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Reza nous parle de son ami le commandant Massoud

A l'occasion du dixième anniversaire de la mort du commandant Massoud (1953-2001), Reza nous entretient de son amitié avec lui et de sa vision de l'Afghanistan.

Comment décrire la situation de l'Afghanistan à l'époque du commandant Massoud ?  Quel a été le rôle de Massoud dans son pays ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre le caractère de Massoud qui était une âme indépendante. Les mots “indépendance” et “liberté” sont deux mots qu'il utilisait constamment, c'est pourquoi la présence de Massoud aurait créé un véritable obstacle à celle des soldats américains et bien d'autres. Il ne l'aurait jamais acceptée. En avril 2001, quand il combattait les Talibans et Al-Qaida et que le monde entier semblait l'avoir oublié, lors d'une interview donnée en France à l'occasion d'une invitation faite par le Parlement Européen suite à laquelle il donna une conférence de Presse en présence de centaines de journalistes du monde entier, ceux-ci lui ont demandé s'il était venu pour demander de l'aide militaire, des soldats. Il a répondu qu'il n'avait pas besoin de soldats étrangers pour combattre Al-Qaida. Sa seule chose qu'il demandait était que les Européens et les Américains pressent le Pakistan de fermer la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan et qu'ils cessent d'envoyer renforts et munitions aux Talibans. Il disait : "Nous, les Afghans, allons nous occuper de Ben Laden, d’Al-Qaida et de tous les autres qui veulent occuper notre pays". C'était cela la réalité de Massoud.

Ce qui est étrange, c’est qu'il ait pu résister avec quelques milliers d'hommes. Pendant six ans, alors que les Talibans, Al-Qaida et l'armée pakistanaise étaient tous trois au moment le plus fort de leur histoire – de 1996 à 2001 –, il leur a tenu tête avec quelques milliers d'hommes et de femmes, sans aucune aide internationale. J'ai été témoin de cela. En dix ans, depuis 2001 à nos jours, la communauté internationale avec cent mille soldats, qui avaient chacun l'équivalent de cent fois les munitions et les armes de ses soldats, n'a pas réussi à gagner contre Massoud. Ils ont même perdu la guerre. 

Comment expliquez-vous qu'il ait pu ainsi tenir tête à toutes ces troupes, à l'armée soviétique aussi, avec si peu de moyens et d'hommes ?

C'est la volonté et la foi qu'il avait dans la justesse de ses actions, dans la justesse de sa voix. L'intelligence et un génie humain, un génie militaire aussi.

L'académie militaire de Moscou a même créé un département d'études de Massoud pour retirer les leçons qu'il a données à ses ennemis.

 

Pourriez-vous en quelques mots nous retracer l'histoire de votre amitié avec Massoud ?

Il y a beaucoup de choses qui nous rassemblent.

Nous sommes les enfants d'une même région. Notre langue maternelle, le persan, est la même. Cela crée un lien culturel fort. Ensuite, nous avons presque le même âge, un ou deux ans de différence. De plus, j'ai étudié l'architecture et lui était ingénieur civil. Dans les deux cas, il y a cette idée de bâtir, de construire.

Puis, petit à petit, j'ai vu qu'on avait d'autres points communs. On aimait les mêmes poètes persans : Rumi et Hafez. C'était nos deux poètes préférés, ce qui nous emmenait parfois à lire de la poésie des soirées entières. Nous avions aussi la même passion pour les échecs. Et tous les deux, nous avions commencé à être militants dès l’âge de l'adolescence. Moi comme "art-activiste" contre le régime du Shah, contre l'injustice sociale, et lui contre l'invasion puis  l'occupation russe de son pays. C'est la raison pour laquelle il a dû fuir pour le Pakistan, que j'ai moi-même été arrêté par le régime du Shah et que j'ai passé trois ans en prison, torturé pendant cinq mois d'affilée.

Tout cela a fait que notre rencontre est devenue une histoire d'amitié.

En même temps, je disais toujours qu'il ne fallait pas mélanger “Reza photojournaliste” et “Reza ami”. Je disais à Massoud : "Si tu fais quelque chose qui ne me convient pas, je te le dirai". Il appréciait mon franc-parler.

Que pouvez-vous nous dire de Massoud ? Qu'y avait-il de marquant chez lui ?

Personnellement, le plus marquant est que c'était un homme avec une volonté de fer. Il avait foi dans ce qu'il faisait, n'était jamais pessimiste et ne voulait pas baisser les bras.

Par exemple, il est arrivé que les Talibans soient tellement en position de force que ses amis lui ont dit qu'ils voulaient partir pour se réfugier au Tadjikistan. Il a alors enlevé son chapeau, l'a jeté par terre et s'est assis dessus puis a fait un discours magnifique en disant : "Tant qu'il y a aura une terre libre de la taille de ce chapeau, je resterai dessus et je lutterai au nom de la liberté. Maintenant, décidez : restez ou partez". Ils sont tous restés.

Pour lui, la culture et l'éducation des enfants étaient particulièrement importantes. Même lorsque les conditions étaient très dures et qu'il n'y avait pas d'argent, il a réussi à monter dans son arrière-base de Douchanbé (capitale du Tadjikistan), des cours de formation, avec des centaines de coordinateurs. Il faisait enseigner l'anglais en pleine guerre. Dans la Vallée du Panshir, il a construit une bibliothèque alors qu'il y avait la menace constante des talibans.

Afghanistan. Kaboul. 1992. Après la prise de Kaboul par les Moudjahidin le 18 avril 1992, le commandant Massoud (1953-2001) fait un discours lors d'une réunion avec tous les commandants ralliés à la résistance.

Quel héritage nous laisse Massoud ?

Il y a des êtres qui marquent l'Histoire pour différentes raisons et qui ont une ascension très rapide. Les gens qui les entourent comprennent ce qu'ils font ou non. Pour Massoud, il n'y avait personne qui était capable de prendre la suite.

Personnellement, je vois plusieurs choses engendrées par notre amitié et qui demeurent aujourd'hui.

Ces deux dernières semaines où j'étais à Kaboul pour les dix ans de sa mort, j'ai été ému de voir mon rôle de photographe dans ce pays. Il y a avait des dizaines de milliers de photographies de Massoud que j'avais prises et qui étaient affichées partout pour lui rendre hommage.

D'autre part, j'ai réalisé plusieurs films documentaires sur Massoud et ils étaient aussi montrés partout. La réaction des adolescents était très positive. Des jeunes venaient pour me saluer, me remercier : "Merci de me faire connaître le vrai visage de notre chef". Ils ont davantage pris conscience du rôle qu'il a joué.

Une phrase chère à Massoud – qu'il ne cessait de répéter et qui reste pour les jeunes aujourd’hui – est : "Je préfère mourir libre plutôt que de vivre esclave".

Propos recueillis par Raphaël Gaudriot

 

 

 

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