de Pascale Della Santa 28 juin 2011
Pascale Della Santa est docteur dans un hôpital de Genève. Elle nous place du côté du médecin et son souci d'annoncer au mieux à un patient une maladie très lourde. En plus de la compétence scientifique pour la pratique de la médecine, l'annonce d'un diagnostic requiert une grande humanité et sensibilité.
Serment d'Hippocrate byzantin du XIIème siècle
En médecine, nous savons qu’il faut idéalement réunir plusieurs conditions pour annoncer un diagnostic de mauvais pronostic (par exemple une maladie incurable, éventuellement mortelle) : avoir du temps devant soi (prévoir au moins le double de temps d’une consultation normale), se montrer disponible (ce qui est favorisé, par exemple, si la secrétaire ne vous passe pas les appels téléphoniques pendant la durée de la consultation), être à l’écoute du patient, essayer de voir ce qu’il a compris, le revoir plusieurs fois à quelques jours d’intervalle pour répondre aux questions et inquiétudes qui surgissent au fil des jours, etc.
Qu’en est-il dans les situations d’urgence ? Il peut s’agir alors de maladies curables, mais qui peuvent être mortelles si elles ne sont pas traitées rapidement. Mais toutes les conditions idéales susmentionnées sont plus difficiles à réunir : il faut agir vite et bien, toujours avec le consentement du malade (quand celui-ci est possible, ce qui n’est pas le cas d’un malade comateux, par exemple) ! Il arrive en effet que le patient, choqué par la nouvelle inattendue d’une maladie grave, émette des doutes quant à la véracité du diagnostic et quant au traitement proposé. Il s’agit alors pour le médecin d’être à la fois suffisamment délicat et astucieux pour que le malade perçoive que sa vie est en danger et qu’un traitement avec les moyens à disposition est indispensable pour garder ou restaurer le meilleur état de santé possible. Par exemple, en cas d’infarctus du myocarde, affection pouvant être rapidement mortelle, le patient n’est pas toujours très symptomatique : il ne se sent peut-être pas très bien mais n’a pas forcément la classique douleur pectorale oppressive. Ainsi, nous fallut-il une fois donner à un patient mécanicien (qui ne voulait pas aller à l’hôpital malgré toutes nos explications) une analogie claire : « Laisseriez-vous quelqu’un conduire une voiture dont vous savez pertinemment que les freins ne marchent pas ? » Et le patient de rétorquer : « Mais si la voiture est neuve ? »
Le déni fait partie de nos mécanismes de défense face à un traumatisme, quel qu’il soit. Se savoir en danger de mort n’est que difficilement acceptable. Il revient au médecin d’aider son patient à la fois à prendre conscience de sa situation et de lui rappeler qu’il n’est pas seul dans cette épreuve.
Photo traduction du texte du serment d'Hippocrate, publication byzantine du XIIème siècle :
Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivant :
« Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon avoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre. »
« Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.
Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille.
Dans quelque maison que je rentre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.
Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. »
« Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire. »