de Laurence Aubrun 22 décembre 2011
Au-delà du consumérisme, au-delà des conventions culturelles et familiales, Noël garde la trace d’une grâce intacte, que chacun s’efforce à sa façon de retrouver ou préserver. S’il y a bien une fête qui diffuse encore un parfum de sacré, et dont on respecte le rituel, même devenu profane, c’est Noël : temps de trêve, esprit d’enfance et d’innocence, esprit de famille. Dès lors, quelle est la place et la valeur des cadeaux que l’on échange sous le sapin ? Gageons qu’il y a dans cette tradition bien autre chose qu’un geste marchand : un acte d’amour authentique, placé sous le signe du don et de la gratuité.
Reichstag emballé par Christo et Jeanne-Claude en 1985 CC BY-NC-ND txmx 2
Si dans nos sociétés le sens chrétien de l’hommage rendu par les bergers, et des présents offerts par les Mages à l’enfant Jésus s’est bien transformé, la tradition des cadeaux de Noël perdure cependant. Il y a là de quoi méditer sur la façon dont l’amour se manifeste.
L’amour aspire au don.
Comment, entre proches, témoigner de son affection ? Pour tisser ou entretenir les liens avec ceux que nous aimons, il faut exprimer nos sentiments et apprendre à donner : du temps passé ensemble, des mots d’encouragements, un soutien, ou tout simplement des présents. La réciproque n’est pas vraie : il ne suffit pas de faire des cadeaux pour entretenir l’amour, car on peut manquer la cible et témoigner, par un cadeau mal approprié (une énième théière), ou disproportionné, du peu d’attention qu’on accorde à l’autre. Mais personne ne s’y trompe : les cadeaux qui nous touchent ne sont ni les plus coûteux, ni les plus attendus. Choisis avec soin, ou faits maison, ils sont le signe que l’autre a pris du temps pour nous. Le signe aussi qu’il s’est mis à l’écoute de nos manques, de nos passions, de nos aspirations parfois secrètes. Ces cadeaux-là sortent du lot : ils ne sont pas oubliés, ils nous rapprochent et sont le témoignage de l’attachement mutuel. Ils se chargent d’une valeur sentimentale qui traverse le temps. Prenant leur place dans notre quotidien, ils nous rappellent l’autre quand il est absent.
Voilà peut-être le signe du vrai don : il y a dans un cadeau authentique une part de nous-mêmes. C’est d’ailleurs, rappelait Benoît XVI dans Deus caritas est, la seule façon pour celui qui offre de ne pas humilier le donataire : « Pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne. »
Du don au don de soi
Pourquoi se donner soi-même serait-il la marque suprême de l’amour ? Cette capacité s’éveille et s’enracine dans la conscience d’avoir d’abord reçu. La personne humaine, dans tout ce qu’elle est, se reçoit : nul ne choisit de naître ou d’être ce qu’il est, nul ne se crée lui-même, nul n’a mérité le don qui le fait exister. Avant de pouvoir donner, il faut donc longtemps se recevoir, s’accepter, reconnaître que nous recevons d’un autre la vie et la liberté. Cette lente appropriation et construction de soi n’a rien d’évident, mais elle peut conduire à la gratitude et se déployer dans la joie de donner à son tour : transmettre la vie, rendre service parce qu’on a soi-même été aidé, se déposséder de ce qui nous est cher parce qu’un autre en a besoin.
Et l’on peut remonter bien au-delà encore : l’être humain ne devient pleinement capable de se donner qu’en devenant semblable à celui dont l’essence même est don. Dans la Création, Dieu donne ; dans l’Incarnation, Il se donne. L’Incarnation annonce déjà la dimension eucharistique de la vie du Christ : le donateur s’identifie au don. Le cadeau qui nous est fait dans la crèche, c’est Dieu en personne.