Home > Politique > Un dialogue de sourds

Le Chili vit depuis des mois une forte contestation étudiante après une proposition de réforme du système éducatif faite par le gouvernement. Les deux camps sont engagés dans un "dialogue de sourds" mais il semble que les choses commencent à se décanter.

CC BY-SA simenon

Tout semble avoir commencé en avril dernier lorsque le gouvernement de Sebastian Piñera a annoncé le lancement d’une réforme de l’enseignement supérieur au Chili. En quelques semaines, aussi bien à Valparaiso où se trouve le Congrès qu’à Santiago les premières manifestations ont commencé, se répandant comme une traînée de poudre sur l’ensemble du pays. Le ton fut donné dès la première manifestation du 28 avril dernier lorsque Camilla Vallejo, la jeune militante présidente du syndicat étudiant de l’université du Chili, invitait tous les étudiants à une grève illimitée. Et en quatre mois, universités, collèges et lycées publics et privés motivés par les syndicats étudiants et enseignants se mobilisèrent, prenant en otages quelques bâtiments, manifestant leurs mécontentement par des grèves de la faim, se rassemblant dans la rue pour des marches aux violences inhabituelles. Ce mouvement dit « étudiant » se transforma rapidement en un mouvement social atteignant son paroxysme lors d’une grève nationale, deux jours durant au cours du mois d’août, plongeant le pays dans une tension qui n’était pas sans rappeler les moments les plus sombres de la dictature de Pinochet.

Les étudiants dénoncent principalement les intentions lucratives (et non pas éducatives) de certaines entreprises immobilières qui investissent dans la construction d’universités privées. Ce qui a comme conséquence une importante inégalité quant à la qualité de l’enseignement. De plus, l’éducation repose essentiellement sur le revenu des familles et sur les étudiants eux-mêmes les endettant indéfiniment. C’est pourquoi ils revendiquent une augmentation des dépenses publiques actuellement trop faibles afin de soulager le système éducatif. Ils accusent également une injustice criante quant à l’accès aux études supérieures relative bien souvent au niveau social et enfin ils se plaignent de la carence des débouchés. Les contestations manifestement légitimes mettent en exergue l’idéale d’une jeunesse désabusée par tant de vaines promesses politiques. Elles ont le mérite de manifester la soif d’une société plus juste et plus humaine. Cependant, les principales revendications se transforment très vite en des demandes passionnelles où l’idéologie prend le dessus.

En face, le gouvernement accumule déclarations publiques et propositions politiques maladroites, qui ne présument pas un débouché fécond avec les différents intervenants du mouvement étudiant. De la même manière, le fait que l’Etat ne prenne pas assez en compte les différents acteurs sociaux devient très vite un prétexte au conflit. Très vite les positions se radicalisent cristallisant le schéma classique des idéologies où les extrêmes s’affrontent. Finalement, les étudiants finissent par perdre de vue la finalité première de leur mobilisation devenant alors rapidement un combat politiques s’endurcissant de plus en plus. Les opposants au gouvernement actuel veulent le déstabiliser et celui-ci ne veut surtout pas se faire entendre dire quelle est la marche à suivre.

L’éducation est au service de l’homme. Plus précisément il s’agit de reconnaître la mission propre à chacun pour la construction d’une société toujours plus humaine, plus respectueuse des droits fondamentaux et principalement de la liberté de l’homme. Un dialogue pour une éducation plus juste ne deviendra possible que dans la mesure où une telle préoccupation sera au centre des débats. Il s’agit avant tout du bien commun et non d’un prétexte au pouvoir de l’idéologie dominante. La question de l’éducation n’a jamais été et ne sera jamais celle qui se résout à coup d’idées mais correspond à une attitude portant en elle l’inquiétude existentielle d’aider l’homme. Attitude qui n’est pas celle de la mise en place d’un système global pour la transmission d’un package de « savoir » comme beaucoup l’invoque mais d’une relation de maître à disciple introduisant celui-ci dans la réalité.

Il y a aujourd’hui deux Chilis avec deux visions différentes, deux classes sociales qui s’affrontent. Et comme le dénonçait avec beaucoup d’acuité, l’archevêque de Santiago, Monseigneur Ezzati quasiment dès le début du conflit à propos des différents interlocuteurs de ce conflit : « Il s’agit d’un véritable dialogue de sourds ». Alors qu’une rencontre pour le bien commun mis en œuvre entre des intervenants qui accepteraient de mettre de côté l’emprise de l’idéologie devrait laisser apparaître des solutions adéquates à la réalité même du pays. Quelques signes d’un premier dialogue sont apparus. Il s’agit maintenant d’un véritable défi que doit relever le Chili pour établir un dialogue ayant en vue une éducation toujours plus humaine et plus juste.

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