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Beaucoup de bruit autour d’un discours

L’histoire d’un orthophoniste travaillant à soigner le défaut de langage d’un roi ne représente pas a priori l’affiche la plus alléchante d’un film. Et pourtant le succès du film de Tom Hooper « the King’s speech » est impressionnant : 4 Oscars[1], 7 nominations au Golden Globe mais c’est surtout vis-à-vis du public que la réussite de ce film semble la plus confirmée avec plus de 200 millions de dollars de recettes. Pourquoi un tel engouement ?

Une des raisons tient peut être à l’identification de nombreux téléspectateurs avec la figure du duc d’York, futur Roi Georges VI joué de façon magistrale par Colin Firth. Pour une fois un défaut d’élocution aussi humiliant que le bégaiement n’est pas présenté au cinéma avec l’intention de faire rire mais plutôt afin de susciter l’empathie. A n’en pas douter beaucoup de personnes qui souffrent d’un handicap, d’une faiblesse, d’une éternelle blessure mal cicatrisée,  se retrouvent dans un personnage qui vit un tel drame. Ce film est une histoire de la fragilité,  de cette pierre d’achoppement qui empêche tant d’hommes d’avancer et de se réaliser comme ils le voudraient. Le bégaiement ici ne veut pas dire uniquement l’impossibilité de bien dire ce que l’on veut mais c’est surtout le signe que c’est une certaine image de soi qui est atteinte, une incapacité de s’affirmer, de tout simplement dire « je », d’être soi même. La souffrance de l’acteur principal est donc assez universelle, elle suscite facilement la compassion car d’une certaine façon elle nous atteint tous.            

Mais c’est aussi un film sur le dépassement de soi, la volonté, la persévérance et le courage. Cet homme qui souffre d’un défaut humiliant n’a pas le choix, il doit l’affronter.  D’autant plus que son frère Edouard VIII doit abdiquer et donc lui laisser le trône. Pour guérir, le futur roi va devoir s’adresser à un roturier, Lionel Logue,  un australien dont le père était brasseur. Il va devoir accepter d’être traité d’égal à égal. D’où l’importance du prénom dans le film, Lionel Logue ne veut pas l’appeler « son altesse royale » mais familièrement « Bertie ». Et ce afin d’aider cet homme à ne plus se sentir ainsi perpétuellement tiraillé entre le rôle qu’il est appelé à jouer dans la vie (être roi) et son appartenance à l’humanité commune.

Bertie devra donc accepter de faire un chemin de vérité, de se raconter, de livrer quelque chose de son intimité afin de pouvoir avancer. Et il avancera, non sans mal, mais il progressera. Ses chutes, ses tentations de désespérer de lui, sa brouille momentanée avec son thérapeute, tout cela ne l’empêchera pas en fin de compte de continuer à vouloir s’en sortir. Le réalisateur nous présente un homme conscient de ses nombreux défauts mais qui pose des actes pour progresser. Il lui faudra pas mal d’humilité pour accepter que son bégaiement vient d’un problème plus large qu’un simple défaut physiologique.

 

Tom Hooper nous montre aussi que cette progression se fait grâce à une personne qui ne cesse de l’aimer et de croire en lui, son épouse, la future « Queen Mum », mère de l’actuelle reine Elizabeth II. Cet homme si fragile possède un roc sur qui s’appuyer à tout moment, cette femme qui ne baisse jamais les bras et surtout ne cesse de vouloir l’aider. Souvent le film nous montre des gros plans sur la main de Bertie qui cherche celle de son épouse ou ses yeux qui paraissent trouver en elle l’amour et le soutien dont il a besoin pour avancer. Le futur Georges VI a eu à ses côtés une personne qui a toujours été cette « aide assortie » dont parle la Bible dans la Genèse.

Mais le personnage principale et l’artisan de la thérapie du duc d’York, c’est Lionel Logue que Tom Hooper a pu mieux cerner suite à la découverte providentielle, quelques semaines avant le tournage, de son carnet où il raconte ses séances avec le futur roi. Ce film a eu autant de succès car avant d’être une histoire de thérapie adéquate c’est d’abord une histoire d’amitié. Entre deux êtres que justement tout parait séparer. 

 

Lionel Logue n’est pas un diplômé mais d’abord quelqu’un qui a su tirer les leçons de l’expérience. Il a soigné les blessés de la première guerre mondiale et il a acquis son savoir sur le tas. Il a su observer et en tirer les conclusions vitales pour la thérapie.

C’est un praticien qui considère l’homme comme un tout : corps et âme.  Il ne négligera donc aucune des deux dimensions. Le couple royal au début ne veut entendre parler que de « mécanique », ne voir dans le bégaiement qu’un problème physiologique à traiter comme la réparation d’une voiture qui avance mal.

Lionel Logue lui ne négligera pas la dimension corporelle (les images du film sur ses séances sont d’ailleurs assez amusantes) mais cherchera aussi à revenir à la source : le manque de confiance en soi qu’il estime être l’origine principale du bégaiement. Plus le temps passe et plus le film semble montrer que c’est là où réside la clé de la thérapie : retrouver une certaine auto-estime, apprendre à tout simplement s’aimer soi même et savoir cheminer avec sa part d’ombre.

Le film se termine par le discours prononcé par le roi au moment de l’engagement de son pays dans la seconde guerre mondiale. A la fin du discours Lionel Logue très heureux du fait que cela se soit bien passé ne peut s’empêcher cependant de faire remarquer au roi qu’il a trébuché sur certains mots. Réponse très british de son ami « il le fallait bien afin que le monde sache que c’est moi qui parle » (authentique).  D’une certaine façon il a aussi réussit à assumer le fait qu’il était bègue, qu’une guérison totale et permanente ne verrait sans doute jamais le jour et que cela ne devait pas l’empêcher de vivre pour autant. Par extension cette phrase peut être aussi source de consolation pour toute personne qui porte un handicap, aussi petit soit-il, c'est-à-dire pour chacun de nous. Nous ne sommes pas aimés malgré notre faiblesse mais bien à travers elle.   

[1] Et parmi les plus prestigieuses récompenses : Meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur scénario.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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