunal pour ceux qui travaillent avec lui et pour les accusés peut se résumer en un seul mot : disponibilité. Une disponibilité qui n’a pas de limites : en plein milieu des vacances et voyant qu’il n’y a personne qui peut apporter jusqu’à la prison l’autorisation de libération d’un détenu, ce sera le juge en personne qui l’apportera ; et au regard étrange du directeur qui dit : « mais aujourd’hui c’est un jour de vacances », Rosario répondra : « la liberté d’une personne est plus importante ». La dignité de la personne que Rosario a apprise dans sa famille. Depuis qu’il est enfant avec ses parents, il apprend à regarder la personne, non son erreur, et parfois, en tant que juge, sa secrétaire le voit pleurer quand il apprend qu’un délinquant a été tué.

Pendant dix ans, il est avocat assistant au tribunal d’Agrigente et en 1989, il devient juge « a laetare ». C’est le début d’une période compliquée car derrière les personnes à juger se cache une organisation criminelle qui a réussi à être présente dans tous les domaines de la vie sociale et politique en Sicile. Rosario, en tant qu’homme de foi, le comprend et comprendra que chaque pas dans la recherche de la vérité peut être dangereux, pour sa vie et pour ceux qu’il aime. Il est fréquent que les juges des années 1990 reçoivent des menaces constantes et décident souvent de ne pas poursuivre une enquête afin de ne pas mettre en danger les leurs. Mais ce n’est pas une raison pour céder à la peur. Chaque année, il tenait un journal où il notait, non pas son travail, mais ses pensées les plus profondes. C’est à travers ces journaux que nous découvrons son amour pour la vérité et aussi la peur qui l’envahit lorsque ses parents sont menacés de mort alors qu’il enquête sur des pots-de-vin versés à des personnes liées à la politique sicilienne. En tant que personne, il vit dans la peur et a le sentiment d’être « dans le noir », mais il demande le pardon et la force du Christ afin qu’il l’aide à aller jusqu’au bout dans la recherche de la vérité.

SUB TUTELA DEI

Dans ces journaux intimes, les chercheurs trouvent un anagramme qu’ils pensent être une information secrète : « S.T.D. », ce sont des mois de recherches pour essayer de comprendre ces lettres. En lisant ses notes universitaires, on trouvera la réponse : sur chaque page écrite, dans le coin supérieur, était inscrit : SUB TUTELA DEI, sous la tutelle de Dieu ! Rien n’est laissé au hasard ou à la chance. Ses collègues parlent d’un juge qui ne laisse rien passer et qui va dans les moindres détails, car dans la recherche de la vérité, rien ne doit passer inaperçu.

Parce que Rosario estimait qu’il n’était pas un accusateur, mais un juge qui essayait d’imiter le « juge miséricordieux » qu’est le Christ, et il dit clairement dans une conférence en 1986 :

« La tâche de l’opérateur juridique, du magistrat, est de décider ; or, décider c’est choisir et parfois choisir entre plusieurs choses ou voies ou solutions ; et choisir est une des choses les plus difficiles que l’homme est appelé à faire. Non seulement parce que le choix résout un problème du passé […], mais aussi parce que très souvent, le choix implique une prévision des effets à venir […]. Et c’est précisément dans ce choix de décider, de décider d’ordonner, que le magistrat croyant peut trouver une relation avec Dieu. Une relation directe, car rendre la justice, c’est se réaliser, c’est prier, c’est se consacrer à Dieu. Une relation indirecte à travers l’amour pour la personne jugée. »

Avant d’entrer au Tribunal, Rosario avait coutume de participer à la messe quotidienne à la paroisse de San Domingo à Agrigente. Après son assassinat, le curé de la paroisse, voyant les photos dans le journal, se souviendra de ce jeune homme qui, chaque matin, était assis sur le dernier banc de l’église, participant à la célébration eucharistique et priant en silence. Malgré la réception de certaines menaces, il n’a pas accepté d’escorte policière, car il a déclaré que s’il devait mourir, il valait mieux mourir seul, afin de ne pas impliquer d’autres personnes.

Le juge Livatino est également le premier à rechercher une coordination entre les différentes forces politiques et policières, afin de comprendre la dynamique des groupes mafieux dans la région d’Agrigente. Mais ce travail n’est pas facile, car de nombreuses personnes issues des forces de l’ordre, de l’administration publique et des banques travaillent pour la Stidda. Rosario obtient quelques succès en tant que juge : la saisie de biens et de comptes bancaires des patrons de la Stidda, l’emprisonnement de certains politiciens pour des pots-de-vin dans des travaux publics, mais ce sera aussi la signature de sa « mort » car il n’accepte pas les pots-de-vin et ne veut pas vivre une inertie judiciaire : pour beaucoup, il doit mourir.

Lors de ses funérailles, Paolo Borsellino, qui sera assassiné par la Cosa Nostra à Palerme, se souviendra de Livatino comme d’un juge et d’un homme de foi. Mais les mots les plus importants, qui tiennent de la prophétie, ont été prononcés par saint Jean-Paul II : le juge Rosario Livatino est un « martyr de la justice et bien entendu de la foi ».

Des quatre personnes qui ont participé à l’assassinat et qui étaient présentes au moment de son martyre, l’une d’entre elles a accepté de témoigner dans le procès de béatification du futur bienheureux, une occasion unique d’entendre comment le sacrifice d’une vie peut porter du fruit chez celui qui a participé à sa mort.

 

Entretien – en italien – en prison avec Gaetano Puzzangaro, l’un des assassins du juge Rosario Angelo Livatino de Canicattina

Vous aimerez aussi
Noël, la crèche, une évidence
Giorgia Meloni: un épiphénomène italien ?
Cela vaut la peine d’assister à une béatification (II)
Cela vaut la peine d’assister à une béatification (I)