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Le paysan des poilus… Quand la guerre refait surface !

Interview de Jean-Luc Pamart

Demain 11 novembre, il n’y aura plus de soldat pour témoigner de la Première guerre mondiale. Le dernier poilu est décédé en mai cette année. L’image de cette guerre va-t-elle perdurer dans l’esprit des descendants des ces poilus et se diluer dans l’esprit des Français ? Est-ce la fin du devoir de mémoire ?

Non, car sur la ligne de front, à seulement quatre-vingt kilomètres de Paris dans le Soissonnais, la guerre continue de narguer l'armistice. Depuis son tracteur, Jean-Luc Pamart en est le témoin quotidien.

Paysan sur ses terres de Confrécourt, il côtoie chaque jour les milliers de poilus disparus : ses blés sont plantés sur les champs de batailles, ils poussent sur le corps des soldats morts pour la patrie. Les moissons rendent visibles les traces des cette guerre : éclats d'obus, douilles, grenades, dépouilles de soldats. Tout lui rappelle la vie sacrifiée de ces hommes : « Tous les matins quand je me lève, je suis dans les tranchées. C'est la guerre de 14 ! ».

A l'occasion de ce jour de commémoration, il partage avec nous son quotidien sur la ligne de Front.

Jean-Luc, pour toi, qu'est-ce que le devoir de Mémoire ?

Je n’aime pas le mot « devoir » : il est empreint d’obligation. Moi je vis cette mémoire tous les jours. Chaque jour est un jour de mémoire pour ces soldats, pour tous ces jeunes qui se sont sacrifiés dans ma terre.

Certains disent que je suis agriculteur ou cultivateur, mais je revendique ma vie de paysan. Je suis paysan. Cela veut dire « aimer son pays, aimer sa terre ». C’est très beau. Aimer c’est regarder et faire fructifier. Cette terre nous est confiée. Il faut la faire fructifier au mieux. Ma terre a quelque chose de très particulier. Il y a des gars qui y ont vécu, qui ont souffert, qui y ont pleuré, chialé, qui ont eu peur au ventre, qui ont crié maman et qui ont donné leur vie, parfois, ma terre est leur dernier linceul. Ils sont toujours là !

En tant que paysan, j’ai un autre regard. Ça m’impressionne. Tous les jours (en ce moment on sème du blé) c’est sur des corps de soldats que je vis. Ils sont peut-être là, à un mètre sous la charrue. Mon blé va même peut-être prendre racine sur le corps de soldats. Cela demande un grand respect : faire bien son travail et quand on retrouve leurs camarades, faire de notre mieux pour conserver leur dépouille.

 

Comment vis-tu une journée comme le 11 novembre ?

Le 11 novembre, c'est un temps de silence. Ferme les yeux et imagine. Imagine quatre ans de guerre, de bombardements, de fracas, d'horreur, de cris, de hurlements. Et puis voilà. Le matin du 11 novembre, onzième mois de l'année, à 11 heures, D'un seul coup, c'est le silence. Le grand silence. Pour ces soldats, c'est la surprise. Ils commencent doucement à sortir de leur tranchée et à voir qu'en face il y a des petits gars comme eux.

A Paris, c'est la fête. Tout le monde chante et s'embrasse. Bruit d'enfer. Mais sur le front, plus rien. Plus un bruit.

Je ne suis pas trop hommage public. Je suis plutôt dans l'attitude du soldat. Je goûte au silence du front. Après 364 jours avec eux, le 365ème, je marche et je prie en silence. Je prie saint Martin, ce soldat romain qui a partagé son manteau. Extraordinaire ! Parfois j'invite des jeunes, et on va marcher avec nos sacs… Toujours en silence. La vie de ces poilus, c'est dans les jambes. Il faut marcher, prier.


La croix brisée

Tu dis : « Je cultive les blés qui poussent sur le sang des soldats, qui mûrissent au soleil de leur vie sacrifiée ». Comment, face à cette absurdité et à cette horreur de la guerre, arrives-tu à rester debout, plein d’espérance ?

Tous les matins, j’arrive à Confrécourt et je passe devant la Croix Brisée. C’est le monument où le Christ se donne jusqu’à sa Croix, la Croix descend jusque dans la tranchée. C’est mon instant de prière du matin. Je suis là et en même temps j’englobe dans ma prière tous les soldats qui sont autour. Cela n’a rien d’extraordinaire. Après, c’est l’action. C’est conserver la mémoire, c’est faire les visites.

Ce qui me passionne, c’est le regard de ceux qui viennent me rencontrer. C’est un regard qui n’est pas neutre. Ils arrivent à Vingré, et on lit la lettre de Blanchard, un soldat qui va être fusillé par ses camarades pour l’exemple. La lettre est une lettre d’amour adressée à sa femme. Ce jeune Blanchart a une foi et une espérance extraordinaires. Je vois les jeunes qui d’un seul coup changent leur regard. Ensuite, ils rentrent dans les carrières, dans  les profondeurs, dans le noir jusqu’à la chapelle qui est le lieu du sacrifice, avec cet escalier qui monte vers mes terres mais vers la surface où c’était l’enfer. L’espérance dans tout ça, ce sont toutes ces petites bougies dans la chapelle, ces petites lumières qui bougent, la lumière y est toujours, quatre-vingt dix ans après.


Chapelle souterraine du père Doncoeur

Certains poilus étaient de véritables artistes. On trouve encore des sculptures dans les carrières. Ils montaient des pièces de théâtre, écrivaient des poèmes (…). Quelle était la place de l'art dans l'enfer des tranchées ? Pourquoi ces soldats avaient-ils recours à l'art au cœur de l'absurdité de la guerre ?

Dans ces temps horribles et mouvementés, le Beau est présent. Le soldat qui exécute un bas-relief, c'est pour lui un moyen d'évasion. Le gars, quand il a sculpté sa Marianne, il évacue trois à quatre jours de guerre. Des grands combattants de 14, il y en a eu : Apollinaire, Aragon… Leurs poèmes sur ces temps de guerre sont sublimes.

C'est vrai que dans la médiocrité, l'horreur, la bassesse de la guerre, il y a encore le Beau. Il apparaît, petit, à la lueur de la torche électrique. Tu prépares les gens à l'horreur mais il reste la petite flamme du Beau. Le Beau le plus sublime étant la croix avec ce lever du jour sur la croix. L'artiste n'a pensé qu'à une chose, c'est à l'Espérance du jour.

Tu sais, dans la tranchée, il y avait les guetteurs. Pour voir s'il n'y a pas une attaque. Il y passe la nuit le gars. S'il y a une attaque, c'est le premier qui est pris. Ils n'attendent qu'une chose c'est que le jour se lève. Jour après jour, ils attendent.

Les autres soldats sont derrière dans la tranchée. Tu es dans un couloir de deux mètres de profondeur. La seule chose que tu vois, c'est le Ciel. Tes pieds, ton camarade et le Ciel. La seule chose que les hommes avaient comme horizon, c'est le Ciel. Je me dis quand même que… Ils devaient prier. Ils priaient vraiment c'est sûr. Les pieds c'est important. Tu es dans la boue. Le camarade et puis… le ciel.

Il y a une prière du père Doncœur très connue écrite dans les tranchées « Prie… prie quand tu es de garde la nuit, que tu t'ennuies parce que c'est long et que le cafard te prend et que la peur ou le froid te gèlent. Prend ton chapelet et dis le dix fois jusqu'à ce qu'il ne tourne plus, celui-ci pour ta femme et tes petits, celui-ci pour  la France, celui-ci pour tes camarades tombés l'autre jour… »

Ils sont des contemplatifs. Ils sortent, ils n'ont que le Ciel à voir. Ces soldats avaient nécessairement une attitude d'adoration. Ils sont de véritables artistes. Le Beau au cœur de l'enfer.

On voit souvent des films de guerre au cinéma. On y voit toujours ce type de scènes : des gars qui n'hésitent pas à aller chercher des camarades sous les feux ennemis. Sans doute que dans des circonstances extraordinaires, l'homme est extraordinaire ! Mais il faudrait peut-être que dans des circonstances ordinaires il soit aussi extraordinaire…

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6 Commentaires

  1. Bertrand d'Evry

    Bravo pour cet excellent article. Connaissant Jean Luc depuis de nombreuses années, je peux vous certifier que ce qu'il dit , il le vie au quotidien. A ce niveau là, ce n'est plus de la passion, c'est de l'amour. Amour pour tous ces jeunes Français ou Allemands qui n'ont fait que leur devoir. Obéissant à des ordres sans toujours savoir pourquoi,  qui ont été tués pour l'exemple… alors qu'ils n'étaient pas coupables!  Mais qui servaient au point de donner leurs vies pour un monde meilleur…
    Paysan, je le suis aussi; et comme l'auteur de ce superbe livre (que chaque pationné devrait avoir dans sa bibliothèque) , tous les jours que je suis dans les champs, c'est en pensant que si nous avons la chance d'être en liberté, nous le devons à ces millions de soldats morts pour vous et moi. Ce jour du 11Novembre n'est pas un jour d'histoire, il est un jour de MEMOIRE.
     

  2. Bruno ANEL

    Magnifique témoignage. J’aimerais mieux entendre lire cela le 11 novembre au monument au morts, plutôt que le discours redondant écrit par le ministre des anciens combattants.

  3. Robert dominique

    Article poignant et magnifique,plein de souvenirs de jeunesse a confrecourt,l,histoire des poilus
    A toujours été présente dans notre famille.
    Salut le cousin a bientôt de tes nouvelles
    Dominique