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La famille en Amérique Latine

Entrevue avec Pedro Morandé par Denis Cardinaux    2 décembre 2011

A l’occasion des trente ans de l’Exhortation apostolique Familiaris consortio de Jean Paul II et de la création du Conseil pontifical pour la famille, Pedro Morandé participait a l’assemblée plénière au Vatican du 29 novembre au 1er décembre 2011. Consulteur sur les questions de la famille en Amérique Latine, membre de l’Académie pontificale de sciences sociales, Doyen de la faculté de sciences sociales de l’Université catholique de Santiago (Chili), auteur de nombreux travaux d’envergure internationale sur la famille, il a accepté de répondre à nos questions.

 
Pedro Morandé

Comment peut-on décrire l’état de la famille en Amérique Latine?

Même si les familles en Amérique Latine sont sur bien des points comparables aux familles du monde occidental, comme la baisse du taux de natalité – plus forte en Argentine, en Uruguay et au Chili –, il y a cependant bien des différences. Si la famille européenne a souffert tragiquement des conséquences des deux guerres mondiales, nous n’avons jamais rencontré pareille situation. La famille s’est développée de manière stable sans avoir à souffrir la mort d’un proche ni les horreurs de la déportation de populations entières.

L’autre différence c’est qu’ici, les groupes qui idéologisent le thème de la famille dans la lutte contre la société machiste ou pour la libération de la femme demeurent minoritaires. La plus grande partie de la population voit avant tout la famille comme une réalité humaine. Les femmes désirent avoir des enfants, y compris dans le cas de celles qui repoussent la grossesse pour diverses raisons, ou dans celui des mères célibataires. En ce sens, il y a une vraie mise en valeur de la vie. C’est pourquoi, malgré toutes les crises que rencontre la famille – ce que montrent les enquêtes que nous autres, sociologues, réalisons – elle est reconnue partout comme la principale institution de référence pour la vie des personnes.

Au Chili, la situation parait alarmante. Le nombre de mariages baisse chaque année. Comment percevez-vous ces phénomènes et quelles en sont les causes?

Avant tout, je voudrais préciser qu’en Amérique Latine, le concubinage possède une longue histoire. Les premiers colonisateurs – tous des hommes – on mis des décennies avant de faire venir leurs épouses. De nombreux couples avaient donc des enfants sans pouvoir bénéficier d’une reconnaissance juridique. De plus, le mariage était un phénomène citadin. Il se produisait dans les campagnes à l’occasion de missions. Mais à bien y regarder, ces foyers étaient souvent de véritables mariages, stables, avec des enfants, ouverts à la vie dans tous les sens du terme. Il est vrai que l’Amérique Latine est le continent de l’informalité.

Mais la famille est confrontée au désenchantement des institutions. Le Pape Jean Paul II dans une expression pertinente et novatrice a dit que la famille était la première institution en faveur de l’écologie humaine. Il pensait donc à moyen et long terme, ce qui exige de la patience, de la persévérance, et aussi une capacité d’accepter les frustrations : les moments difficiles, la douleur, la maladie… Mais dans notre monde de communication instantanée, ces valeurs sont passées au second plan. En définitive, le monde des communications instantanées s’affronte avec celui d’un vivre ensemble vertueux, ordonné, avec celui de la solidarité intergénérationnelle.

Sachant que la famille est un fait perçu comme normal, reconnu, accueilli, comment protéger cette conscience ?

Jean Paul II interprétait la genèse de manière nouvelle en disant que c’est en tant qu’homme et femme que l’être humain a été créé à l’image de Dieu. Ce qui implique une relation de respect mutuel, de dignité, de réciprocité et de compagnie. Mais en Amérique Latine, on comprend souvent la famille comme le noyau constitué par la mère et ses enfants. L’homme est le grand absent. Ces foyers monoparentaux sont alarmants. Je crois que l’unique perspective pour construire la famille à long terme est d’incorporer l’homme dans la cellule familiale.

Ce qui me préoccupe tout particulièrement chez les jeunes d’aujourd’hui, c’est la préparation au mariage. On tient le mariage pour un fait spontané. Dans ces conditions, la formation ne permet pas de susciter une maturité suffisante.

Cela sera donc un des grands défis de l’assemblée plénière à laquelle vous allez participer ?

C’est certain, même si la date de la réunion a d’abord été choisie à cause des trente ans de Familiaris consorcio. Mais les organisateurs ont demandé à des spécialistes des cinq continents de réaliser des rapports sur la situation de la famille dans diverses sociétés. En effet, je crois qu’il existe un problème commun, celui de l’hiver démographique, mais qui s'incarne de manière très différents en Inde, en Europe, ou dans les pays islamiques. Il s’agit donc d’avoir un panorama de la situation mondiale. De plus, un des projets à l’étude, qui sera sans doute approuvé au cours de ces jours, est un Vademeecum pour la préparation prochaine et plus longue au mariage.

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